Je t'aime, moi non plus : pourquoi la question de l'avenir de l'UMP et du FN se pose autant en termes d'alliances potentielles que de luttes à mort<!-- --> | Atlantico.fr
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Près de la moitié des sympathisants UMP souhaitent des accords avec le FN aux élections locales.
Près de la moitié des sympathisants UMP souhaitent des accords avec le FN aux élections locales.
©Reuters

Meilleurs ennemis

Un sondage Ifop pour Atlantico publié ce samedi révèle que les militants UMP sont à 49% favorables à des alliances locales avec le parti frontiste. Mais selon les régions et la nature du scrutin, les intérêts des deux partis peuvent aussi bien diverger que converger.

>>> A lire, le sondage Ifop/Atlantico : 49% des sympathisants UMP en faveur d'accords avec le FN aux élections locales

Atlantico : Pour les élections municipales, quelles circonstances feront pencher la balance plutôt vers l'alliance ou vers la concurrence de l'UMP et du Front national (FN) ? Et selon quels scénarios ?

Jérôme Fourquet : Le règle sera d'abord la concurrence : le FN envisage en effet de se présenter dans le plus de villes possibles, entre 400 et 500. Ensuite, ponctuellement, dans des villes assez petites, des figures locales de la droite pourraient être tentées, soit de se diriger vers des listes du courant Bleu Marine, soit de prendre sur leur liste des candidats du Front national. Mais si cela arrive, seule une minorité des cas serait concernée. Au second tour, deux possibilités se présentent selon l'ordre d'arrivée des listes dans le cas d'une triangulaire. La situation sera critique pour la droite si elle se retrouve très loin derrière le PS et le FN. La question de se maintenir ou non se posera alors de façon plus pressante car ils devront choisir entre se désengager au profit de la gauche ou bien fusionner avec le FN, ce qui serait du jamais vu depuis Dreux (28) en 1983.

Mais il faut distinguer les calculs des candidats et les comportements des électeurs. Dans certaines villes et au Sud de la France, il existe une forte porosité entre l'électorat UMP et FN. De plus, on note une forte envie d'en découdre de la part de l'électorat de droite, comme l'indique les récentes mobilisations de la Manif pour tous. Ces électeurs pourraient donc se montrer prêts à voter pour le FN pour chasser à tout prix la gauche de la mairie. Surtout si la droite au sens large est arithmétiquement majoritaire à l'issue du premier tour. Dans ces cas on peut envisager que des alliances se créent.

Guillaume Bernard : Contrairement à ce que souhaitent nombre d’électeurs de ces deux formations (plus au FN qu’à l’UMP), il n’est pas du tout certain que les états-majors de ces partis y soient favorables. Malgré certaines voix discordantes, l’UMP préconise le "ni ni" : ni "Front républicain" (pour ne plus être accusé de collusion avec la gauche), ni alliance avec le FN (pour signifier qu’il considère qu’un "cordon sanitaire" vis-à-vis de cette formation doit être maintenu). Quant au FN, il affirme souhaiter des alliances, au cas par cas, mais son objectif premier est, naturellement, de progresser sous ses propres couleurs ou, du moins, de marquer de son empreinte certaines listes (en y plaçant des candidats). Des alliances lui permettraient de se désenclaver, mais elles pourraient présenter deux inconvénients : d’une part, cela pourrait conduire certains de ses membres (en particulier des élus) à se laisser capter par d’autres formations plus "présentables" (pour pérenniser leur carrière) et, d’autre part, cela pourrait édulcorer son image de formation hors système qui fait une partie de son succès.

