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Plongée dans les mécanismes biologiques de la peur : ce que nous apprennent ces souris qui n'ont plus peur des chats après avoir été contaminées par la toxoplasmose
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Les souris dansent

Une étude de l'université de Berkeley montre qu'il est possible d’altérer le circuit de la peur chez les souris. Cette avancée pourrait avoir un impact sur le traitement de maladies cérébrales chez les humains.

René Misslin

René Misslin

René Misslin est professeur émérite de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg. Après avoir enseigné les lettres classiques durant plusieurs années, il s’est tourné vers les sciences comportementales (psychologie, éthologie). Il est l'auteur de Le comportement de peur:une approche multidimensionnelle (Publibook, 2006).

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Atlantico : Une étude réalisée récemment par l'université de Berkeley et publiée dans Plos One (lire ici) montre que les souris perdraient définitivement leur peur innée des chats après avoir contracté une bactérie, la toxoplasmose. Comment expliquer ce phénomène ?

René Misslin : Cette étude fait écho à un article plus ancien, daté de 2011, qui avait déjà mis en évidence l'altération du comportement du rat en présence de l'urine de chat (qui abrite la toxoplasmose, NDLR). Les trois auteurs (House, Vyas et Sapolsky) avaient ainsi réussi a démontrer que les rats infectés ne réagissaient plus par la peur en présence de l'urine féline, mais qu'au contraire ils présentaient tous les stigmates d'une attraction sexuelle, comme si des rats femelle en chaleur se trouvaient à proximité. Dans le détail, on suppose que cette fameuse bactérie a une forte préférence pour le système limbique (système cérébral situé entre le "tronc" et le cortex, aussi baptisé le "cerveau de l'émotion") dans lequel on trouve d'une part le complexe amygdalien et d'autre part l'hypothalamus, ces dernières étant évidemment connectées entre elles. L'amygdale est généralement considérée comme la structure impliquée dans la genèse du comportement de peur et d'anxiété tandis que l'hypothalamus contrôle, entre autres, les comportements de reproduction.

On suggère ainsi que la toxoplasmose altère de façon définitive les structures impliquées dans l'activation du comportement sexuel. Il est ici difficile de résumer simplement ce processus, mais on peut croire que la toxoplasmose génère en fait une enzyme (protéine qui permet d'accélérer les réactions bio-chimiques) similaire à celle que l'on nomme tyrosine hydroxylase. Cette dernière a pour propriété de favoriser, pour faire simple, la sécrétion de dopamine qui est impliquée dans ce que l'on appelle les "systèmes de renforcement positif" (autrement dit le circuit du plaisir et de l'activation sexuelle). Dans un système cérébral "sain" la tyrosine hydroxylase a notamment pour fonction de limiter les sécrétions de dopamine, et l'on peut supposer ici que la molécule issue de la toxoplasmose s'entremet dans ce processus en favorisant des secrétions anormalement importantes de dopamine. Ce surplus de "plaisir" viendrait donc masquer le circuit de la peur au détriment de l'activation sexuelle, ce qui viendrait expliquer le comportement pour le moins anormal des rats et des souris qui ont été soumis à ces expériences.

Cette découverte peut-elle avoir des conséquences sur la compréhension des troubles cérébraux chez l'homme ?

Absolument. On en vient même à suggérer que certains cas de schizophrénies et de troubles obsessionnels compulsif ont été provoqué par l'ingestion de cette bactérie chez l'homme. Ces deux types de troubles cérébraux (la plupart diraient mentaux) sont soignés avec des neuroleptiques dont le rôle est justement d'inhiber la dopamine, qui est sécrétée de manière excessive dans les deux cas.

Peut-on en déduire qu'il devient théoriquement possible, à terme, d'altérer le circuit de la peur des êtres humains ?

Il est ici difficile de répondre avec certitude, mais rien n'est impossible. Si l'on sur-stimule la dopamine, il est clairement imaginable que l'action du complexe amydgalien, chargé de réguler les comportement de défense, soit masquée aussi chez l'homme. On ne saurait pour autant annuler l'action de peur, qui reste active, mais elle serait simplement trop infime en comparaison de l'intense activité du circuit du plaisir. Autrement dit, le comportement sexuel l'emporterait ainsi sur le comportement défensif.

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