De la Syrie au Kenya, d'où viennent vraiment les menaces islamistes aujourd'hui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le Jihad s’internationalise et se modernise , de sorte que l’on peut parler de salafisation de la modernité".
"Le Jihad s’internationalise et se modernise , de sorte que l’on peut parler de salafisation de la modernité".
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Salafisation du monde

Les islamistes somaliens du mouvement shebab ont attaqué le Westgate mall de Nairobi au Kenya samedi 21 septembre. Un assaut qui pousse à se demander quels sont les principaux groupes qui véhiculent le terrorisme moderne, qui sont les commanditaires, qui les finance ou encore quelle est leur capacité de nuisance.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Les islamistes somaliens du mouvement shebab ont attaqué le Westgate mall de Nairobi au Kenya samedi 21 septembre. Quels sont aujourd'hui les principaux groupes islamistes qui véhiculent le terrorisme moderne selon les pays et les régions ? 

Alexandre Del Valle : On peut mentionner les groupes terroristes sunnites salafistes ouvertement "jihadistes", plus ou moins proches d’Al-Qaïda, mais aussi issus de nombreux mouvements sunnites salafistes algériens (ex-GSPC, GIA), "takfiristes", égyptiens (ex-Gamaa, jihad islamique, etc). Puis, plus récemment les sectes salafistes comme les shebabs somaliens, qui viennent de perpétrer un attentat très meurtrier au Kenya, ou Boko Haram dans la zone du Nigeria et alentours, qui assassine des chrétiens et a pris en otage des Français notamment. Sans oublier bien sûr les terroristes tchétchènes et daghestanais, très actifs en zone ex-soviétique-russe et caucasienne, mais aussi en Occident depuis les années 2000.  Existent également les mouvements proches des Talibans en zone "Af-Pak" (Pakistan-Afghanistan). La particularité des réseaux talibans (de leur vrai nom Déobandis), et des Tchétchèno-daguestanais, récemment très actifs aux Etats-Unis, en Grande Bretagne et dans toute l’Europe, est qu’ils se sont internationalisés. Ils sont sortis depuis presque 10 ans d’une période d’activité plus localisée pour "s’ouvrir", comme les Talibans, à l’internationale jihadiste. Ce qui n’était pas le cas jadis à ce degré. On peut mentionner bien sûr également les terroristes syriens salafistes, liés à Al-Qaïda dans la Péninsule arabique et aux structures d’Al-Qaïda en Irak, galvanisés et eux aussi nettement internationalisés (dans leur appel  au recrutement) par la guerre civile syrienne et le conflit global sunnites-chiites. On constate également la présence de terroristes actifs en Tunisie ou dans toute l’Afrique, alimentée par les conséquences prévisibles de l’effondrement du régime anti-Al-Qaïda de Muammar Kadhafi en 2011, ceci après l’intervention franco-britannico-américaine.

Bref, le Jihad s’internationalise parfaitement et se modernise même, de sorte que l’on peut parler de "salafisation de la modernité". Ceci dit, les groupes demeurent fort localisés dans leur dimension géopolitique et stratégique, et ils restent très liés, hors des auto-radicalisés d’Occident comme Mohamed Merah, à des réalités singulières territorialisées (Irak, Pakistan, Afghanistan, Caucase, Syrie, Libye, Algérie, Mali-Niger, Nigeria, Somalie-Kenya-Soudan-Tanzanie, etc). On observe tout particulièrement ces logiques territorialisées, bien que transnationales et parfois tribales, dans la région Irak-Syrie, dans le Sahel-Sahara, dans le Caucase, dans la Péninsule arabique ou dans la zone "Af-Pak".

Dans ce contexte, l’Europe et les Etats-Unis ne sont pas des nouveaux centres géopolitiques et stratégiques du totalitarisme islamo-terroriste, mais une base-arrière mondialisée utile à double titre. D'abord en tant qu’espace de liberté dont peuvent jouir les totalitaires verts, et parce que ceux-ci peuvent y recruter des "idiots –utiles", des "égarés sociaux" et autres "jeunes" radicalisés-déracinés envoyés sur les fronts locaux. Et ce, d’autant plus facilement que leurs passeports occidentaux sont très précieux pour circuler en pays arabes et musulmans.  

Quelle est la capacité de nuisance de ces groupes ?

