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Pourquoi l’industrie française a nettement plus à craindre de ses propres insuffisances que de la mondialisation
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Le grand ménage

François Hollande et Arnaud Montebourg présentent ce jeudi leur plan pour relancer l'industrie française. Tour d'horizon des ruptures qui la feront entrer dans le XXIe siècle.

Augustin Landier et Robin Rivaton

Augustin Landier et Robin Rivaton

Augustin Landier est un économiste. Il enseigne à la Toulouse School of Economics. Il est normalien en mathématiques et a obtenu un doctorat en économie au MIT (Massachusetts Institute of Technology) en 2002. Il est le co-auteur de 10 idées qui coulent la France aux Editions Flammarion (septembre 2013) avec David Thesmar.
 
David Thesmar est un économiste. Il est Administrateur de l'INSEE et Professeur associé au sein du département finance et économie d'HEC Paris.
 
Robin Rivaton est chargé de mission d'un dirigeant d'un groupe dans le domaine des infrastructures. Il a connu plusieurs expériences en conseil financier, juridique ou stratégique à Paris et à Londres.
 
Impliqué dans vie des idées, il écrit régulièrement dans plusieurs journaux et collabore avec des organismes de recherche sur les questions économiques et politiques. Il siège au Conseil scientifique du think-tank Fondapol où il a publié différents travaux sur la compétitivité, l'industrie ou les nouvelles technologies. Il est diplômé de l’ESCP Europe et de Sciences Po. 
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Atlantico : François Hollande et Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, présentent conjointement ce jeudi un grand plan visant à relancer l'industrie française alors que l’Hexagone affiche un déficit de compétitivité dans ce secteur, notamment par rapport à l'Allemagne qui fait figure de championne en Europe. Mais au delà des éternels débats sur la compétitivité, quelles sont les grandes ruptures à côté desquelles la France ne pourra pas se permettre de passer pour donner un second souffle à son industrie ?

Robin RivatonDepuis que le sujet de l'industrie est revenu sur le devant de la scène politique avec le lancement des Etats Généraux de l'industrie en 2009, les hommes politiques – oui dans la sphère politique, le ministère de l'Industrie reste marqué par le machisme – se sont intéressés au seul coût du travail. Il est vrai que notre perte de compétitivité a coïncidé avec une hausse du coût du travail alimentée par des prélèvements croissants sur les entreprises au niveau des charges sociales mais elle n'est que la partie immergée de l'iceberg. Nous souffrons d'un retard au niveau des technologies. Quelques exemples :

  • Les robots industriels : Les progrès considérables dans ce domaine en font l'élément indispensable à toute unité de production moderne, dans tous secteurs et encore plus dans le monde de l'automobile. Or le nombre de robots industriels pour 10.000 ouvriers dans l'industrie manufacturière était de 122 en France contre 131 en Espagne, 135 aux Etats-Unis, 159 en Italie et 261 en Allemagne, 339 au Japon et 347 en Corée du Sud.

  • Les usines 4.0 : Ce nom, issu d'une initiative lancée par le gouvernement allemand il y a deux ans déjà, consiste à intégrer les demandes de personnalisation des clients en amont via une numérisation de leurs exigences, transmises en direct à l'usine. Ainsi la customisation, grâce à un suivi précis des pièces via des tags RFID par exemple, est réalisée en même temps que la construction.

  • L'automatisation des flux logistiques : Dans les usines modernes comme celle de Nissan à Sunderland, les tâches de choix des pièces et d'assemblage sont séparées, celles-ci étant acheminées par des robots convoyeurs jusqu'aux opérateurs. La production est moins heurtée et beaucoup plus efficace. Cela vaut aussi pour les tâches logistiques en aval.

Augustin Landier & David Thesmar : Nous traversons une nouvelle révolution de l’automatisation : la numérisation et la robotique sont les grandes tendances qui font évoluer l’industrie aujourd’hui. Soit dit en passant, les entreprises françaises n’ont pas attendu le ministère du Redressement productif pour le découvrir ! Mais il est vrai que nos entreprises industrielles prises globalement ne se sont pas encore assez automatisées : l'International Federation of Robotics a produit des comparaisons instructives sur ce sujet. L'industrie française apparaît dans leurs données comme l'une des moins bien équipées en robots, surclassée par ses concurrentes asiatiques et européennes. En 2011, les industries japonaises et coréennes ont 350 robots pour 10000 employés ; l'industrie Allemande 260 ; l’industrie française et américaines à peine 120.

