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Dans le détail des ressorts de la poussée du FN
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Eclairage

En recoupant ses différentes études passées et récentes, l'Ifop a pu établir l'évolution de la dynamique frontiste et les ressorts de celle-ci. Des éléments d'autant plus essentiels que la popularité du Front national ne cesse d'augmenter.

Grâce à ses nombreuses études recoupées entre elles, l'Ifop a établi un important document qui illustre les ressorts de la dynamique de progression du Front national à travers différents axes : sensibilité politique, catégories sociales, lieux de vie, sentiment d'abandon de la part des services publics et autres. Atlantico a fait analyser ces résultats par Jérôme Fourquet, le directeur du département opinion publique de l'Ifop et le politologue Christophe de Voogd.

Christophe de Voogd :  Tout d'abord deux points essentiels de méthode : les ressorts de la poussée du Front national doivent être analysés sans a priori : trop souvent l'analyse est faussée par des considérations de valeur, des a priori idéologiques et du wishful thinking qui masquent la réalité des choses : ainsi du long refus de voir l'attraction croissante du Front national sur les classes populaires, censées avoir le coeur à gauche...

Ensuite il faut aborder la question au plan des représentations de l'électorat. Je suis un adepte convaincu de l'histoire des représentations ou plutôt de l'approche de l'histoire par les représentations des acteurs. Que ces représentations - comme le sentiment d'insécurité ou de n'être pas entendus -  soient fondées n'est pas la question : car c'est en fonction de leurs représentations que les électeurs votent ! Et la prise en compte de ce double fait me parait indispensable pour mettre sur pied une stratégie d'opposition résolue, indispensable et efficace contre le FN.

Progression du FN entre les deux tours en cas de duel

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Évolution du pourcentage de bonne opinion de Marine Le Pen

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Jérôme Fourquet : Le principal enseignement de ces données est bien évidemment qu’il y a une dynamique positive en faveur du Front national qui se traduit à travers différents indicateurs : les élections législatives partielles ont été particulièrement révélatrices mais aussi dans cela se retrouve aussi globalement dans l’évolution de d’opinion. Sur le cas des partielles,  on constate que dans un duel contre la droite, le Front national est en position de progresser fortement voire de manière spectaculaire puisqu’il y a une explosion de 20 points dans l’entre deux tours. Historiquement, c’était face à la gauche que l’on constatait ce genre de résultats via un bon report de la droite. On observe donc que le parti possède une très importante marge de progression y compris dans des scrutins généralement peu mobilisateurs comme les législatives partielles où son électorat à lui se surmobilise notamment au second tour.

Dans une proportion moindre que ce qu’on a voulu dire, il existe tout de même un petit réservoir à gauche. Quand on regarde cette dynamique on constate tout de même qu’elle vient essentiellement de la droite où la popularité de Marine Le Pen a explosé depuis l’élection de Nicolas Sarkozy où elle était assez bas.

Christophe de Voogd : Les tableaux de report des voix de gauche aux élections partielles est particulièrement intéressant et instructif, car il montre un phénomène que nous repérons depuis de longs mois à la Fondapol mais qui ne semble être perçu ni à gauche ni même à droite : le vote qui n'a rien de marginal d'électeurs de gauche pour le FN au second tour en cas de  duel FN/ droite. "Cette France de gauche qui vote à l'extrême droite", pour reprendre le titre d'un article pionnier de David Valence dans notre blog à propos des cantonales de 2011, représente parfois 20% des électeurs de gauche de premier tour. Fait largement ignoré par les politiques et les médias de gauche de qualité, comme Le Monde. On cherchera ainsi en vain trace du phénomène dans l'enquête de ce journal sur la montée du Front national, ce dernier week-end. Car il y a là quelque chose de tout simplement impensable pour une conscience de gauche: seule la droite peut voter pour l'extrême droite, n'est-ce pas ? D'où tous les efforts de tant de médias, contre l'évidence des chiffres, pour expliquer la hausse formidable des scores du FN entre les deux tours par la seule mobilisation des abstentionnistes : vos tableaux montrent que cette mobilisation n'est que seconde par rapport au vote FN de la gauche... Le phénomène s'était d'ailleurs produit dès les législatives de 2012 notamment dans le cas de Menton, où l'électorat de gauche y compris socialiste s'est en partie reporté sur la candidate FN qui a doublé son pourcentage entre les deux tours. Qui l'a remarqué ?

