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Il n'y a pas que le FN : la vague des partis populistes continue de monter en Europe
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Le point

Alors que la reprise économique tarde à venir, le poids des formations populistes n'a cessé d'augmenter avec la crise et certaines se sont particulièrement faites remarquer, comme le mouvement "5 étoiles" de Beppe Grillo. Une dynamique qu'il faudra continuer d'analyser mais qui connaît certaines limites.

Jean-Yves Camus

Jean-Yves Camus

Chercheur associé à l'Iris, Jean-Yves Camus est un spécialiste reconnu des questions liées aux nationalismes européens et de l'extrême-droite. Il est directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et senior fellow au Centre for the Analysis of the Radical Right (CARR)

Il a notamment co-publié Les droites extrêmes en Europe (2015, éditions du Seuil).

 

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Atlantico : A l'occasion des législatives allemandes, le parti anti-euro "Alternativ fur Deutschland", créé cette année, pourrait totaliser plus de 5% des voix. Peut-on pour autant affirmer que l'on enregistre, au regard de cette actualité, une poussée des formations populistes en Europe ?

Jean-Yves Camus : L’exemple est ici assez particulier car "l’Alternative pour l’Allemagne" est un parti eurosceptique qui se situe au moins autant à droite que la CDU et la CSU qui viennent de remporter une victoire significative en Bavière. Ainsi, l'AFD est davantage un parti que l'on pourrait ranger dans le "mainstream" démocratique. Les dirigeants du parti sont des gens qui appartiennent à l’élite, on y compte un grand patron (Hans Henkel), deux éditeurs de journaux connus et des économistes qui issus du milieu universitaire. Ce n’est donc pas un parti né uniquement d’une protestation anti-élite.

Il faut rappeler qu'en Allemagne, le système électoral ne favorise par l’émergence des petits partis, d'autant plus que l'histoire allemande jette une sorte de discrédit automatique sur les formations radicales. Cela explique notamment que le NPD (parti national-démocrate) n'a pas réussi à franchir la barre de la représentation fédérale alors que localement le parti s'est plutôt comporté de manière honorable.

Il est effectivement très rare en Allemagne que des partis émergents réussissent à franchir ce seuil et l'exception du parti de gauche Die Linke est assez particulière. Il s'agit là d'une formation qui a su capter l’immense potentiel des anciens communistes, base électorale dont ne disposent pas forcément les autres partis dits "populistes".

Il faut rappeler par ailleurs que nous sommes à la 4ème vague de partis populistes en Europe, bien que certains universitaires ne soient pas toujours d'accord sur le nombre de ces vagues. Depuis 1945, on a ainsi vu émerger plusieurs élans populistes qui répondent cependant à des contextes variés. Les partis populistes scandinaves sont par exemples issus d’une matrice particulière : celle de la protestation, anti État providence, avec des racines idéologiques et historiques très différentes des autres formations. On arrive maintenant à la vague suivante avec des partis comme celui de Geert Wilders en Hollande. Les populistes scandinaves que je mets dans la même sous-famille sont des partis populistes, eurosceptiques, souvent xénophobes, hostiles au multiculturalisme et sont des excroissances d’une droite qui n'est pas similaire à ce que l'on appelle l’extrême droite historique.

En Norvège, le Parti du progrès est sur le point d'accéder au pouvoir. Où en sont les partis populistes en Europe notamment dans les pays où ils occupent le pouvoir ?

Il est difficile de mettre dans la même catégorie les partis néo-fascistes comme le Jobbik hongrois et le Parti du progrès norvégien qui essaie de former une coalition avec les mouvements du centre-droit. La frontière du terme "populiste" est particulièrement floue. Pas sûr qu'on puisse y mettre le Premier ministre Hongrois Viktor Orban que certains décrivent pourtant comme un homme quasiment d'extrême droite. Le NPD allemand, comme l'Aube Dorée grecque sont en revanche incontestablement des partis néo-nazis. La famille des droites populistes souvent xénophobes et généralement souverainistes qui existe en Europe et qui aujourd'hui exerce des responsabilités est extrêmement différente dans sa nature. Elle n'a pas les même racines historiques et idéologiques que l'extrême droite traditionnelle. Avec cette famille qui comprend les populismes scandinaves, le parti de Geert Wilders en Hollande, l'AFD allemand et le FN qui évolue dans ce sens, quelque chose de nouveau se passe en Europe et nous impose de penser la réponse politique à apporter à ces populismes autrement que le prisme traditionnel de l'antifascisme. De toute évidence, on n'est pas en face d'objets qui peuvent être ramenés à la Seconde Guerre mondiale.