La capacité de nuisance de ces groupes est stratégiquement plutôt faible depuis l’échec militaire du régime taliban du Mollah Omar et de l’affaiblissement de son allié Al-Qaïda traqué depuis 12 ans sans relâche par les Américains et les services occidentaux. Mais depuis le retrait américano-occidental en Irak et en Afghanistan, opéré dans un contexte de tractations passées avec des Talibans afghans ou salafistes irakiens insurgés jugés "raisonnables", donc que l’on a purement et simplement achetés…, et depuis les révolutions arabes et la guerre en Libye puis en Syrie, nombre de jihadistes ont pu recevoir des armes en provenance du Golfe, de la Libye, de la Turquie et même de l'Occident. On peut dire que ces réseaux et groupes islamistes reprennent du poil de la bête et retrouvent une nouvelle capacité de nuisance qu’ils semblaient avoir perdue. Enfin, la "mondialisation" du Jihad et l’apparition de nouvelles générations de "jihadistes Facebook" fanatisables sur le net et éduqués à l’aune de la mondialisation, permettent de nouvelles vocations et de nouvelles stratégies opératoires de plus en plus "asymétriques". Ces nouvelles stratégies sont difficiles à déjouer puisqu'elles aboutissent à des attentats d’individus auto-fanatisés et auto-radicalisés comme on le dit depuis Mohamed Merah. Cette autonomisation-individualisation du jihad mondialisé couplée avec l’acquisition d’armements sophistiqués par nombre de groupes jihadistes locaux, laisse penser que le terrorisme islamiste n’est qu’à ses débuts. D’autant qu’il a comme meilleurs alliés les médias occidentaux et la haine de soi produite par et en Occident et qui pousse nombre de jeunes occidentaux de "souche", ou non, à embrasser l’idéologie qui, sur le marché du jihad "anti-croisés" et "anti-sionistes",  est la plus redoutable et haineuse.       

Comment sont-ils financés ?

Tous les stratèges occidentaux savent pertinemment que pour ce qui est des réseaux sunnites-salafistes et des groupes issus des mouvement dissidents des Frères musulmans ou du Jamaa Islamiya et des Talibans pakistanais, les financiers sont des pays ou des structures islamiques salafistes issues de pays sunnites alliés des Occidentaux : Arabie saoudite, Qatar, Koweït, Pakistan, et même depuis la guerre civile syrienne, la Turquie post-kémaliste du nouveau sultan pro-Hamas Erdogan qui aide la rébellion islamiste syrienne …

Quelles évolutions le terrorisme a-t-il connues ?

Le terrorisme islamiste s’est internationalisé, atomisé, autonomisé, individualisé et même "virtualisé", puisqu’aujourd’hui, n’importe qui dans le monde ayant une haine anti-occidentale, anti-chrétienne, anti-juive, anti-sioniste, anti-russe, anti-américaine, anti-française, anti-impérialiste, etc, peut satisfaire ses pulsions de violences et réaliser sa mutation totalitaire cathartique tout seul. Et cela, après avoir visionné des vidéos d’égorgements barbares et bu les appels à la haine des professionnels du ressentiment qui foisonnent sur le web et dans les médias avides de sensation, meilleurs alliés du totalitarisme islamiste.  

Peut-on considérer que l'Occident s'est allié avec les parrains du terrorisme islamiste ? Pourquoi ? 

Face à la Russie soviéto-communiste jadis, sous la Guerre Froide, et face à la Russie poutinienne pro-iranienne et bien sûr face à l’axe Chine-Russie-Iran-Syrie-Hezbollah, aujourd’hui, l’Occident, essentiellement américain et européen-atlantiste, est plus que jamais l’allié des parrains du totalitarisme islamiste. Totalitarisme islamiste représenté par les pays du Golfe qui ont co-créé, financé, équipé, formé et parrainé Al-Qaïda, les Talibans, les jihadistes caucasiens et balkaniques et l’essentiel des jihadistes sunnites actifs aujourd’hui de la Zone "Af-Pak" au Mali-Niger, en passant par la Libye, la Syrie, la Péninsule arabique (Yémen, l’un des bastions d’Al-Qaïda), ou la Corne Est de l’Afrique, ou encore le Soudan auteur du génocide d’un million de chrétiens et animistes du Sud…

Propos recueillis par Karen Holcman

A lire, de l'auteur de l'article :Le dilemme turc : Ou les vrais enjeux de la candidature d'Ankara(Editions des Syrtes). Pour acheter ce livre, cliquez ici.


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