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Les secrets des victoires électorales d'Angela Merkel
©Reuters

Bonnes feuilles

A l'heure où Angela Merkel brigue un troisième mandat aux prochaines élections législatives, vers où et vers quoi va l'Allemagne ? Extrait de "Le Roman de l'Allemagne" (1/2).

Michel  Meyer

Michel Meyer

Michel Meyer a été journaliste, puis rédacteur en chef adjoint à l’ORTF. Délégué permanent de l’ORTF pour la RFA, la RDA, la Pologne et le Danemark, longtemps en résidence à Bonn, il a été Délégué de la Société de télévision Antenne 2 pour l’Allemagne puis fut correspondant particulier de Radio France et de l’Express. Directeur de l’information de Radio France, directeur de France Bleu, il a été co-fondateur de France Info, présentateur des Dossiers de l’écran. Désormais Consultant en stratégie internationale et audiovisuelle pour la République Fédérale d’Allemagne, la Russie et l’Europe de l’Est depuis 1990, Il est aussi chargé d’enseignement à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Ecole supérieure de guerre. Ill est également membre du conseil supérieur du Centre d’études scientifiques de défense, et auteur de nombreux ouvrages dont le récent Histoire secrète de la chute du Mur, chez Odile Jacob.

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Les deux tiers des Allemands veulent sa réélection. Et elle a été plébiscitée à la tête de son parti avec un score dictatorial totalisant 97 % des suffrages. Depuis son arrivée au pouvoir dans le sillage de Gerhard Schroeder, Angela Merkel a bénéficié, grâce aux oeuvres de son prédécesseur social-démocrate, de l’effet d’aubaine voulant que, même si un Allemand sur quatre rejoint la triste horde de ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, plus de deux millions et demi de ses compatriotes n’en ont pas moins retrouvé un emploi depuis qu’elle est arrivé au pouvoir.

Angela Merkel n’a rien d’une dame de fer brutalement proactive. Tout semble glisser sur cette dame « Teflon ». Car rien, jamais, ne s’y colle. À vrai dire, elle déteste prendre parti. Surtout si on la contraint de choisir entre deux maux. Elle se sait populaire. Mais sobrement, plus pour ce qu’elle réalise, laborieusement et consciencieusement, que pour ce qu’elle est : une femme sans vrai mystère, dont l’âme se lirait sur les traits d’un visage, un zeste ingrat, que crispe un éternel sourire dont on ne sait trop s’il est heureux, généreux ou souffreteux. Plus proches des Verts qu’elle ne l’avouera jamais, s’est-elle secrètement réjouie de promouvoir l’abandon de la production d’électricité nucléaire après le drame de Fukushima ? Le savoir est mission impossible. Car si elle avait précédemment accepté de poursuivre dans cette voie, ce n’était que sur la base d’un rapport de force interne à son parti. Mais comment imaginer que cette luthérienne, très imprégnée par l’éthique d’un Meister Eckhart pour qui « être, c’est aimer la vie et savoir contempler une fleur sans la toucher et avoir accepté une spirale de mort et détruire cette fleur en la cueillant », ait pu manifester la moindre désinvolture sur ce terrain ? En réalité, ancienne ministre de l’Écologie et de l’Énergie, cette scientifique hyper-pointue connaît ce sujet sur le bout des doigts. Pour elle le tsunami qui avait frappé la côte nord-est du Japon n’était jamais que la concrétisation de ce qu’elle ne considérait jusqu’alors, selon ses propres termes, qu’un « risque résiduel théorique » parfaitement acceptable dans des pays de haute technologie tels que le Japon ou l’Allemagne.