Pourcentage d'électeurs du Front national en fonction de la classe sociale (à laquelle ils estiment appartenir)










Jérôme Fourquet : La dynamique frontiste n’est plus uniquement politique, elle est également sociologique. Son assise dans les milieux populaires se renforce et se développe. Lorsque l’on regarde les pourcentages d’électeurs du FN qui se revendiquent des classes défavorisées ou du bas de la classe moyenne, il est clair que c’est en grande partie dans ce segment là de la population qu’ils se recrutent. C’est une question qui pourrait interpeller la gauche dans le sens où ces catégories avaient historiquement une propension à voter à gauche mais ne l’ont plus, et chaque jour un peu plus de ceux qui appartiennent à ces classes se tournent vers le Front national. Quand à la droite, elle devrait se poser la question de sa porosité avec le Front national. C’est cette capacité à faire feu de tout bois qui rend le Front national puissant et qui l’ancre dans une dynamique positive.

Cependant, il est clair qu’il s’agit en partie d’un vote de crise et les choses allant au train où elles vont une poussée du vote frontiste est à prévoir. Le seul plafond que peut rencontrer le FN est celui de sa volonté éventuelle d’institutionalisation. En effet, par ce biais il pourrait se déconnecter, en allant chercher des électeurs moins radicaux, de son électorat qui veut « renverser la table » et qui rejette le système « UMPS ». Cela n’est toutefois pas encore prête d’arriver et ne sera probablement pas nécessaire à un Front national qui devrait atteindre les 20 ou 25% de votes dans les prochaines scrutins de dimension nationale. Certains voient cette évolution comme inexorable et pensent que la prochaine étape est la conquête du pouvoir. Il semble toutefois qu’on en soit loin, et un FN qui s’ancrerait à 25% sur le long terme serait déjà un véritable schisme dans le paysage politique français.

Christophe de Voogd : Cet essor correspond à la montée d'un triple sentiment envahissant d'insécurité. Insécurité tout court devant l'extension des faits de violence et des cambriolages. Insécurité sociale devant la hausse continue du chômage et la crise de l'Etat-providence. Insécurité culturelle devant les périls ressentis face à une immigration, une mondialisation et une "européanisation" dont ces catégories sociales n'ont justement pas les "clefs culturelles." Un sentiment de déperdition "patrimoniale", aussi bien matériel que symbolique, comme le dit Dominique Reynié dans son livre "Populisme, la pente fatale".

Évolution des scores électoraux en fonction de la distance aux aires urbaines


Poids des catégories populaires dans le vote en faveur du Front national

Jérôme Fourquet : Marine Le Pen a clairement identifié le phénomène d’augmentation de son électorat dans les parties les moins urbanisées du pays. C’est d’ailleurs un thème qui se retrouve parfaitement dans ce qu’elle appelle les invisibles, c’est à dire la France des petites villes, des sous-préfectures, qui vivent en périphérie des grandes agglomérations. Derrière ces éléments, on retrouve un phénomène sociologique puisque c’est là que se concentre une très importante partie des classes les moins favorisées. Soit parce que celles-ci y étaient déjà présentes et que les activités économiques présentes ne permettent pas l’émergence d’une classe aisée soit parce qu’elles y ont été repoussées par la hausse des prix de l’immobilier. On y retrouve donc un sentiment d’abandon – d’être citoyen de seconde zone – à cause du nombre moins important de services publics. Dans ces zones, les gens sont beaucoup plus tributaires des véhicules personnels, ce à quoi Marine Le Pen est extrêmement sensible. La création d’une taxe sur le diesel, dont on parle beaucoup en ce moment, mettrait clairement « le feu à la plaine » dans ces territoires. Marine Le Pen engrange donc sur un discours disant peu ou proue « vous n’êtes ni la France des villes ni celles des banlieues donc tout le monde vous oublie ». Ces zones sont également très touchées par l’augmentation de l’insécurité avec notamment une augmentation des cambriolages. Enfin, ces territoires ont un rapport très particulier avec les grandes mutations de notre pays notamment l’apparition des populations d’origines immigrées et la déconnection progressive avec l’économie monde.