Cela est lourd de conséquences : tout d’abord, on peut se dire que cela donne l’espoir que certaines "relocalisations" de sites de production soient possibles. On assiste à certains exemples de ce phénomène aux USA. Mais il ne faut pas se leurrer : cela se fera sur la base d’une robotisation très poussée, donc peu d’emplois non qualifiés seront ainsi créés. En revanche cela donne de l’avenir à emplois très qualifiés d’ingénieurs développeurs, capables de coder, c’est-à-dire de parler la langue des robots….

La deuxième grande évolution qui se voit confirmée, c’est que la valeur ajoutée dans l’industrie se situe de moins en moins dans l’acte de fabriquer l’objet matériel lui-même. C’est la conception, le codage du process de fabrication, le numérique intégré à l’objet produit, mais aussi de plus en plus les services liés aux données que recueille et reçoit l’objet qui constituent la valeur créée. Le software est maintenant le cœur des objets. Cela va de la voiture, dont le software et la connectique sont essentiels à la chaussure : les baskets modernes contiennent des capteurs qui mesurent nos performances et le fabricant propose des programmes de training personnalisés. On voit donc que la frontière traditionnelle entre objets matériels et immatériels est en train de s’estomper très vite.

Plus généralement, et c’est un des messages  du livre que nous publions cette semaine (Augustin Landier et David Thesmar, Dix Idées qui Coulent la France, Flammarion), il faut cesser de voir la désindustrialisation française comme une pathologie qu’il s’agirait de "redresser" : toutes les économies développées passent par cette phase de désindustrialisation. Il y a un siècle l’agriculture basculait dans l’industrie. Depuis 20 ans, l’industrie bascule dans les services : nous produisons de plus en plus de biens immatériels, et ceux-ci ont une importance toujours plus grande dans notre vie. Cela va continuer. La part de l’industrie dans le PIB français a reculé, mais son niveau n’est pas pathologiquement bas, il est comparable aux USA (voir graphiques ici). Même les Allemands ont vu leur industrie rétrécir du même facteur que nous, simplement ils partent de plus haut. Cette nostalgie industrialiste que distille le ministère du Redressement productif est véritablement basée sur un diagnostic faux : la France peut continuer à croître et créer des emplois sans se réindustrialiser. C’est d’ailleurs ce qu’elle fait depuis les années 1980 : l’intégralité des 4 millions d’emplois créés depuis cette époque l’ont été dans les services !

L'industrie française a vu la disparition de 19 000 emplois salariés selon l'Insee au second trimestre. A défaut d'adopter ces nouvelles ruptures, quelles sont les "boulets" dont l'industrie française devrait se débarrasser pour avancer ?

Robin Rivaton : Comme je le disais se focaliser sur l'emploi ou le coût du travail traduit une vision réductrice et éminemment passéiste de l'industrie. Qui peut prétendre avoir jamais visité une usine pour prétendre que le coût du travail est le vrai sujet ? L'automatisation des systèmes de production a conduit à donner une place croissante aux machines et donc au capital et à l'investissement.

Or notre parc de machine est indigne d'un grand pays développé et souffre d'un sous-investissement chronique depuis plus de deux décennies. Dans la dernière enquête sur le sujet - qui date de 1998 ! Tout un symbole – nos machines étaient presque deux fois plus âgées que celles de nos concurrents. Notre boulet est donc général et il faudrait un effort massif de remise à niveau du parc de machines pour espérer regagner en compétitivité durablement. Mais tant qu'elles auront les marges les plus faibles d'Europe, nos entreprises industrielles ne pourront pas mener cette mise à niveau.