Cependant, les positions et stratégies parisiennes pourraient être remises en cause en fonction des situations locales. L’intérêt des élus (n’entendant pas perdre leurs sièges) ainsi que la pression de la base ne sauraient être négligés. Cela pourrait pousser à des alliances (fusion de liste au second tour) soit pour éviter la perte d’une commune, soit pour réussir à en ravir une à la gauche. En effet, le mode de scrutin aux municipales fait que la liste qui arrive en tête (même si elle n’atteint pas 50%) gagne la mairie. Dans un assez grand nombre de cas, les listes de droite peuvent donc, en restant désunies, perdre une mairie (ou ne pas la gagner) parce qu’aucune n’est arrivée en tête alors qu’additionnées elles seraient majoritaires. Il est plus que vraisemblable que, dans un certain nombre de cas, en particulier dans le Sud de la France, les électeurs et militants de l’UMP auraient du mal à supporter cette situation et qu’ils feront pression pour qu’une entente puisse être trouvée. 

Les choses se passeront-elles différemment dans le cadre des élections européennes et présidentielle ? Quels scénarios sont envisageables ?

Jérôme Fourquet : Au début des années Sarkozy, seulement 35% des militants UMP étaient favorables à des alliances avec le Front national, contre 49% aujourd'hui (voir tableaux ci-dessous). Pourquoi ce changement ? Sur le plan idéologique d'une part, le FN semble plus fréquentable. Il existe également un facteur numérique à prendre en compte. À partir du moment où le FN est redevenu une force politique de premier plan, l'électorat de droite voit la nécessité de ces accords sans lesquels elle serait condamnée à la défaite, surtout si la gauche est rassemblée en face.

Il n'y a aucune raison de penser que les leaders nationaux de l'UMP soient prêts à changer de doctrine et envisager des alliances avec le FN pour des élections nationales. En revanche, étant donné les pressions de plus en plus fortes de la base, d'éventuels accords locaux sont envisageables. Si certaines triangulaires tournent mal pour l'UMP et que des cadres mordent la poussière en raison de la concurrence du FN, certains cadres intermédiaires du parti et élus locaux vont devoir trouver une solution pour répondre à cette pression de la base. Le risque est qu'en face, la stratégie du Front national consiste justement à prendre en étau l'UMP tout en se maintenant dans le plus d'endroits possibles.

Guillaume Bernard : Pour l’élection présidentielle, seuls les deux candidats arrivés en tête peuvent se maintenir au second tour. Il y aura donc une lutte entre tous les partis et leurs candidats pour conquérir l’une de ces deux places. Deux scénarios sont donc possibles : soit l’UMP et le FN sont tous les deux présents au second tour (le résultat final sera sans doute bien différent de celui de 2002 car nombre d’électeurs de gauche voteront pour le FN), soit l’un des deux seulement réussit à qualifier son candidat. Si l’UMP affronte la gauche, il est assez probable que le FN laissera ses électeurs libres. Dans le cas où l’UMP serait éliminée (cela dépendra sans doute de son candidat), les reports de voix sont très difficiles à pronostiquer.  

Pour les européennes, le scrutin est proportionnel à un tour. Chaque parti tentera donc sa chance. Pour cette élection aussi, il n’y aura donc pas d’alliance. Le FN a l’avantage de n’avoir qu’un seul discours : eurosceptique et souverainiste. Ses électeurs et ses cadres étant divisés sur la question, l’UMP va rencontrer, quant à lui, une réelle difficulté pour déterminer une ligne politique cohérente qui n’apparaisse pas comme une simple tactique électorale. L’une des solutions (il est vrai risquée) serait de tenter l’aventure de deux listes distinctes, l’une pro-européenne (qui pourrait concurrencer ou s’allier avec le centre) et l’autre eurosceptique (qui pourrait ratisser à droite, à la condition d’être incarnée par une personnalité crédible sur ce thème). Avec ces deux listes, l’UMP pourrait alors éviter un possible effondrement (que le RPR a déjà connu en 1999) mais cela institutionnaliserait les divisions qui le traversent. 

Question : Souhaitez-vous qu’aux élections locales (municipales, cantonales, régionales), l’UMP et le Front National passent des accords électoraux ?

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

La concurrence féroce entre ces deux partis sur le plan national peut-elle à terme voir émerger un seul vainqueur ou deux vaincus ?

