Un bijoutier tue l'homme qui tentait de le braquer : par quel processus psychologique peut-on en arriver là ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un bijoutier niçois a tué par balles un voleur qui venait de le braquer hier mercredi 11 septembre.
Un bijoutier niçois a tué par balles un voleur qui venait de le braquer hier mercredi 11 septembre.
©Reuters

Engrenage

Réforme pénale, hausse de la criminalité, série noire marseillaise : le contexte actuel favorise-t-il un certain sentiment d'impunité et de passage à l'acte ? La théorie se heurte bien souvent à la réalité psychologique de chaque individu.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Un bijoutier niçois a tué par balles un voleur qui venait de le braquer hier mercredi 11 septembre. Comment un individu peut-il en arriver à tirer sur un voleur ? Quel est le processus psychologique à l’œuvre dans ce genre de cas ?

Jean-Paul Mialet : Lorsque l’on est attaqué, plusieurs réactions, difficiles à prévoir, peuvent se produire.

Certains peuvent être paralysés, sidérés. D’autres prennent la fuite. D’autres encore réagissent très violemment. Je me souviens d’une patiente de 70 ans qui s'était fait arracher son sac dans la rue et avait poursuivi le voleur. Elle avait pris des risques considérables, et elle s’en voulait après coup de cette réaction mais cela avait été plus fort qu’elle. Elle ne se serait jamais crue capable de cela.

Parmi ceux qui réagissent ainsi de façon combative, certains peuvent devenir dangereux selon ce dont ils disposent à portée de main. Qui sait ce qui se serait produit si cette patiente avait eu une canne-épée ! On parle ici de réaction à chaud, de réaction émotionnelle peu contrôlable et non de la réaction professionnelle d’un policier ou d’un militaire habitus aux situations de menace et au maniement des armes.

Que révèle ce type de réactions de notre attachement à la propriété ? Est-ce plus important que la vie d'une personne ?

Je ne pense pas que cela signifie que nous attachons une plus grande importance à la propriété qu’à la vie humaine. Il s’agit plutôt d’une réaction à une intrusion dans son espace personnel, à un non respect, un viol d’une zone intime. Et non pas simplement une réaction de défense à un vol de bijoux.

En fait, on ne sait pas comment on peut réagir face à ce genre d’agression. Il est d’ailleurs possible que dans une situation similaire, un individu ne réagira pas de la même manière d'une fois sur l'autre. La réaction dépend de la disposition du moment, de la "météo intérieure". Et aussi de dispositions plus permanentes, de traits de caractères : certains sont plus combatifs, plus enclins à l’attaque que d’autres.

Le contexte ambiant (justice, violence, information, crise de l'autorité, sentiment d'impunité) participe-t-il à ce type de décision ? 

Beaucoup vivent aujourd’hui dans l’idée que l’on est peu protégé par les instances supérieures et qu’il faut s'occuper de sa défense personnellement. Dans un contexte où l'individu se sent davantage protégé par l'Etat, on peut supposer qu’il sera moins tenté de réagir d'une façon aussi agressive. Mais encore une fois, certaines personnes, pour des raisons liées à leur tempérament, peuvent devenir très dangereuses si elles se sentent attaquées, quelque soit le contexte.

Parler de violence en permanence crée néanmoins un climat propice à des accidents tels que celui de Nice. Cela met les gens en alerte, et l’impression de menace planante favorise des comportements défensifs violents. De plus, les individus, ayant moins foi en la justice, sont plus indulgents envers eux-mêmes quand ils décident de se faire justice.

Quelles sont les conséquences psychologiques d’un tel acte pour celui qui l’a commis ?

Je ferais le pari que le bijoutier de Nice ne souhaitait pas tuer le voleur en question. L’homme, choqué par un vol qui l'a mis hors de lui, a tiré sur son agresseur. On peut parler d’un besoin de réparer une agression humiliante et frustrante par une autre agression, mais le fait que ce soit allé aussi loin va accabler ce bijoutier. Dans ce genre de cas, on use de la violence pour rétablir une forme de respect. On veut faire peur, faire comprendre qu’on ne reste pas sans réaction devant une agression, mais pas provoquer la mort.

Il faut tout un temps pour se remettre. On pourrait comparer cet événement à une mort due accident de la route dont on serait responsable. Il faut un temps pour accepter d'avoir commis l'irréparable. C’est progressivement qu’on prend la mesure des dégâts et qu’on apprend à vivre avec ce passif qui modifie l’idée que l’on se faisait de soi-même.

On peut en faire l'équivalent d'un deuil qui, comme tout deuil, passe par plusieurs étapes. Dans un premier temps, on nie ou on minimise. Vient ensuite la colère et la responsabilisation des autres, puis l’abattement et enfin la résignation. Je suppose qu’avoir commis un tel acte de violence produira chez son auteur un cheminement personnel de ce type. 

Propos recueillis par Pierre Havez

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