Augustin Landier & David Thesmar : Ce n’est pas le rôle du gouvernement de décider de la vie et de la mort des entreprises. Les grands groupes industriels ont des lobbies très puissants. Une kyrielle de dispositifs ad-hoc ont été mis en place pour les subventionner. Il faut en finir avec ce capitalisme de subvention qui favorise les grands groupes au détriment du reste de l’économie. Quelques fermetures de sites industriels du genre Florange attirent une énorme attention médiatique. Mais chaque jour il y a aussi des milliers d’emplois de service détruits et créés. Dans les années 1980, il y avait des agences de voyages à tous les coins de rue ; aujourd’hui, une majorité de billets d’avions se vendent sur internet. Ce sont des évolutions qui reflètent le progrès technologique… Le gouvernement en matière de politique industrielle doit formuler une doctrine claire : il a un rôle clé à jouer dans les infrastructures, la production de recherche fondamentale et l’accès à la connaissance.

Adoption de nouvelles technologies de rupture et abandon de certaines idées qui la pénalisent... Toutes ces ruptures requièrent-elles un repositionnement de l'industrie française ?

Robin Rivaton : La position de la gamme est une vue de l'esprit. Personne ne se lance dans une production en se disant qu'il va mettre le curseur ici ou là. La production démarre autour d'un produit dont le prix est fixé par rapport à ses qualités face à celles de ses concurrents. Aucun chef d'entreprise française ne se fourvoierait sciemment aujourd'hui dans une production bas de gamme.

Mais la qualité ne s'acquiert pas d'un coup de baguette magique. Elle est le fruit d'une culture, d'une formation poussée des ouvriers, d'une systématisation de processus et de méthodes industriels, au-delà même de la stricte recherche et développement pour créer des produits différenciés. Tout cela est envisageable – voir les efforts menés par Toyota à Valenciennes – mais réclame des investissements lourds qui nous ramènent sur le problème de la rentabilité des activités industrielles en France. En outre, j'ajouterai que les robots sont des vecteurs puissants de qualité par la régularité de leur travail, voir par exemple les productions de Kia garanties sept ans et dont l'usine européenne de Zilina en Slovaquie est très robotisée.

Augustin Landier & David Thesmar : Le basculement vers l’immatériel va continuer : on peut anticiper que l’immatériel va représenter une fraction de plus en plus importante dans notre production. Dans cette économie de l’immatériel, une économie de services disons-le, il y aura d’une part des métiers très spécialisés liés au développement du code informatique, et de l’autre des emplois de contacts avec la personne : ce sont ces derniers qui constituent le grand réservoir d’emplois peu qualifiés, et donc la clé pour résorber le chômage. L’opposition industrie-services devient obsolète dans cette économie.

Comment expliquer que l'industrie française soit tellement en retard dans son adaptation aux nouveaux processus de production ? Quelle responsabilité les lourdeurs de l'Etat stratège portent-elles dans ce retard ?

Robin Rivaton :  L'Etat français n'a plus joué de rôle de stratège dans la politique industrielle depuis le début des années 1980, l'échec cuisant du plan Machines-outils ayant mis fin aux dernières ardeurs des dirigistes. L'Etat a ensuite mené une politique favorable aux entreprises pas spécifiquement industrielles via la désinflation compétitive qui a fait gonfler les marges des entreprises, celles-ci ayant alors les moyens d'investir et de faire de la recherche et développement ce qui a assuré nos bonnes performances jusqu'à la fin des années 1990.

La responsabilité de l'Etat est engagée à partir de ce moment où il a choisi de faire payer le poids des crises par les producteurs, à savoir les entreprises, en décidant en plus de sacrifier l'industrie au profit d'une vision anti-usine, anti-travail (comme nous le décrivions avec Christian Saint-Etienne dans Le Kapital).

Augustin Landier & David Thesmar : L’Etat stratège, même si on le rebaptise "colbertisme participatif" repose sur un refus (d’ailleurs revendiqué) du Darwinisme. Il s’agit d’une vision "créationniste" de l’économie où l’Etat démiurge décréterait la vie ou la mort des entreprises au moment qui lui convient et en suivant ses intuitions propres, qui dépendent évidemment des enjeux électoraux plus que de la logique économique. Cela a créé un capitalisme de subvention, où le rôle du dirigeant consiste en large partie à garantir les aides d’Etat. Prenez le cas de l’industrie de défense : elle s’est focalisée sur le lobbying pour financer des projets pharaoniques du type porte-avions. Dans l’intervalle, elle n’a pas été poussée à muter : elle a raté le virage du drone et de la cyber-guerre.

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