La gauche de la gauche obsédée par les dividendes du CAC 40 : mais que pèsent-ils vraiment dans l'économie française ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En France, la majorité des entreprises sont endettées et connaissent des difficultés de trésorerie.
En France, la majorité des entreprises sont endettées et connaissent des difficultés de trésorerie.
©Flickr

Rémunération du capital

Les entreprises du CAC 40 vont redistribuer en 2014 la moitié de leurs profits aux actionnaires au titre de l'exercice 2013. 39,9 milliards d'euros devraient ainsi être versés, un chiffre en croissance de 5 %, selon les estimations de FactSet, retraitées par PrimeView.

Atlantico : Les entreprises du CAC 40 ont annoncé qu'elles verseraient près de 40 Milliards de dividendes à leurs actionnaires en 2013, soit une augmentation de 5% par rapport à l'année précédente. Ce chiffre peut paraître impressionnant mais que représente-t-il réellement au regard de l'ensemble de l'économie française ? Attirent-ils plus d'attention qu'ils n'en méritent ?

Bernard Cohen-Hadad : Dans la période économique et financière difficile que vivent la grande majorité des entreprises de toutes tailles et leurs salariés, prendre ces données de manière lapidaire et disons-le un peu simpliste entraîne une double réaction d’incompréhension et d’indignation. Et l’on sent bien le discours anti-entreprise poindre et accuser : « En France, les entreprises multinationales font des profits, leurs dirigeants et les actionnaires s’en mettent plein les poches  ». Cette vision déformée de la réalité économique n’est pas nouvelle. Elle trouve son terreau dans les périodes difficiles de notre histoire. Et malheureusement elle a encore un long avenir car elle se nourrit d’une culture ultra, de gauche et de droite, qui vise à opposer le capital et le travail. Pour proposer le chaos.

Il faut donc dépasser les effets d’annonce et replacer la situation des entreprises du CAC 40 dans un contexte de mondialisation ou d’internationalisation des échanges. Ces entreprises internationales sont de natures différentes. Il y a des entreprises financières (les banques) et des entreprises non bancaires dont les secteurs d’activités sont multiples. En effet, peut-on comparer BNP Paribas et la Société Générale à Peugeot, Renault ou Carrefour ? Et peut-on encore assimiler le géant de l’industrie pharmaceutique Sanofi, au pétrolier Total ou au géant de l’agroalimentaire Danone ? Bien évidemment, non ! Cependant, ce que nous apprennent ces chiffres, c’est que les résultats sont meilleurs que ceux de 2012. C'est-à-dire que les entreprises ont fait des choix stratégiques courageux et ont pu ainsi dégager des profits. Et que ces résultats ne sont pas cachés puisqu’ils sont ou seront publiés comme chaque année, en toute transparence, par les entreprises elles-mêmes sur leur site internet et par l’AMF.

Le vrai problème qui doit retenir notre attention ce n’est pas que ces entreprises ont dégagé des profits. Mais que les profits réalisés - et qui vont permettre de verser des dividendes par action - ont été possible parce que les entreprises ont réussi à se développer face à la concurrence internationale. Sans cette valorisation sur des marchés en dehors de l’Europe cela n’aurait pas été possible. En France, la majorité des entreprises sont endettées et connaissent des difficultés de trésorerie. Et le plan industrie que vient de lancer le gouvernement en est la preuve, les marges des entreprises se réduisent périodiquement. Elles sont même au plus bas avec 28% de la valeur ajoutée, c'est-à-dire cinq points en dessous de la moyenne européenne. Et c’est le niveau le plus faible depuis 1985. 

Bertrand Jacquillat : Ce chiffre de 40 milliards peut paraître imposant mais il ne représentent en réalité que 3 à 4% de la valeur totale des entreprises concernées. Il s'agit là d'un taux de rémunération à peu près normal que l'on retrouve d'ailleurs dans la plupart des autres économies développées. Pour ce qui est de l'économie réelle, on remarque que depuis les années 1970 les sociétés distribuent chaque année des dividendes et que l'ensemble de ces versements ont représenté un peu moins que ce que l'on baptise l'appel au marché financier. Autrement dit, les gains amassés grâce à ce type d'action servent au financement de l'économie et sont le plus souvent supérieurs aux versements des dividendes.