Pour ce qui est de la Norvège, le phénomène n'est pas entièrement nouveau puisque historiquement les partis populistes scandinaves sont les premiers en Europe. Ils naissent dès le milieu des années 1970 sur un programme qui est moins xénophobe qu'anti-Etat et anti-impôt. Leur programme a évolué au fur et à mesure que les pays scandinaves qui étaient ethniquement et religieusement très homogènes se sont diversifiés et que le multiculturalisme a commencé à poser problème à une partie de l'électorat. Économiquement, ces partis sont également très divers. Ils sont pour l'économie de marché. Certains sont anti-européens. C'est le cas en Norvège et en Finlande. D'autres, en Suède et au Danemark, sont plus modérés bien que favorables à une Europe des nations. Le Parti du progrès est un cas unique car la situation du pays est singulière. La grande question en Norvège pour les partis populistes, hormis la question du multiculturalisme, est celle de l'utilisation de la manne pétrolière. La Norvège investit les revenus du pétrole et du gaz dans un fonds souverain afin de sécuriser le niveau de protection sociale des générations futures. Pour le parti populiste norvégien, cet argent est aux Norvégiens et ne doit profiter qu'aux Norvégiens. Il se montre également hostile à une thésaurisation excessive dans un contexte social difficile. L'idée est de dépenser maintenant l'argent qui rentre dans les caisses maintenant. Ils réclament un État qui protège encore davantage.

Qu'en est-il des partis nés dans les "pays du Club Med" comme Aube Dorée ou le M5S de Beppe Grillo ? Ont-il un réel avenir politique ?

Ces deux exemples sont très différents. Aube Dorée peut être vu comme un parti néofasciste, qui n'hésite pas parfois à emprunter la symbolique nazie. Pour expliquer son succès électoral, il faut bien prendre en compte la situation dans laquelle se trouve la Grèce actuellement. Il y a un refus croissant des conditions imposées par la Troïka au redressement économique public. Ce mécontentement est capté à gauche par deux formations comme Syriza et le Parti communiste mais cette dynamique s'est aussi retrouvé à droite. Bien qu'il n'ait pas été d'un parti d'importance pendant des années il a su profiter du discrédit du Front hellénique, autre formation d'extrême droite qui a été associé aux politiques de rigueur dès qu'il est entré dans le gouvernement. Lorsque l’on entre dans le système, on quitte le politique. En même temps, Aube doré, qui vivait comme un groupuscule quasi-législatif depuis près de vingt ans avec des scores d’à peine 1% des voix, a eu l’intelligence tactique de rentrer dans ce créneau et en a tiré les bénéfices mais on ne sait pas si c’est un phénomène durable.

Le M5S est quant à lui une sorte d'OVNI politique. Il y a beaucoup de débats en Italie sur la nature idéologique et la manière dont il faut le classer. C’est un mouvement qui prône la démocratie directe, l’abolition de tous les privilèges de la "classe dominante" et de la connivence médiatico-politique. En même temps, d'aucuns ont cru voir des liens, des ressemblances avec l’extrême droite traditionnelle qui sont en fait absentes. Il y a des déclarations sur l’immigration, le multiculturalisme, divers points de politique extérieure, notamment l’Iran, qui ont fait que l'on a beaucoup assimilé le M5S à l’extrême droite. La vérité c’est qu’il s’agit d’un parti très hétérogène et que l'on n’est pas certain que Beppe Grillo soit réellement aux commandes. L’associer à l’extrême droite me paraît donc péremptoire.

L'exemple de Beppe Grillo, qui a échoué à imposer sa formation au Parlement en dépit de scores impressionnants (25%), démontre t-il, malgré tout, que les partis populistes sont toujours confrontés au "barrage du pouvoir" ?

Dans le cas particulier de Beppe Grillo, il faut rappeler qu'il a d’abord été confronté au problème de l’exercice de pouvoir au sein de son propre mouvement. Lorsqu’il a fallu voter la confiance, son propre groupe parlementaire était divisé entre ceux qui campaient sur une position résolument anti-système et ceux qui voulaient peser sur les choix gouvernementaux à travers la négociation. La posture de l'opposition devient effectivement problématique une fois que l'on a été porté au pouvoir. On ne gouverne pas contre, on gouverne avec des mesures et des propositions. C’est d'ailleurs bien pour cela que Marine Le Pen dans son discours de Marseille a déclaré que "nous vivons dans un monde complexe". Cela s'interprète comme un message à son électorat, et surtout comme une volonté de légitimer sa position dans l'optique d'une conquête du pouvoir. Il s'agit là d'un phénomène relativement nouveau, et qu'il sera important de suivre.

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