Christophe de Voogd :  Cette enquête montre sur tous les plans la croissance du Front national : essor sociologique avec l'adhésion croissante des classes populaires chez qui il fait désormais jeu égal avec la gauche. Essor qui touche de plus en plus les classes moyennes inférieures et des catégories jusque là "préservées", comme le seniors et les ruraux. Sur le plan géographique, la concentration du vote FN sur le péri-urbain est frappante et traduit les mouvements de la population modeste vers ces zones en raison du coût du logement dans et près des grandes agglomérations. Or, cette mobilité se traduit souvent par une déception et une perte des repères sociaux dans des régions souvent sinistrées économiquement et où le "lien social" fait défaut.

Pourcentage des électeurs considérant ne pas être suffisamment aidés par l’État et les pouvoirs publics en fonction du vote à l'élection présidentielle de 2012

Jérôme Fourquet : C’est clairement l’un des fonds de commerce historique du FN que Marine Le Pen a remis au gout du jour avec cette fameuse notion des invisibles que j’évoquais précédemment. Manque de services publics, absence de bénéfices du système social auquel je contribue, etc. Ce qui fait que Marine Le Pen engrange plus sur le sujet que Jean-Luc Mélenchon c’est qu’une partie de son argumentaire correspond plus aux valeurs des Français de ces territoires. En effet, au-delà des questions économiques où les deux programmes sont proches, Marine Le Pen prend en charge les questions de mutation du modèle culturel, de l’immigration là ou Jean-Luc Mélenchon prône le métissage. La question de l’augmentation de l’insécurité ne devrait pas tarder à revenir sur le tapis à cause des nombreux faits divers qui ont agité la France notamment celui du bijoutier de Nice. Là encore, le discours du leader du Front de gauche n’apporte pas de réponse. De plus, il impossible de reprocher au Front national de traiter de ces sujets par électoralisme puisqu’ils le font depuis 25 ans.

Ce que révèlent les différentes études que nous avons mené, c’est que la grille de lecture de Marine Le Pen correspond au ressenti des Français au quotidien. Cela est d’autant plus renforcé que la crise politique est une crise du résultat : on a essayé la droite, on a essayé la gauche et les gens ont l’impression que tout va de plus en plus mal d’où la tentation de l’alternative.

Christophe de Voogd : Cette situation globale et nouvelle rebat à mon sens totalement les termes du débat électoral et du positionnement des forces politiques par rapport aux FN : au lieu de tomber sans cesse dans le piège du "que voterez vous en cas de duel FN/ PS ?", comme vient de  le faire à ses dépens François Fillon, l'UMP pourrait et devrait renvoyer le PS au comportement de ses propres électeurs !

Enfin et surtout se dessine une nouvelle hypothèse politique qui affleure à peine dans le débat mais que nous étudions de près à la Fondapol : l'attraction croissante du FN sur les électeurs socialistes, attestée par toutes les enquêtes et les remontées du terrain (l'enquête du Monde est parlante à ce sujet) pourrait bien faire que le PS devienne tout simplement la 3ème force politique de France derrière UMP et FN et se trouve donc en position défavorable dans la plupart des triangulaires : bref la situation exactement inverse des législatives de 1997, où les triangulaires avaient été une machine à faire perdre l'UMP. 

Sans doute le mouvement ne sera-t-il pas universel dès les municipales, en raison de l'importance des considérations strictement locales ;  mais il pourrait bien d'ores et déjà concerner de nombreuses villes moyennes, ainsi que l'espace péri-urbain dont nous avons parlé. En tout cas, ce scénario me paraît d'ores et déjà acquis pour les Européennes.

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