Mais comment, après Fukushima, prouver que l’on peut vivre sans ce risque résiduel lié à l’énergie nucléaire ? Incapable d’en apporter la moindre preuve, la chancelière sut se démentir et se remettre en cause sans sourciller. Estimer qu’elle s’investit entièrement dans ce types de dialectique implique de ne jamais se tromper. Ce dont elle est parfaitement capable. Car elle est tout à la fois femme de pouvoir et de savoir. Et c’est en cela que cette fausse calme impétueuse, qui cherche en elle plus que dans les notes de ses conseillers réponse aux rafales de questions les plus ardues, est éthiquement et politiquement invincible. Depuis l’abandon de la filière énergétique nucléaire par l’Allemagne, elle assume donc silencieusement la contradiction voulant que, dans une Europe qui accuse un déficit énergétique de 400 milliards d’euros au profit de la Russie et des pays pétroliers du golfe Persique, la pénurie d’électricité qui résulte de cette décision soit comblée en brûlant du charbon polonais et du gaz russe dans des centrales thermiques qui crachent du CO2 à profusion. Alors que, dans le même temps, les industriels allemands des énergies alternatives abreuvent le marché européen de leurs technologies solaires et éoliennes. Formellement proche de Nicolas Sarkozy, un peu moins de François Hollande, en lien business as usual avec l’Anglais Cameron, franchement impressionnée, ou plutôt bluffée, par l’Américain Obama lorsque cet endetté absolu lui confie la mission de remettre de l’ordre dans la zone euro, à la fois souriante et méfiante envers le Russe Poutine dont elle anticipe toutes les humeurs, son influence pèse lourd au sein d’un conseil d’administration planétaire dont l’une des originalité, étrangement ignorée, est que tous ses membres soient nés à l’issue d’une deuxième guerre mondiale qu’ils ne connaissent qu’à travers les livres d’histoire. Luthérienne, divorcée, sans enfants, Angela Merkel fait partie intégrante de cette caste protestante qui squatte les trois fonctions politiques et sociétales les plus exposées de l’Allemagne.

Carton plein, en effet, pour les luthériens : elle règne sur la chancellerie, l’ancien pasteur Joachim Gauck est devenu président de la République et Katrin Göring-Eckhardt, vice-présidente verte du Bundestag, femme de pasteur, fille de professeurs de l’ex-RDA jadis en pointe dans les mouvements de libération luthériens qui ont ébranlé le régime estallemand et provoqué la chute du Mur de Berlin, cornaque sur la très influente fédération des vingt Églises luthériennes allemandes. Dans l’univers politique allemand jusqu’alors envahi par les juristes ou des économistes, ses atouts de scientifique sont déterminants. Rien ne peut jamais l’empêcher d’avoir intellectuellement, systématiquement et méthodiquement, deux à trois coups d’avance sur ses interlocuteurs. Car chez elle, plutôt qu’un malheur susceptible de l’ébranler, une défaite n’est jamais que la conséquence d’une erreur de système qu’il convient de réparer sans ces Affekt qui compliquent tout. Si possible de manière rationnelle et en alignant équations et solutions appropriées. Le magazine Forbes l’encense-t-il en tant que femme « la plus puissante du monde » ? Elle s’en amuse. Son déficit chronique de vision déconcerte-t-il ses amis presque plus que ses ennemis ? Elle donne à penser qu’il s’agit là d’une attitude délibérée. Ce qui est fort probable. On l’oublie trop ! Docteur en sciences physiques, Angela Merkel est primairement formatée sur les critères très performants et très exigeants de l’école mathématique et scientifique soviétique qu’avait, histoire de brûler la politesse à sa rivale ouest-allemande avec un certain succès, adoptés la RDA. Mais elle est tout autant issue d’un imbroglio familial politiquement et spirituellement tortueux.

N’est-elle pas née en 1954 à Hambourg, franchement à l’ouest, au premiers temps de la guerre froide, d’un père pasteur luthérien qui, par conviction et plutôt que de subir une colonisation capitaliste et consumérisme yankee qu’il abhorrait, avait choisi de rejoindre, au-delà du rideau de fer, les communistes de Berlin-est ? Cet homme de Dieu, partisan avant l’heure d’un engagement social qui, sous le qualificatif de « théologie de la libération », agitera plus tard les églises catholiques d’Amérique latine, compte parmi les fervents compagnons de route du régime. « Kasner le Rouge », car tel est son surnom, bénéficie ainsi d’un statut de privilégié lui permettant de disposer de devises étrangères, de rouler en Trabant et de pouvoir acheter des vêtements occidentaux lors des ses voyages à l’Ouest. Des faveurs qui l'entraînent visiblement à supporter que son épouse, la mère d’Angela, pourtant professeur émérite d’anglais et de latin, ne soit pas autorisée à exercer son métier. Privilège insigne, il avait tout de même obtenu que ses enfants, à l’inverse de ceux de la plupart de ses confrères pasteurs, puissent suivre des études supérieures. La rébellion ne sera jamais le fort de la future chancelière. Pendant des années, expliquera-t-elle au président Obama, j’ai rêvé de liberté, rêvé de voyager aux États-Unis. Ce que je l’avais prévu pour le jour où j’atteindrais ma retraite, à l’âge de 60 ans…

