Soutien record au bijoutier de Nice : comment répondre à l'exaspération grandissante des Français face aux délinquants ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis mercredi, une page Facebook intitulée "Soutien au bijoutier de Nice" a déjà attiré plus de 900 000 "fans".
Depuis mercredi, une page Facebook intitulée "Soutien au bijoutier de Nice" a déjà attiré plus de 900 000 "fans".
©Flickr / m.gifford

Loi du talion

Plus de 900 000 personnes sont devenues "fans" d'une page Facebook créée anonymement et intitulée "Soutien au bijoutier de Nice" depuis mercredi, date à laquelle un commerçant a tué un des braqueurs de son magasin.

Atlantico : Mis en garde à vue après avoir abattu l’un de ses braqueurs qui s’enfuyait, un bijoutier de Nice a reçu le soutien de plus de 900 000 personnes sur Facebook (ce samedi matin). Une information judiciaire pour homicide volontaire a été requise par le procureur de la République. Ce soutien massif et spontané est-il le reflet d'un mouvement d’exaspération d'une ampleur bien plus large ?

Alexandre Giuglaris : Ce mouvement de très grande ampleur montre deux phénomènes très intéressants. Le premier est que grâce à Internet et en particulier aux réseaux sociaux, les citoyens peuvent aujourd’hui contourner certains canaux traditionnels de diffusion des idées et des opinions, pour s’exprimer librement et se mobiliser en masse. Le deuxième est évidemment l’ampleur de l’exaspération populaire face aux conséquences multiples de la criminalité. Rassembler autant de gens en si peu de temps, comme l’avaient fait Joël Censier et l’Institut pour la Justice en 2012 pour réclamer une justice plus ferme et plus équitable, montre une grande exaspération mais également une impressionnante capacité d’indignation et de mobilisation.

Emmanuel Roux : Il semblerait que l’intervention du bijoutier soit, en droit, non conforme aux conditions de la légitime défense, qui demande une réponse immédiate et proportionnée. En l’occurrence la réponse était ni immédiate, ni proportionnée, car titrer sur quelqu’un qui s’enfuit ne correspond pas à la jurisprudence. Aucune valeur marchande ne vaut une vie, ni celle des bijoutiers, ni celle des braqueurs.

Des dispositifs importants existent. On compte sur le territoire français 400 référents sûreté qui sont mis à disposition de toutes les professions à risque. Dans chaque département des gradés de la police et de la gendarmerie sont habilités à délivrer des conseils. Le travail de sécurité de ces professions est à faire en amont.

Le mécontentement lié au braquage est compréhensif, mais aujourd’hui des dispositifs sont mis à disposition des professions à risque et peuvent diminuer considérablement les risques et les conséquences des braquages. Soulignons également que le plus souvent les agressés connaissent les agresseurs, et réciproquement. Les professions à risque ont peur de déposer plainte par peur des représailles. D’après une enquête de l’ONDRP, moins de 7 % des victimes n’ont pas déposé plainte par crainte de représailles. Le risque est donc très limité, il faut déposer plainte. Les conséquences dramatiques viennent souvent du fait qu’on n’a pas utilisé tous les moyens de prévention et de répression qui sont à disposition.

Comment s'explique cette exaspération ? Et est-elle entendue par les pouvoirs publics ?

Alexandre Giuglaris  Dans leur très grande majorité, les Français en ont assez d’une justice qui n’a pas suffisamment pour priorité de protéger les citoyens. Encore une fois, le braqueur de la bijouterie était un multirécidiviste ayant déjà été condamné à quatorze reprises et qui bénéficiait d’un aménagement de peine sous forme de bracelet électronique. Un multirécidiviste. Comme le principal suspect dans le meurtre de Jacques Blondel, le retraité héroïque de Marignane qui s’était opposé aux braqueurs d’un bureau de tabac. C’est encore un récidiviste qui est le principal suspect du viol et de l’agression très violente qui ont eu lieu à Colombes, il y a quelques semaines. Les Français constatent qu’il y a une insuffisance dans le suivi ou dans les condamnations des récidivistes. Un récent sondage montrait ainsi que 87% des Français, droite et gauche confondues, trouvait la justice trop clémente à l’égard des récidivistes.

