1,2 million de contribuables accidentels : y a-t-il un pilote dans l'avion fiscal français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon L'Opinion, entre 1,2 et 1,6 million de foyers supplémentaires vont payer l'impôt sur le revenu en 2013.
Selon L'Opinion, entre 1,2 et 1,6 million de foyers supplémentaires vont payer l'impôt sur le revenu en 2013.
©Reuters

Mayday

Le quotidien L'Opinion a affirmé qu'entre 1,2 million et 1,6 million de foyers supplémentaires ont payé l'impôt sur le revenu en 2013, soit une hausse de 10%. Interrogés sur le sujet, les ministres de l'Economie et du Budget ont eu du mal à accorder leurs violons. La preuve que l'enfer fiscal français est au moins autant lié au montant des impôts qu'à la complexité du système.

Thomas Carbonnier et Gilles Saint-Paul

Thomas Carbonnier et Gilles Saint-Paul

Thomas Carbonnier est avocat associé au sein du Cabinet Equity Avocats.

Il intervient régulièrement en droit des affaires, droit fiscal et droit travail pour une clientèle composée de salariés, de chefs d’entreprises et de PME.

En sa qualité d’expert en "économie sociale et solidaire", il intervient pour le pôle de compétitivité mondial FINANCE INNOVATION pour favoriser le développement des PME et d’emplois durables.

Il enseigne le droit de l’entreprise notamment à l’École des Ingénieurs de la Ville de Paris (grande école d’ingénieurs) et est l’auteur de nombreux articles publiés dans la presse tant généraliste que professionnelle.

 

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I. Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Entre 1,2 million et 1,6 million de foyers supplémentaires vont être assujettis à l'impôt sur le revenu en 2013 selon le journal L'Opinion. Mais au delà du niveau des impôts, en quoi le problème est également la complexité du système fiscal français ?

Gilles Saint-PaulEn principe on s'attendrait à ce que les agents économiques s'adaptent à un système complexe tout aussi bien qu'à un système simple. Mais alors on voit mal pourquoi le système serait complexe plutôt que simple. A mon avis, le système s'est complexifié au cours du temps à cause des tentatives des hommes politiques pour "anesthésier", (d'aucuns diraient "euthanasier") la population en créant de l'opacité et en donnant l'impression fausse que les impôts sont faibles alors qu'ils sont élevés. Les gens auront alors du mal à calculer précisément la pression fiscale à laquelle ils sont soumis et les hommes politiques espèrent ainsi, peut-être naïvement, minimiser les réactions électorales ainsi que l'impact négatif de la fiscalité sur l'activité économique.

>>>> Sur le même sujet : La CSG, archétype de l'instabilité fiscale française

Thomas Carbonnier : Notre système fiscal est effectivement très complexe. La fiscalité est devenue une affaire de professionnels. Le contribuable lambda ne peut que se noyer dans une telle complexité. Il existe 10 taux de TVA en France allant de 0,9% à 19,6% selon les biens concernés ! Et encore, il existe des taux différents dans chaque pays de l’Union Européenne. Ainsi, toutes les opérations économiques internationales sont impactées de manière différente. La TVA est un impôt d’une grande complexité.

L’impôt sur les sociétés regorge également de subtilités dont il serait difficile de dresser un inventaire exhaustif.

Prenons plutôt un exemple tiré de la fiscalité des particuliers réputée « plus simple ». Pour déclarer ses revenus correctement, le particulier doit effectuer sa déclaration sur le formulaire cerfa n°2042 S (Simplifié). C’est le plus répandu. Mais il convient d’y ajouter, le cas échéant, les formulaires cerfa numéros :

- 2042 C (Complémentaire) pour les revenus professionnels ou de locations meublées non professionnelles par exemple ;


- 2042 IOM pour les investissements en outre-mer ;

- 2044 pour les revenus fonciers ;

- 2044 EB en cas d’utilisation des dispositifs Robien recentré, Borloo neuf, Scellier Métropole ou Scellier outre-mer ;

- 2047 pour les revenus encaissés à l’étranger ;

- 2074 pour les plus ou moins values sur cessions de valeurs mobilières, droits sociaux, titres assimilés et les clôtures de PEA ou de certains titres cotés sur les marchés financiers ;

- 2074-DIR en cas de cession de titres d’une PME par le chef d’entreprise qui part à la retraite ;

- 2041 S pour compenser des gains réalisés l’année N avec les pertes réalisées au cours d’années antérieures à l’année N ;

- 2041 GR pour bénéficier de crédit d’impôts en faveur de certains investissements dans l’habitation principale (investissements dans d’équipements d’énergies renouvelables ou en faveur de personnes handicapées ou âgées) ;

- 2042 LE pour la taxe sur les loyers des logements de petite surface due par les bailleurs personnes physiques ;

- 2042 TA pour effectuer une demande de remboursement de la taxe additionnelle du droit au bail.