A-t-elle néanmoins, ne serait-il que parce qu’elle fut une adepte assidue des Jeunesses communistes, collaboré avec le pouvoir et son bras armé qu’était la STASI ? Personne ne saura jamais le prouver. Ne serait-ce que parce qu’en son temps, elle sut toujours, après la chute du mur de Berlin, faire nommer des amies fidèles à la tête de l’administration chargée de la gestion, autant dire l’étanchéité de l’Office de gestion des archives et du classement, pour l’histoire, des archives de la STASI. Son choix de la physique, discipline qui fera d’elle une experte dans le domaine des hydrocarbures, milite en sa faveur. Car c’est là un choix qui, a contrario de la sociologie ou du marxisme-léninisme, minimise au grand maximum toute forme d’immixtion ou de mélange des genres d’essence politique. Détermination, ressource, résistance, endurance, débrouillardise, habileté et même rouerie ont été, pour survivre dans les conditions qui ont été les siennes, ses qualités premières. Genossin Merkel, chargée de l’agit-prop au sein de sa section des FDJ – les Jeunesses communistes de l’ex-RDA – est politiquement née de cette stratégie première d’évitement. Et elle en a gardé de bonnes vieilles habitudes de méfiance dans le cadre détendu, ouvert, d’une démocratie bavarde où les nécessités supposées de la communication ont mythifié la transparence, les confidences et les sincérités de façade. Une longue accoutumance au silence sur ses sentiments et pensées l’a blindée à vie. Impassible, elle ne se démonte ni ne se révèle jamais. L’exploit extraordinaire que représente son irrésistible ascension ne s’explique donc que par des qualités de sang-froid, un zeste monstrueuses, acquises durant sa vie antérieure. De toute façon, pour elle, le pire est passé. Car, en regard de ce qu’aurait pu être la médiocrité d’une vie de docteur en physique des hydrocarbures de l’université de Leipzig, tout ce qu’elle vit aujourd’hui relève d’une promenade de santé. Plus que d’être la wilhelminienne que d’aucuns dénoncent, elle est avant tout elle-même, cette luthérienne qui, de l’enfance à l’âge adulte, sut s’accommoder d’un régime ancien auquel elle feignait d’adhérer sans y croire. Avant d’entrevoir l’avènement du nouveau sans émotions particulières. Le 9 novembre 1989, nuit de la chute du Mur de Berlin, plutôt que de se rendre sur l’un des points de passage où souffle le vent de l’histoire, elle choisira tout banalement de ne pas rater une séance de sauna. Lorsqu’elle en sortira sur le coup de 22 heures, elle se retrouvera, au niveau de la Borholmerstrasse, entraînée par une foule qui se presse vers Berlin-ouest.

Est-elle heureuse ? Partage-t-elle la liesse générale ? Le lendemain, elle s’étonne seulement de la frustration d’un entourage amical et familial qui, un peu moins cool qu’elle, voyait dans l’événement la fin d’un rêve : celui de voir s’ouvrir une troisième voie, fortement écologique, radicalement pacifiste et modérément consumériste, entre communisme et capitalisme. Comment douter que son propre père, Horst Kasner, n’ait pas compté parmi ces sceptiques ? Critique virulent des sociétés occidentales, tout indique qu’il vécut la réunification comme un véritable drame. Justement, sa relation sourdement conflictuelle avec ce père a été le marqueur essentiel de la vie d’Angela Merkel. Compatissant et tolérant avec ses fidèles, le pasteur Kasner se montrait cassant, intransigeant et intraitable avec les siens. Et jamais il ne s’est excusé d’avoir délibérément condamné ses proches à vivre sous un régime totalitaire. Angela Merkel n’a jamais participé aux défilés luthériens de l’automne 1989. Elle ne peut que souscrire au slogan Wir sind das Volk – « nous sommes le peuple » – que hurlent les manifestants. Mais les rejoindre ne la tente à aucun moment. Elle trouve ces idéalistes bien trop exaltés, trop naïvement pacifistes et bien trop romantiques. Est-elle à ce point apolitique ? En réalité, c’est tout juste si elle ose déplorer, dans les rayons des magasins d’État, l’absence de yogourts dignes de ce nom. En cette nuit du 9 au 10 novembre 1989, Angela est donc un somnambule en quête, après une hibernation hors temps, d’un nouveau destin. L’art de la dissimulation, faite d’absence et de silence, lui est consubstantiel. S’y ajoutera, puisqu’elle a rejoint un monde de bavards et qu’il lui faut bien alimenter les moulins médiatiques, le maniement virtuose de phrases plates, vides de tout contenu. Ces Floskeln, Gemeinplätze et autres « lieux communs » qui lui permettent d’expurger ses discours politiques de toute substance ou contenu engageants ou explicites. Serait-elle la soeur jumelle de cet Homme sans qualités, comprendre sans caractéristiques ni utilité identifiables, de Robert Musil ? A-t-elle, comme Ulrich, le personnage central du récit, renoncé à trouver sens à un grand tout intelligible ? A-t-elle agi par conviction lorsque, parfaite inconnue, elle a fait des pieds et des mains pour rencontrer Helmut Kohl – qu’elle surnommera bientôt ironiquement « manteau de l’histoire » par allusion à l’allégorie bismarckienne selon laquelle un homme d’État doit savoir agripper le manteau de l’histoire – afin de le convaincre d’être son mentor ? À l’époque de ce choix en faveur des chrétiens démocrates, alors même qu’elle jure n’avoir jamais été conservatrice, n’est-il pas étrange que, plutôt que de choisir l’un des partis rouges qu’affectionne le père ou celui de la droite chrétienne choisi par la fille, sa propre mère se rapproche des sociaux-démocrates ? Pour Helmut Kohl, à la fois affectueux et condescendant, Angela Merkel ne fut jamais que das Mädchen, une « gamine » en devenir. Au point d’en faire une super-assistante, la moins gênante possible, au titre de secrétaire générale de son parti.