Jérôme Fourquet : Oui, les deux formations politiques ont à perdre de cet affrontement car au niveau national il n'y a pas d'alliance possible. Nous ne sommes pas dans une configuration comparable avec celle de la gauche il y a quelques années, où les batailles entre PS et PC se terminaient en alliances au second tour. Entre l'UMP et le FN c'est la lutte à mort : l'UMP cherche désespérément la martingale pour assécher le FN tandis que le FN est dans l'obsession de faire exploser la droite.

Guillaume Bernard : Comparé à d’autres Etats comme les Etats-Unis ou la Grande Bretagne, le système partisan français est marqué par une assez grande instabilité des dénominations des partis : c’est un peu la valse des étiquettes. Nombre d’éléments expliquent ce phénomène. Mais, deux peuvent être mis en exergue : d’une part, l’indécision doctrinale (beaucoup de partis n’ont pas d’identité forte) et, d’autre part, l’influence et l’intérêt de certaines personnalités (les partis étant devenus des écuries électorales, en particulier pour la présidentielle).

Ce qui menace vraiment l’UMP, ce n’est pas directement sa compétition avec le FN, ce sont ses divisions internes : les déchirements entre personnalités et son incapacité à déterminer une ligne politique vraiment claire. Il est vrai que sur bien des points, la ligne de fracture politique passe non pas entre la gauche et la droite mais au sein de la seconde. L’UMP est donc confrontée à une alternative : s’affirmer de droite ou glisser sur sa gauche (la position intermédiaire apparaissant comme difficilement tenable à long terme).

Le FN, quant à lui, table sur l’implosion de l’UMP et sa capacité à absorber une partie de l’électorat de ce dernier. Il est cependant handicapé, pour des élections où il faut beaucoup de candidats, par son nombre (pour l’instant) limité de cadres électoralement crédibles. En outre, il ne mesure peut-être pas le risque pour lui de la disparition de l’UMP car il n’est pas certain qu’il en sorte indemne : une formation regroupant des anciens de l’UMP (issus en particulier de la "droite forte" et de la "droite populaire") et d’autres du FN pouvant peut-être émerger. 

Le flou entretenu par certains de leurs dirigeants peut-il laisser entrevoir un rapprochement pérenne entre les deux partis ou bien l'UMP conservera-t-elle sa position ferme vis-à-vis du FN ?

Jérôme Fourquet : La doctrine "zéro alliance" ne change pas mais le "ni PS ni FN" évolue. Cette position est aujourd'hui de plus en plus difficile à défendre pour l'UMP en raison de la pression de l'électorat. Est-ce que les cardes céderont en cas de mauvais résultats aux élections municipales ? Comparons avec 1998. La pression était alors maximale et certains élus de droite ont même été élus avec des voix FN. A l'époque, Chirac et Bayrou s'y étaient opposés avec toute leur énergie ce qui avait créé un électrochoc à droite et abouti à l'explosion de l'UDF. Mais aujourd'hui le sommet de l'UMP est affaibli. Les sanctions venant d'en haut auront donc moins de poids. Enfin, la loi sur le non-cumul des mandats va accroître l'autonomie du local par rapport au national. Les élus locaux céderont donc encore moins aux pressions de la tête du parti et envisageront plus facilement une alliance si cela peut leur permettre de gagner l'élection.

Guillaume Bernard : Il est peu probable que les actuelles têtes d’affiche des deux formations envisagent vraiment un rapprochement (comment se répartiront-ils les postes ?...). Cependant, les évolutions électorales peuvent les y pousser, voire les y contraindre. Il est certain qu’il y a de plus en plus de cadres et d’élus de l’UMP qui souhaitent que des alliances avec le FN soient possibles, soit par conviction (parce qu’ils considèrent, tout en ayant des différences, partager plus avec le FN qu’avec d’autres, notamment les centristes), soit par stratégie : essayer d’endiguer la montée du FN et éviter un éventuel (et possible) renversement des rapports de force (le FN ayant la capacité de dépasser l’UMP lors de certaines élections comme les européennes ou la présidentielle).