Les critiques les visant laissent à penser qu'ils seraient une anomalie du système et qu'ils lui seraient nuisibles. A quoi servent réellement les dividendes ? Quelle est leur utilité ? Voire leur vertu ?

Bernard Cohen-Hadad : On mesure le profit réalisé par l’entreprise par la différence entre le chiffre d’affaires et les coûts de production. En France, on peut regretter de voir notre industrie pénalisée par des charges fiscales et sociales trop lourdes. Il faut donc arrêter de diaboliser la finance et le capital. Nos entreprises ont besoin d’investisseurs français, comme nous avons besoin de protéger nos savoir-faire et de garantir le dynamisme du tissu entrepreneurial dans les régions. Et nos entreprises dans un contexte difficile font beaucoup. Elles réinvestissent un peu plus de 70% de leur Excédent Brut d’Exploitation (EBE) alors que la moyenne de la zone euro est juste au-dessus de 50%C'est une erreur de faire croire que la distribution des dividendes est faite au détriment des investissements productifs.

L’anomalie à laquelle nous assistons actuellement c’est de considérer au contraire qu’une entreprise doit travailler à perte, avec un coût du travail élevé et avec des marges réduites à la peau de chagrin. C’est cette vision de l’entreprise privée ou publique qui est un non-sens ou un leurre. Les dividendes sont des rémunérations que perçoivent les actionnaires, c'est-à-dire les investisseurs, quand l’entreprise fait des bénéfices. Et quand l’entreprise n’a pas de bons résultats, elle ne distribue pas de dividendes à ceux qui ont pourtant investi du capital dans l’entreprise. Si personne ne tolère que le travail ne soit pas rémunéré, peut-on accepter en économie de marché que le capital investi, par des particuliers ou des entreprises, ne soit pas rémunéré ? Ce qui nous interpelle également est cette capacité d’indignation sélective d’une partie des opposants à l’entreprise qui condamnent l’investisseur privé quand il reçoit des dividendes et non pas l’investisseur public dans la même situation. Qui blâme l’Etat, actionnaire de la SNCF, de recevoir 230 millions d’euros de dividende pour l’exercice 2011 ?

Bertrand Jacquillat : Les entreprises versent en moyenne 40% de leurs bénéfices à leurs actionnaires, mais il s'agit d'une rétribution plus ou moins proportionnelle aux fonds que ces entreprises ont pu lever sur les marchés. Il est donc sain que les entreprises qui disposent d'un surplus de liquidités les redistribuent aux actionnaires qui les réutiliseront pour investir dans des structures moins aisées qui ont bien besoin d'un apport financier. Il serait à l'inverse malsain que des entreprises conservent un surplus qui pourrait être utilisé plus judicieusement ailleurs.

La part des dividendes dans la valeur ajouté des "sociétés non financières" a augmenté de manière non négligeable depuis le début des années 1980. Comment expliquer cette hausse ?

Bernard Cohen-Hadad : Je crois qu’il faut même replacer cette perception depuis le milieu des années 1970. En effet, depuis cette époque, nous vivons périodiquement différents chocs économiques (pétrole…) et des tentatives de politiques de relance avec plus ou moins d’intensité et de réussite. La fracture économique et financière de 2008 marque aussi un tournant et une prise de conscience nouvelle. Une dégradation de la rentabilité des entreprises sur leur marché national avec comme porte de sortie une volonté de prendre des parts de marché à l’international et dans les pays émergents où se jouent la croissance et la rentabilité pour les grandes entreprises. Et où elles ont pu trouver de faibles coûts de production.

