Promotion, rétrogradation et mutation : comment la BAC de Marseille lave son linge sale en famille<!-- --> | Atlantico.fr
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La ville de Marseille.
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©Reuters

Bonnes feuilles

En arrivant à la BAC Nord de Marseille, Sébastien Bennardo découvre un monde policier bien loin de sa conception, marqué par la corruption. Extrait de "Brigade anti-criminalité" (1/2).

En avril 2011, nous sommes reçus, de façon individuelle et non pas collective, non par le DDSP Lalle, comme nous le demandions, mais par deux commissaires de la division nord. Elie et Lina sont entendus par le commissaire Groult et moi par son adjoint Durand, tous deux en charge de la BAC nord. Comme d’habitude, cela reste en interne. Dans la maison Police, on a une fâcheuse tendance à laver son linge sale en famille.

J’explique alors au commissaire Durand que je ne comprends pas pourquoi on me rétrograde toujours dans des commissariats bas de gamme, alors que tous mes autres jeunes collègues Cerise, Mat et le Blond ont été mutés à la BAC nord de nuit. Je lui dis clairement : « Si mon travail vous gêne, mutez-moi aux gardes à vue ou à la barrière de l’Évêché. Comme cela, je ne fous plus rien et vous serez contents. » Il me répond : « Mais non, vous êtes précieux pour les renseignements dans les quartiers nord, je ne peux pas vous mettre aux GAV. »

Ayant demandé, dans notre courrier, à évoquer notre mise au placard de la BAC nord, mais également certains agissements de membres de ce service, durant l’entretien, Durand se décide à aborder le sujet. Sur son bureau, il y a une pochette volumineuse sur laquelle est marqué : « BAC NORD ». Il me demande si j’accepte de parler de mon ancien service. Bien sûr, vu que depuis deux ans, je dis haut et fort qu’il y a des voleurs de shit et d’argent à la BAC nord et que j’en parle ouvertement. Tout le monde est au courant. Le commissaire ouvre la pochette et sort un rapport de Jean-Marc Autran, le nouveau capitaine de la BAC nord qui a remplacé Plaza. Il me lit des passages dans lesquels l’officier Autran demande au DDSP Lalle de prendre la mesure du problème, à savoir que des anciens et nouveaux policiers de ce service peuvent être des corrompus susceptibles de commettre des délits et des crimes flagrants. Il souligne également qu’il a entendu des rumeurs émanant de collègues sur des vols de sacoches de drogue et de numéraires. Il indique qu’il faut trouver une solution à ce problème en interne.

Le commissaire me demande : « Que pensez-vous de ce rapport ? » Je lui réponds : « Il expose exactement ce que l’on répète depuis deux ans. » Il déplie alors l’organigramme de la BAC nord où quarante noms sont soulignés en rouge : « Pensez-vous comme Jean-Marc Autran que ces quarante fonctionnaires ont commis des malversations ? » J’examine tous les noms et j’en dédouane cinq. Je défends ceux de mon ex-groupe A, qui sont marqués en rouge mais qui ne sont pas des flics dévoyés. Ils ne sont pas entrés dans ces combines. Le chef, par exemple, ne mange pas de ce pain-là, mais c’est un suiveur. En revanche, malheureusement, dans le groupe B, les huit fonctionnaires soulignés en rouge sont tous des voleurs. Dans le groupe C, six noms sur huit sont en rouge, et ce n’est pas à tort. Dans la brigade hebdomadaire, Jéjé-Juve n’a absolument rien à voir avec ces magouilles, et je l’indique au commissaire. Les deux du port autonome de Marseille, le PAM, qui sont désignés, non plus. Par contre, les six du groupe E et les deux du groupe D, dont les noms sont surlignés en rouge, rentrent à mon avis parfaitement dans ces trafics.

Cependant, je m’étonne que deux noms ne soient pas en rouge. Leur stratégie qui consistait à jeter le discrédit sur les « cleans » a dû brouiller les pistes. Je ne les dénonce cependant pas. À part les cinq que j’exclus de la liste, j’indique au commissaire que les trente-cinq autres sont des ripoux, et j’estime que si le capitaine Autran les a signalés, c’est qu’il doit avoir ses raisons. Il s’agit d’un rapport du capitaine de la BAC qui a du poids. Et moi, je suis puni au 14e. Et je veux qu’on se préoccupe de ma situation. Sans rentrer dans le détail, je dis au commissaire qu’il y a effectivement des malversations commises dans ce service et que le capitaine Autran est absolument dans le vrai. Le commissaire Durand conclut : « Dans deux jours, nous avons une réunion sur le sujet avec Pascal Lalle. Nous allons traiter le problème et prendre une décision. »

… et premières désillusions

Je crois alors qu’ils se sont réveillés et vont prendre le problème de la BAC nord à bras-le-corps. Ils vont enfin s’apercevoir qu’ils ont sanctionné pour rien trois policiers qui disaient la vérité. Je pense qu’ils vont nous réhabiliter, Elie, Lina et moi, et surtout que Pascal Lalle va ouvrir un peu les yeux et enfin relâcher la pression sur nous trois.

Hélas, nous apprenons quelques jours plus tard qu’au lieu de saisir le procureur de la République de Marseille ou l’IGPN le directeur de la Sécurité publique des Bouches-du-Rhône décide de mettre au goût du jour une circulaire ancienne qui empêche tout fonctionnaire de rester dans un service spécialisé plus de neuf ans.

Du coup, on va muter (ou plutôt promouvoir) une quinzaine d’anciens de la BAC dans les services de leur choix. Un scandale ! Toutes nos démarches se soldent par ce « ménage » interne, qui consiste au final à remercier des policiers corrompus ! Avec l’appui du syndicat Alliance, un des ripoux monte en grade et se retrouve major-chef dans un commissariat de Marseille D’autres obtiennent de beaux postes à la sûreté départementale, au groupe des vols à main armée ou des stups, et même à la brigade financière. Mais un autre ripoux, qui n’a pas huit ans de BAC, y reste. Quant au chef du groupe B – qui n’a aucunement l’intention de mettre fin à son juteux business –, il fanfaronne : « Ça fait dix-sept ans que je suis là, je ne vois pas pourquoi je partirais. » Alliance l’a tellement bien pistonné qu’il est maintenu à son poste à la BAC nord.

Et moi, je suis toujours puni. Je suis extrêmement déçu et dégoûté. Je m’en ouvre à Richard, le délégué d’Alliance, qui me dit de patienter : « Ne t’inquiète pas. Ton calvaire ne tardera pas à finir. Cela fait cinq ans que Pascal Lalle est à Marseille. Il quittera bientôt la DDSP et t’oubliera… »

Extrait de "Brigade anti-criminalité, un flic marsellais brise l'omerta", Bennardo Sébastien et Tourancheau Patricia, (Flammarion Editions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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