Et, bien entendu, nous ne sommes pas entrés dans le détail technique de l’IR… C’est pour cette raison que les contribuables, ayant des revenus conséquents et souhaitant dormir paisiblement sur leurs deux oreilles, confient généralement à leur avocat fiscaliste l’établissement de leur IR et de leur ISF. La pathologie dont souffre notre pays est bien connue : c’est l’instabilité et la complexité croissante de son système fiscal ! Rappelons qu’il est possible, pour le gouvernement, de faire voter des lois de finances rectificatives en cours d’années ayant un caractère rétroactif !

En théorie, le chef d’entreprise sait au 1er janvier à quelle sauce il va être mangé en fin d’année. Mais admettons que l’économie fasse des siennes et que le gouvernement, pour boucler son budget prévisionnel, ait besoin de recettes supplémentaires. Il s’empressera de faire voter une loi de finance au mois de mars dont l’application rétroactive au 1er janvier. Le chef d’entreprise actualise ses projets en fonction de ces nouvelles règles.

Au mois de mai, le chef d’entreprise qui ne se découvre pas d’un fil, se fait tondre tel un mouton par une seconde loi de finance ! Le chef d’entreprise se retrouvant à nu en plein mois de mai tombe malade et son entreprise montre des signes des faiblesses. Le plus émouvant est entendu que cette loi, elle aussi, est rétroactive au 1er janvier ! Le chef d’entreprise doit alors ajuster de nouveau ses projets… Arrive le mois de septembre et là : surprise ! Une nouvelle de finance rétroactive est votée et s’applique au… je vous laisse deviner ! Vous avez répondu au 1er janvier ? Vraiment ?!! Incroyable ! C’est la bonne réponse sauf que nous sommes déjà au mois de septembre !

A votre avis, que pourrait-il se passer au mois de décembre ? On va fêter Noël ? C’est vrai, c’est aussi l’heure des cadeaux fiscaux : une nouvelle loi de finance est votée ! Est-il utile de préciser qu’elle pourrait s’appliquer rétroactivement au 1er janvier ? Non bien entendu… vous le savez déjà ! Ce scénario vous semble surréaliste ? Bienvenue en France ! Tous les 5 ans, c’est la moitié du Code général des impôts qui finit par être totalement refondu ! Et d’ailleurs, avez-vous déjà ouvert un Code général des impôts ? Avez-vous déjà eu le plaisir de lire la superbe prose de celui-ci ? Prenons, au hasard son article 39. Cet article est tellement court qu’il fait 7 pages ! Mieux encore, il fait référence à 20 autres numéros d’articles du même Code qui eux-mêmes font parfois référence à d’autres articles...

Et d’ailleurs la numérotation de Code est tout aussi fabuleuse puisque vous pourrez y trouver les articles « 199 terdecies-0 A », « 199 sexdecies », « 238 bis HZ bis » voire même « 238 bis-0 I » (ce devait être de l’écriture binaire avant l’heure…). Pour résumer, le contribuable a intérêt à s’armer d’un décrypteur de haute fréquence pour percer les mystères d’une législation totalement indigeste.

Enfin, beaucoup parlent de niches fiscales dont la suppression devrait être mise en œuvre rapidement. Seulement, qu’est-ce qu’une niche fiscale ? Il n’existe aucune définition légale ! Prenons un exemple de soi-disant niche fiscale :

L’abattement de 40% sur les dividendes. Pourquoi ne s’agit-il pas d’une niche fiscale ? Tout simplement parce qu’il sert à éviter une double imposition économique.

Pour celles et ceux qui se sont inscrits en droit fiscal 8ème langue vivante et mathématiques 9ème langue vivante, nous allons faire un peu d’archéologie fiscale pour leur permettre de bien comprendre. Autrefois, l’abattement était de 50%. Lorsqu’une entreprise réalisait un bénéfice de 100 €, elle devait payer 33,33 € au Trésor Public au titre de l’impôt sur les sociétés. Elle pouvait donc distribuer, de façon arrondie, 66,66 € de dividendes à ses actionnaires. L’actionnaire, via l’abattement autrefois de 50%, n’était imposable que sur 33,33 € (66,66 € - 50% x 66,66 €). L’idée était d’éviter de taxer deux fois un même revenu, car il n’y a pas de création de richesse lors de la distribution du dividende aux actionnaires.