Cela dit, c’est surtout lors des prochaines élections nationales que la question du rapprochement se posera. Si le FN continue à progresser, il pourrait empêcher (à cause de triangulaires) un éventuel nouveau président de la République issu de l’UMP d’avoir une majorité parlementaire. Là sera vraiment le dilemme (plus délicat encore qu’en 1986) : faut-il envisager, et proposer, avant ou après les législatives, que le FN puisse participer au gouvernement ? Dans ce cas, celui-ci refuserait-il (au risque d’apparaître comme fuyant ses responsabilités) la proposition ? En attendant 2017, toutes les élections (européennes et locales) sont des répétitions permettant de mesurer l’état d’esprit des Français et les rapports de force entre les partis.

Sur le plan des idées, peut-on parler d'un rapprochement entre FN et UMP ? Quand bien même l'électorat de l'UMP se radicaliserait, le ferait-il nécessairement dans le sens d'une convergence vers les idées du FN ?

Jérôme Fourquet : Nous assistons à une droitisation de l'électorat UMP mais parallèlement à cela, le FN s'est encore davantage radicalisé. Même si la porosité de l'électorat entre les deux est plus forte qu'avant, nous ne voyons pas encore de fusion car, sur bon nombre de préoccupations, il subsiste en effet des différences importantes.

Le FN s'est ainsi polarisé sur la question de l'immigration et de la sécurité alors que l'UMP reste soucieux des questions économiques, fiscales ou de compétitivité. Ils peuvent donc se retrouver ponctuellement sur la sécurité mais continuent à diverger sur d'autres centres d'intérêt, notamment économique qui n'entrent pas dans les priorités du FN.

Guillaume Bernard : Ne pouvant sonder les consciences, il est difficile de connaître les convictions réelles des hommes politiques. Mais il est assez clair que les idées du FN ont progressé dans l’opinion publique et a influencé le discours des autres formations, notamment l’UMP. Taboue pendant des décennies, la question de l’immigration, thème phare du FN, est désormais une question débattue. De même, la droite assume mieux qu’auparavant un discours pénal pas simplement "sécuritaire" mais en faveur des victimes. Enfin, de manière générale, le fait même, pour un candidat de la droite modérée, de se revendiquer explicitement de droite a été (cette affirmation peut paraître étonnante mais il suffit de se pencher sur toutes les élections présidentielles de la Ve République pour en avoir confirmation) une nouveauté en 2007. Le poids du FN explique en grande partie cela.

Cela dit, il est certain qu’il existe des différences entre les positions du FN et celles de l’UMP. La plus flagrante est sans doute celle qui s’incarne dans l’opposition entre le protectionnisme préconisé par le FN et le libre-échangisme défendu par l’UMP. Cela explique que le premier puisse séduire des électeurs de gauche sans pour autant préconiser le collectivisme. En revanche, il est vraisemblable que tout l’électorat de l’UMP n’est pas susceptible d’être attiré par le FN : l’électorat libéral (tant au sens économique que social du terme).

Mais, l’électorat qu’il est possible de qualifier, faute de mieux, conservateur, lui, est susceptible de se laisser convaincre. Il ne me semble pas qu’il y ait, là, une radicalisation. C’est, à mon avis, la conséquence de ce que j’ai appelé, le "mouvement dextrogyre", c’est-à-dire que, pour dire les choses de manière extrêmement succincte, les idées de droite se déploient à nouveau, la pression venue de la gauche (depuis la chute du mur de Berlin) s’étant amoindrie. Les électeurs de droite ne se droitisent pas, ils s’assument ouvertement de droite. Le problème pour des organisations comme l’UMP réside dans le décalage entre sa base et ses cadres : s’il devait se pérenniser, cela ne pourrait qu’exacerber une forme d’antiélitisme et rendre le FN séduisant pour les électeurs de l’UMP se jugeant mal représentés pas les élus de cette formation.

Propos recueillis par Pierre Havez

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