En matière de doctrine économique, il n’y a pourtant pas forcement de lien direct entre la croissance du chiffre d’affaires des entreprises non financières et l’augmentation des bénéfices. Mais ce que l’on peut reconnaître c’est que ces entreprises ont pris des risques. C’est à mettre au crédit de leurs dirigeants, des actionnaires et des investisseurs qui leur ont fait confiance. Ces entreprises ont investi dans différents secteurs d’activités pour se développer et dans plusieurs régions du monde. En créant même de nouvelles zones d’attractions économiques. Elles ont aussi restructuré leur capital et leur actionnariat afin de valoriser justement le montant des actions. Elles ont su racheter des concurrents, c'est-à-dire faire des investissements, et ainsi prendre plus rapidement des parts de marchés. Enfin, elles ont fait aussi courageusement des choix pour se désendetter et redevenir compétitives. Et on peut rappeler que c’est la restauration des profits qui a pu faire repartir la machine économique allemande. Et il est de bon ton, aujourd’hui, au moment où l’on parle de dividendes et à l’heure des élections allemandes, de se souvenir de la politique mise en place par Helmut Schmidt qui déclarait en 1976 : « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après demain ». Et le chancelier Helmut Schmidt n’était pas un dangereux capitaliste mais un social-démocrate…

Bertrand Jacquillat : Cela n'a rien d'un processus pervers. Lorsque l'on parle des dividendes versés par les entreprises du CAC 40, ces dernières représentant la très large majorité des versements de dividendes, il est important de rappeler que seulement 50 à 60% de leurs chiffre d'affaires est réalisé dans la zone euro. Le reste se répartit principalement sur l'Amérique du Nord et les pays émergents, ce qui a permis de dégager au fil des ans des bénéfices de plus en plus importants, donc un surplus de plus en plus important à redistribuer. 

Quelles sont aussi les limites du système des dividendes et comment les corriger ?

Bernard Cohen-Hadad : Tout mécanisme de distribution financière peut être dévoyé. Bien entendu, il y a eu et il peut toujours y avoir des maladresses voire des débordements dans la façon dont le bénéfice des entreprises est distribué. L’entreprise est une construction humaine. Mais la vie de l’entreprise est la priorité. Sans entreprises, il ne peut y avoir d’emplois. Et les bénéfices de l’entreprise – qui sont le signe qu’elle est en bonne santé - peuvent être réinvestis partiellement ou totalement dans l’entreprise ou redistribués en partie aux actionnaires en rémunération des parts souscrites dans la société. Et cela, en fonction de la stratégie de développement choisie. Ce n’est pas parce que nous sommes en crise que nous devons tirer de conclusions hâtives sur la distribution des dividendes. Ne faisons donc pas fuir les investisseurs qui peuvent apporter des capitaux privés pour financer nos entreprises et les aider à passer les effets de seuils.

Ce sujet sensible est souvent mis en parallèle avec la rémunération ou les avantages (stocks options, retraites chapeau…) des dirigeants de grandes entreprises privées. Le principe de base, qui doit rester intangible, est que tout doit se faire dans la transparence. A l’assemblée générale des actionnaires de se prononcer. C’est elle qui approuve les comptes de l’exercice et le projet de répartition des bénéfices. Et cette publicité est indispensable. La loi aussi prévoit un certain nombre de mécanismes pour constituer des réserves et limiter la distribution de dividendes aux actionnaires quand la société rencontre des difficultés financières. L’Etat, avec plus ou moins de succès, a essayé de faire un geste pour encourager le partage des bénéfices dans les entreprises. Chacun connaît la participation. Plus récemment, depuis 2011 et jusqu’au 31 décembre 2013, une prime de partage des profits appelée « prime Sarkozy » est mise en place pour faire bénéficier les salariés d’une prime pouvant aller jusqu’à 1 200 € si leur entreprise, de plus de 50 salariés, a versé des dividendes en progression par rapport à la moyenne des deux années antérieures. Compte-tenu des montants versés et des cas relatés dans la presse, ce dispositif ne semble pas avoir donné satisfaction, les résultats étant jugés inégaux par les salariés. Il reste cependant à en faire un bilan précis.

Bertrand Jacquillat : Je ne vois pas en quoi on pourrait le limiter. Le phénomène se limitera de lui même lorsque les entreprises auront des besoins de réinvestissement très important, ce qui réduira logiquement la masse des dividendes redistribués. Dans un cas comme dans l'autre, je ne vois pas ce qu'il y aurait de critiquable. 


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