Et puis, sous la présidence de Jacques Chirac, l’abattement a été réduit à 40% et les tranches de l’IR ont été réévaluées pour permettre de compenser cet abaissement de l’abattement. Et depuis, l’abattement a été maintenu à 40% mais les tranches de l’IR ont été gelées. En tout état de cause, ce n’est pas une niche fiscale et il en va de même de beaucoup de dispositifs perçus comme des « niches fiscales ». Dans de telles conditions, que faire ? Comment distinguer la vraie niche fiscale de la fausse ? Comment savoir si elle est confortable pour le contribuable ? Est-ce d’ailleurs bien raisonnable de comparer le contribuable à un chien dans une niche ?

Du gouvernement de Jean-Marc Ayrault ou celui de François Fillon, quel est le "responsable" de cette augmentation de 1 million de foyers imposables ?

Thomas Carbonnier Le gel du barème de l’impôt sur le revenu a été instauré en novembre 2011 par François Fillon pour une période deux ans, au titre des impôts payés en 2012 et 2013. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault n’a jugé bon de détricoter cette mesure fiscale. Il y a donc une co-responsabilité.

Quelles sont les conséquences de cette complexité fiscale ?

Thomas Carbonnier: Face à l’instabilité et à la complexité sans cesse croissante de la fiscalité, les entreprises ont beaucoup de mal à se projeter dans le futur. Le président François Hollande ne cesse de répéter qu’une pause fiscale est nécessaire mais, pour l’instant, la traduction juridique va dans le sens contraire. Pire, après la taxe à 75%, le gouvernement envisage même de taxer l'excédent brut d’exploitation des entreprises ! Autrement exprimé, il envisagerait de pénaliser la capacité d’investissement des entreprises. Cette mesure est plutôt inquiétante en période de crise économique où justement il serait judicieux d’encourager les entreprises à investir. Cette taxe viendrait alors s’ajouter aux 150 taxes, redevances, contributions et impôts déjà existantes ! Il y avait certainement d’autres mesures fiscales à prendre.

A cette complexité fiscale s’ajoute une réalité de terrain qui montre que les PME françaises sont engagées dans une course comparable à celle d’une course d’athlétisme. Le coureur français s’est bien entrainé et semble avoir toutes ses chances pour gagner. Toutefois, la nuit précédant la course, l’athlète français est réveillé chaque heure pour toutes sortes de problèmes (Urssaf, Fisc, RSI, droit du travail complexe et instable). Pendant ce temps-là, l’athlète allemand est bichonné et a droit à une nuit vraiment très reposante. A votre avis quel coureur a le plus de chances de gagner la course ?

Si généralement le fisc est assez enclin à reconnaître son erreur lorsque celle-ci est manifeste, il n’en va pas de même de d’autres administrations. Si le Trésor Public rembourse spontanément un trop perçu d’impôt, d’autres organes taxateurs ont tendance à ne jamais faire d’une telle spontanéité.

Il faudrait également améliorer les relations entre les contribuables et les administrations publiques. Si les Centres d’Impôts de Paris 6ème (services dignes des brigades du tigre : grande écoute, efficacité et forte réactivité !) ou de Paris 17ème (un grand bâtiment noir à l’architecture soviétique, un vrai « Camarade » Fiscaliste) réservent généralement un bon accueil à leurs contribuables, celui de Paris 15ème situé rue du Général Beuret offre souvent un accueil épouvantable avec beaucoup de contrôleurs (pas tous, heureusement !) assez peu enclins à renseigner le contribuable.

Gilles Saint-Paul : La complexité aggrave les difficultés de planification pour les entreprises, mais également pour l’État qui a du mal à calculer la fiscalité optimale état donné le grand nombre de paramètres à ajuster et qui peut être coincé dans une situation de "trappe" où il faudrait revoir tout le système mais où l'on ne considère que des modifications marginales (changement d'un taux sans toucher au reste, introduction d'un nouvel impôt à taux faible) qui ne changent pas grand chose. Par ailleurs cette complexité est génératrice d'inégalités dans la mesure où de nombreux impôts ont une incidence complexe et ne frappent pas nécessairement les catégories de population que l'on voudrait.

Un impôt efficace est-il un impôt simple et clairement identifiable ?

Gilles Saint-Paul : Un impôt efficace est un impôt à taux faible avec une base fiscale large. La TVA, L'IS ou l'IRPP sont des impôts "efficaces" dans la mesure où leur base fiscale est large. Bien entendu leur taux ne peut être faible que dans la mesure où les dépenses publiques ne sont pas excessives, ce qui n'est hélas pas le cas en France.