Déjà, elle observe avec hauteur l’univers masculin comme une ménagerie « testotéronée » prévisible, donc fragile. Elle sait bien que, dans cette meute, personne ne l’attend ni ne la souhaite. Et sauf à conquérir de haute lutte le statut de cheftaine, elle n’a aucune chance de s’imposer au mérite. Jusqu’alors aucun loup alpha potentiel ne s’est déterminé à tenter le parricide qui, en éliminant le patriarche divinisé de la réunification, permettrait à la chrétienne-démocratie de tourner la page d’une fin de règne interminable. Les plus virils des prétendants au trône, dont la plupart avaient déjà été cruellement mordus par Helmut Kohl, se tenaient à bonne distance. Mais aucun d’entre eux n’a noté que sous ses dehors d’agnelle innocente, Angela Merkel est devenue une louve prête à mordre à son tour. L’opportunité s’en présentera en décembre 1999. Mis en cause dans une affaire de pots-de-vin, Helmut Kohl, ainsi que son prince consort à la tête du parti chrétien-démocrate, mordent la poussière. L’Allemagne retient son souffle. Qui osera délivrer le coup de grâce qui mettrait fin à cette exposition médiatique et politique ravageuse ? En coulisse, les ghostwriters d’Angela Merkel s’affairent. Le choix de l’arme se porte sur le Frankfurter Allgemeine Zeitung, journal conservateur édité à Francfort. Dans sa partie politique et économique, ce titre prestigieux incarne les valeurs de l’élite d’affaires allemande avec rigueur et professionnalisme.

Mais il s’offre le luxe d’une rédaction d’intellectuels progressistes pour assurer une partie magazine arts et spectacles snob et branchée. Une arme médiatique, dans une belle vitrine, pour un coup de grâce impitoyable. Reste à calibrer le projectile. Il doit, par impossible, exprimer de la compassion, mais toucher le noir du coeur de cible. Sur le registre de la balistique politique, l’éditorial tiré par Angela le 22 décembre 1999 est un modèle de précision et de perfidie. Il faut, adjure Angela, « sauver l’âme du parti », sortir des « lignes de tir » des médias pour mieux savoir, comme un adolescent en pleine puberté, quitter la maison paternelle. Dès lors, les jours du « cheval de boucherie » qu’est devenu son bienfaiteur seront comptés. Ce faisant, Angela Merkel tue deux pères en un. Kohl, évidemment. Mais également son père biologique, ce « pasteur rouge » coupable d’avoir failli et trahi sa famille en s’entêtant à satisfaire ses passions idéologiques datées et révolues. Au prix, contre nature, de l’engagement conservateur de pure opportunité de l’actuelle chancelière allemande. Modérément stratège, elle s’avère par contre redoutable tacticienne. Son indécision est un leurre. Car ce coeur sec sait attendre l’ultime moment pour piquer et tuer. Depuis son arrivée au pouvoir, elle n’a jamais été tentée par un remake du type « Dame de fer » à la Thatcher. Tout au contraire, au risque de froisser son propre électorat, elle a su répondre aux mouvements et aspirations de la société allemande : sortie du nucléaire, suppression du service militaire, mesures favorables aux femmes qui travaillent avec la multiplication des crèches et allocations familiales jusqu’alors inexistantes. La tâche est plus aisée qu’il n’y paraît. Car les électeurs de la droite allemande sont toujours un peu plus pacifistes que nulle part ailleurs. Et s’ils plébiscitent l’économie de marché, il reste impensable que celle-ci ne soit pas « sociale ». Femme du Nord passée par l’Est, il n’est pas sûr que la cause européenne, promue en Allemagne par des chanceliers longtemps plus rhénans que prussiens, mobilise sa ferveur. Pour Günter Grass, son passé de fonctionnaire zélé au sein des Jeunesses communistes de l’ex-RDA en fait l’héritière d’une formation duale très spécifique, dans la mesure où ce dressage initial s’est complété par l’éducation politique que lui a fait subir son mentor chrétien-démocrate.