Et quelle est la réponse du gouvernement et du projet de loi de Mme Taubira à cet unanimisme ? La suppression des peines plancher contre les récidivistes et d’autres mesures voulant aligner les condamnations ou les obligations des récidivistes sur celles des primo-délinquants. En clair, être récidiviste, n’entraînera plus automatiquement une sanction plus sévère. Et cela, alors même que les peines plancher n’ont été appliquées que dans moins de 40% des cas éligibles. On voit l’exaspération populaire qui touche de plus en plus de Français n’est pas entendue par certains. A tel point que le journal Le Monde expliquait avant-hier que dans les zones rurales des "tours de garde" de citoyens s’organisent.

Emmanuel Roux : Bien évidemment. Mais ce n’est pas tant l’exaspération que le risque qui est pris en compte. L’Etat met à disposition tout ce qu’il a entre les mains pour prévenir les drames. Mais on ne peut pas forcer les gens à s’équiper et à prévenir. Il y a auprès du ministre de l’Intérieur un inspecteur générale de la Police qui s’occupe des professions à risque à temps complet.

Pourrait-elle mener à des dérapages ? De quel ordre ?

Alexandre Giuglaris  C’est précisément cela qu’il faut éviter. La légitimité de l’Etat repose sur le fait que les citoyens s’en remettent à lui pour exercer le "monopole de la violence légitime" comme disait le grand sociologue Max Weber. En clair, chacun renonce à se faire justice lui-même dès lors que l’Etat le protège et met à l’écart les individus dangereux. Nous sommes aujourd’hui au bout d’un processus de plusieurs décennies durant lesquelles la situation de la délinquance s’est dégradée, durant lesquelles on a expliqué qu’il fallait toujours moins punir et toujours apporter d’autres réponses à la délinquance que la fermeté républicaine de l’Etat. On voit le bilan auquel tout cela a conduit : hausse de la criminalité et montée d’une telle exaspération dans la société que certains individus en viennent à penser qu’il faut qu’il se fasse justice ou se protège eux-mêmes. 

Emmanuel Roux : Ce n’est pas avec une arme sur son comptoir que l’on pourra évite un braquage. Il faut parler prévention, et cela fonctionne. Car désormais, ce bijoutier a deux drames dans sa vie : il a tué quelqu’un et il est mis en examen. La solution choisie était donc la pire.

Comment désamorcer la situation avant qu'il ne soit trop tard ?

Alexandre Giuglaris  Dans l’immédiat, il faudrait commencer par renoncer à la réforme pénale de Christiane Taubira. Ce serait un symbole d’écoute et de prise en compte de l’exaspération. Nous avons d’ailleurs lancé une grande pétition à laquelle chacun peut participer et qui a recueilli en quelques jours plus de 260 000 signatures. Ensuite, il faudrait que le gouvernement entende les cris de détresse de la population confrontée à la criminalité et change de politique pénale, avec pour unique priorité la baisse de la délinquance.

Il faut ensuite proposer une réforme de grande ampleur de notre justice pénale, avec comme ligne directrice, une justice plus protectrice des citoyens et plus équitable à l’égard des victimes. C’est ce que fait l’Institut pour la Justice. Et selon nous, cela passe notamment par la création d’au moins 20 000 places de prison ou par l’instauration d’un droit d’appel pour les victimes.

Emmanuel Roux :Les plus de 500 000 personnes mentionnées ont réagi d’un clic de souris. Ce n’est pas ainsi qu’on aide la police ou un bijoutier, car ce n’est pas l’aide la plus citoyenne ou courageuse qui soit. Le véritable courage, c’est de se mobiliser, de demander conseil aux spécialistes et de déposer plainte le cas échéant. On peut encore grandement améliorer les choses via des mesures de prévention situationnelles.

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