Ce que la crise a vraiment coûté et à qui<!-- --> | Atlantico.fr
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Fin 2011, un rapport de la Fed avait fait grand bruit en révélant un certain nombre de coûts cachés des opérations de renflouement.
Fin 2011, un rapport de la Fed avait fait grand bruit en révélant un certain nombre de coûts cachés des opérations de renflouement.
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Série : la crise 5 ans après

Selon les calculs du site La Tribune, la crise aurait coûté à l'économie française 7 ans de croissance. En 2013, le revenu par habitant devrait retomber plus bas que son niveau de... 2005. Après avoir cherché à identifier les responsables de la crise, ce deuxième épisode de notre série "La crise cinq ans après" tente d'en évaluer le coût (et d'en identifier les victimes).

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Quand il s'agit d'évaluer le coût de la crise, la bataille des chiffres fait rage aussi bien du côté des Etats ou que du système financier pour tenter de le minimiser voire pour mettre l'accent sur les bénéfices qui auraient finalement pu en être tiré. Cinq ans après la chute de Lehman Brothers (voir ici les calculs du journal La Tribune), avons-nous réellement une idée de ce que le sauvetage du système financier a coûté ?

Mathieu Mucherie :Objectivement, non. D’abord parce que le processus n’est pas terminé. Il faudrait du recul. Ensuite parce qu’il est délicat d’établir une ligne de partage entre ce qui relève de l’aide directe et ce qui relève de mécanismes de garanties (explicites ou non, activés ou non) ; par exemple, il faudra vraiment me dire comment chiffrer le coût des LTRO (Long term refinancing operation) en zone euro, ou à combien se monte l’appui des décideurs allemands pour leurs banques régionales vérolées. Enfin, la crise n’étant que marginalement financière, il est à craindre que le chiffre qui ressortirait au final n’ait aucun sens. Il y a aussi des coûts d’opportunité bien délicats à chiffrer. J’ajoute que si la FED et le contribuable américain n’avaient pas payé pour les CDS (couvertures de défaillance, ndlr) d’AIG du coté de septembre 2008, de grandes banques européennes que je ne nommerais pas auraient fait faillite, avec tout ce que cela implique sur nos finances privées et publiques ; c’est le genre de chose qu’on oublie vite et qui oblige à raisonner globalement et contre-factuellement à propos de la facture. Difficile ! 

Fin 2011, un rapport de la Fed avait fait grand bruit en révélant un certain nombre de coûts cachés des opérations de renflouement. Cette pratique a-t-elle eu court dans d'autres pays que les Etats-Unis ? Dans quelles proportions ?

Il faudrait pour le savoir comparer avec les coûts visibles et invisibles d’un non renflouement (cf Lehman). Pour moi, il y a déjà une forme de subvention cachée à partir du moment où on passe par des QE (quantitative easing) plutôt que par de la monnaie « hélicoptère » ou monétisation directe (qui ne passe pas par les intermédiaires financiers). En gros, Irving Fisher en 1935 ou Milton Friedman en 1948. Mais c’est un autre débat…

Pour en savoir plus, retrouvez notre article sur : Le vrai coût du sauvetage des banques américaines.

Les politiques d'injections monétaires post-crise ont-elles par ailleurs permis de réduire l'impact financier de la crise sur les budgets des Etats, et dans quelle mesure ?

Les « injections » de liquidités (je déteste cette expression, qui suggère des dons alors que ce sont des prêts, et prêter au dessus de 0% à des établissements espagnols en pleine déflation ce n’est pas les aider) ont souvent constitué des diversions, comme au Japon naguère les zombies ont proliféré tandis que les moteurs de la crise (la spirale de debt-deflation, l’euro cher, la crise de confiance à la périphérie induite par le refus de la BCE de tout achat d’actifs), des moteurs monétaires, restaient et restent en parfait état de fonctionnement. Les « injections » ont retardé la détente monétaire qui s’imposait, elles constituaient peut-être des détentes bancaires mais tout ce qui s’écarte d’une détente monétaire en plein dans une crise monétaire fragilise d’abord les banques et les Etats. Souvenez-vous de 2007, où la BCE fanfaronnait après ses injections massives : la crise ne traversera pas l’océan, ah ça non ! 