En revanche, les impôts à taux élevés avec une base réduite, telle que la stupide taxe à 75 % ne s'appliquant qu'à un millier de salariés, créent des distorsions importantes et rapportent peu. La simplicité, en outre, facilite le débat et la transparence et évite que l'on soit coincé dans des situations peu optimales. Enfin il existe un certain nombre de principes simples et puissants que l'on a hélas tendance à oublier. Taxer le capital est inefficace parce que le capital c'est du revenu passé qui a été investi, et qui a donc été déjà taxé une fois en tant que revenu. Taxer le travail des travailleurs les plus talentueux est inefficace parce qu'on décourage leur effort qui est socialement très valable. Il n'est pas efficace qu'un chirurgien de haut niveau ne travaille que quatre jours par semaine à cause des impôts ou que les meilleurs footballeurs qui génèrent des centaines de millions de revenus pour les chaines de télévision quittent la France à cause la fiscalité confiscatoire. La fiscalité n'est pas là pour humilier les riches mais pour financer les dépenses publiques.

Pourquoi, de gauche comme de droite, aucun gouvernement n'a opéré une véritable simplification fiscale ? Quelles doivent-être les priorités de réformes pour amorcer un "choc de simplification fiscale" ?

Thomas Carbonnier : Pour réaliser un choc de simplification fiscal, il serait nécessaire de sortir de l’idéologie et d’agir comme un chef d’entreprise. Il faudrait supprimer de nombreux impôts complexes, coûteux à recouvrer et en définitive peu rentables. Dans cet état d’esprit, la mise en place d’une « flat tax » à l’instar des pays de l’ex-URSS (taux unique inférieur à 15%) serait une piste intéressante.

La piste de la baisse des impôts est bien entendu un moyen de redonner du pouvoir d’achat aux Français. Rappelons que le ministre néo-zélandais Maurice McTigue avait ainsi déclaré dans les années 1980 : « nous avons réduit de moitié le taux de l'impôt sur le revenu et supprimé un certain nombre de taxes annexes. Paradoxalement, les recettes de l'État ont augmenté de 20 %. Oui ! Ronald Reagan avait raison : réduire les taux de l'impôt a effectivement pour conséquence l'augmentation des recettes fiscales».

Oui mais encore serait-il nécessaire d’avoir des hommes et femmes politiques disposant de vraies convictions et non de convictions girouettes dictées par des sondages d’opinion. Ce sont des personnalités fortes telles que celles de Margaret Thatcher ou du Général de Gaulle qui nous permettraient de redonner l’envie de réussir en France ! La confiance d’un peuple ne se décrète pas. Elle se gagne par des actes. A titre d’exemple, pendant son mandat de Premier ministre, lors de la guerre des Malouines, Madame Thatcher n’avait pas hésité à écrire des lettres manuscrites personnalisées à toutes les familles ayant perdu un être cher au combat pour défendre l’Empire britannique ! Le président de la République ou le Premier ministre en feraient-ils autant en cas de guerre en Syrie ou se contenteraient-ils d’envoyer une lettre standardisée ?

En cette période de crise économique, notre pays a réellement besoin d’une personnalité forte qui serait capable de susciter une très grande confiance tous bords politiques confondus au sein de la population. C’est alors que des efforts collectifs pourront être faits pour redresser la barre de l’économie française.

Gilles Saint-Paul : Les gouvernements surfent sur la complexité, la multiplication des nouveaux impôts et l'opacité pour "faire avaler la pilule". Une simplification radicale aurait des effets bénéfiques sur l'économie. On pourrait envisager un impôt sur le revenu avec seulement deux taux, par exemple, et un taux de TVA unique pour tous les produits, ainsi qu'un IS à taux unique. On pourrait supprimer toutes les niches et tous les autres impôts. Cela supprimerait de nombreuses distorsions, augmenterait l'incitation au travail et introduirait de la transparence dans le niveau de prélèvements obligatoires. 

Mais de telles réformes sont limitées tant que l'on ne s'attaque pas au niveau des dépenses publiques. En effet même s'il est louable de supprimer des impôts et de s'attaquer à toutes sorte d'effets de seuil, il n'en reste pas moins que les taux d'imposition des taxes simplifiées resteront extrêmement élevés.Le vrai débat porte donc sur la réduction des dépenses publiques ce qui impose une remise en cause de notre Etat-providence, du champ d'intervention des administrations, et de réels gains de productivité dans le secteur public.

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