Elle aurait ainsi acquis comme personne une « capacité d’adaptation et un sens de l’opportunité rare » de son immersion communiste initiale puis l’art de « la conquête du pouvoir et de l’élimination de ses adversaires » lors de son apprentissage politique auprès du pachyderme Helmut Kohl. Jamais la jeune Angela Merkel ne s’est illusionnée sur la nature du régime communiste. Survivre, dans un univers où tout était conquêtes, souvent médiocres et humiliantes, d’un minimum vital a longtemps été son lot quotidien. Au point de lui inspirer, comme à nombre de soutiers souillés de cambouis, autant qu’académiciens couverts de médailles des systèmes communistes d’Europe centrale, certains traits d’humour désespérés. « Puisqu’ils font semblant de nous payer, ils ne doivent pas s’étonner que nous fassions semblant de travailler » étant le plus en vogue et le plus susceptible de mettre Erich Honecker, l’ex-dictateur de la RDA, dans des états de rage interminables. Angela Merkel a trop entendu les caciques du communisme évoquer des lendemains qui devaient forcément chanter pour s’adonner aux débridements idéologiques. Promettre des horizons radieux pour faire naître un homme nouveau n’a jamais été que balivernes. En permanence sur ses gardes, cette intellectuelle faussement de gauche sait d’expérience que l’on ne survit qu’en cachant son jeu et ses itinéraires. C’est dire si elle maîtrise l’art de dérouter ses adversaires. Ainsi, à l’approche de l’échéance électorale de septembre 2013, elle stupéfie son entourage en prônant, après des mois et des années de résistance à toute forme de tentation keynésiennes, une relance par la consommation intérieure de type « latin ». Ouvrant tout grand son portefeuille, il lui importe à présent, en rupture avec une doctrine de fer proclamée depuis son arrivée au pouvoir, de doper l’économie allemande en y injectant près de 40 milliards d’euros : 15 milliards en faveur de mesure sociales et natalistes à la française telles que la mise en place d’un salaire minimum par branche, un plafonnement des loyers et la revalorisation des allocations familiales.Et 25 autres milliards pour rénover les grandes infrastructures publiques du pays.

Ce faisant, elle fait un pierre-deux coups : elle prend à contre-pieds François Hollande qui lui demandait des mesures de relance, tout en coupant l’herbe électorale sous les pas de ses rivaux sociaux-démocrates. Sans pour autant, juré-craché, renoncer à réduire la dépense publique d’ici 2015, date à laquelle l'État fédéral, mais également les régions dépensières, devront impérativement renouer avec l’équilibre budgétaire. Comme nulle autre à Berlin, elle connaît et apprécie les vertus de ce que les Anglo-Saxons appellent non-commitment, non-implication ou non-engagement. Tout en ne perdant rien des simagrées de ses vis-à-vis. C’est ainsi qu’aujourd’hui, si elle adhère au principe d’une solidarité élémentaire entre Européens du Nord et du Sud, c’est dans le respect de disciplines budgétaires et de remises en ordre économiques concomitantes. Dans cette logique, si elle appelle de ses voeux la mise en place d’un gouvernement économique européen, elle n’a jamais cru une seule seconde aux adjurations de Mario Monti, président du Conseil italien, lorsqu’il lui confiait n’être jamais que le « plus allemand des Italiens ». Et encore moins aux adjurations d’amitié éternelle de Nicolas Sarkozy. Elle ne cesse de s’opposer aux « avancées », unanimement laxistes et donc coûteuses pour Berlin, des dépensiers que sont les quatre « présidents » du Conseil, de la Banque centrale, de l’Eurogroupe et de la Commission européenne. Se résoudra-t-elle un jour à baisser pavillon ? Foin d’illusions ! Autant espérer qu’une dinde, pour peu qu’elle soit consultée sur cette délicate question, accepte de se faire embrocher, puis rôtir en vue d’un repas de Noël !

Extrait de "Le Roman de l'Allemagne, Ou l'histoire secrète d'une renaissance…", Michel Meyer, (Editions du rocher). Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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