Petite parenthèse. En septembre 2012, c’est Cembalest (de JP Morgan) qui rappelait que selon les estimations de sa maison sur les 410 milliards d’euros de l’ensemble des plans de sauvetage destinés à la Grèce au cours des deux dernières années, « il est probable que seulement 15 milliards d’euros soient entrés dans « l’économie réelle » de la Grèce. Le reste a été utilisé pour sauver ou protéger les créanciers publics et privés ». Je referme la parenthèse. Le monétarisme est supérieur au créditisme mais personne ne veut en entendre parler, alors on reste dans la distribution opaque de petits cadeaux qui ne changent rien au fardeau.

Un rapide bilan après 5 ans montre que certains établissements financiers ont été renfloués et n'ont pas fait faillite. Aujourd'hui, ils renouent avec les bénéfices, sont-ils finalement les grands gagnants sur le plan comptable ? Est-ce plus vrai aux USA qu'en Europe ?

Une crise monétaire, immobilière et bancaire dans ses manifestations les plus visibles, ne profite pas aux banques, mêmes aux plus grosses. Les prêts non performants gonflent, l’opinion publique cherche des boucs émissaires et les gouvernements s’agitent avec de nouvelles réglementations, et en zone euro les marchés se recloisonnent ce qui est très négatif pour les banques. Ceci dit, les établissements américains sont favorisés (comparativement) par la politique monétaire de la FED, bien moins accommodante qu’on ne le dit mais bien moins autiste que la BCE. Les financiers ont besoin de croissance, parce que la finance implique du levier, et avec le levier si la récession et la déflation s’installent tout le système vole en éclats. A charge pour les banquiers centraux de stabiliser l’activité (le PIB nominal) et d’agir en dernier ressort si des segments mêmes petits sont menacés (du fait du caractère systémique du secteur). De nos jours, la valeur des banques dépend crucialement du niveau d’engagement de la banque centrale. Si vous ne me croyez pas, regarder la valeur des banques européennes et américaines.    

Qu'en est-il des Etats ? Ont-ils été "les dindons de la farce" ou en ont-ils également profité ?

Je ne sais pas ce que c’est, l’Etat, ça n’existe probablement pas. Par contre, je connais des fonctionnaires et des politiques. Ils n’ont pas gagné grand-chose avec cette crise : ils ont encore transféré des prérogatives de pure puissance publique aux banquiers centraux, et les dettes publiques montent, montent. Ils n’ont pas perdu grand-chose non plus. C’est l’avantage de la sécurité de l’emploi (chez les fonctionnaires) et du manque de concurrence sur le marché politique (chez les élus). Mais faible risque, faible rendement.

Est-il envisageable de considérer que la crise n'ait pas coûté plus que ce qu'elle a finalement rapporté ?

Une crise grave est par définition une sorte de guerre, une vaste perte sèche pour toute la collectivité, presque impossible à chiffrer et avec des conséquences sur plusieurs générations. Ce n’est pas parce que certains perdent moins que d’autres, ou parce que parfois exceptionnellement quelques petits malins profitent de la crise, que ce n’est pas un gigantesque gâchis.  

Finalement, qui a payé la facture de la crise ?

Il y a la facture patrimoniale et la facture économique. La première est toujours payée par les riches (puisque les pauvres n’ont pas de patrimoine) : des pertes sur les actions et, en dehors de la France, sur l’immobilier. Ce sont plutôt des vieux. La deuxième est toujours payée par des salariés, des chômeurs, des entrepreneurs et des contribuables. Ce sont plutôt des jeunes, et certains sont encore dans le ventre de leurs mères (je veux parler de toutes ces dettes gonflées par la déflation entretenue par la BCE, et qu’il faudra bien pousser comme Sisyphe). Entre ces deux catégories, le rapport à l’inflation n’est pas du tout le même, c’est pourquoi le débat de politique économique se fera de plus en plus monétaire. Y compris en matière d’économie politique. Car à l’exception de la BCE, qui vient encore de récupérer de nouveaux pouvoirs, je ne vois pas bien qui pourrait prétendre que les six années que nous venons de passer ont été fort sympathiques, pleines de tendresse et pas du tout menaçantes pour l’avenir.

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