12 ans après le 11 septembre : l'islam politique, quel(s) numéro(s) de téléphone ? Comment et au profit de qui Al-Qaïda a perdu son monopole médiatique<!-- --> | Atlantico.fr
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Des cabines téléphoniques britanniques.
Des cabines téléphoniques britanniques.
©Reuters

Debriefing

"L'Europe, quel numéro de téléphone ?", s'était demandé le diplomate américain Henry Kissinger en 1970. En 2013, c'est au tour du monde occidental de réaliser que l'islam politique ne se résume pas à une seule organisation.

Atlantico : Peu après les attentats du 11 septembre 2001, l'Occident n'avait d'yeux que pour Al-Qaïda dans sa représentation de l'islam politique. 12 ans plus tard, à la faveur des Printemps Arabes, ces mêmes Occidentaux découvrent des myriades de structures aux motivations variées (Frères Musulmans, Salafistes...). Faut-il en déduire que l'islam politique s'est nettement diversifié durant cette période, ou sommes-nous simplement en train de découvrir la complexité du phénomène ?

Samir Amghar : Al-Qaïda était l'arbre qui cachait la grande forêt de l'islam politique. L'islam politique est d'une grande diversité. A l'intérieur même d'un même courant, il y a de nombreuses tendances. Au sein du parti Ennahda, on doit distinguer les ultra-conservateurs, les conservateurs et les pragmatiques. De plus, il serait faux de croire que l'islam politique est une idéologie figée. Certains se réclament de la théologie de la libération, d'autres de l'extrême-gauche européenne et d'autres défendent le libéralisme économique. Elle s'est également adaptée aux réalités politiques contemporaines. Un certain nombre d'islamistes du moins chez les Frères musulmans reconnaissent la démocratie alors qu'ils s'y opposaient radicalement au début des années 1990.  

Ardavan Amir-Aslani : Le 11 septembre, dans des conditions tragiques que l’on connaît, le monde s’est rendu compte, que contrairement à ce qui était perçu comme une réalité, l’ennemi n’était pas celui que l’on croyait. Alors que la planète avait été entrainée à croire que l’ennemi était l’Iran et le chiisme, les terroristes du 11 septembre se sont avérés n’être que des ressortissants des pays "amis" ou "alliés", c’est-à-dire des Saoudiens, Emiratis et Qataris. Tous sunnites. Aucun Iranien. Aucun chiite. Par la suite, tous les attentats, sans exception aucune, ayant secoué le monde occidental, ont été perpétré par ceux qui se revendiquaient de telle ou telle école radicale sunnite. En fait, l’occident a vu que le clash des civilisations ne l’opposait pas à l’islam en général mais à une certaine forme de l’islam sunnite en particulier.

Aujourd’hui quand on parle de l’extrémisme islamiste, les groupes qui viennent immédiatement à l’esprit comme les Talibans en Afghanistan, le Front Nusra en Syrie, Al Qaida, Boko Haram au Nigéria, etc. sont tous sunnites et tous adhérents de certaines des écoles les plus réactionnaires et rétrogrades de l’islam issu de la péninsule arabique le Wahhabisme. En fait, les occidentaux ont encore aujourd’hui beaucoup de mal à comprendre cette réalité. La plupart des Français ainsi n’ont pas encore associés des pays comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar, tous deux Wahhabites, à des mouvements que je viens de mentionner. Il faut se rappeler que la quasi-totalité des terroristes du 11 septembre venait de la péninsule arabique, dont une quinzaine de Saoudiens.

Le djihadisme

Samir Amghar : Les partisans de ce courant de l’islam place l’usage du jihâd au cœur de leur croyance religieuse, ce dernier relevant d’une obligation religieuse. Le recours à la violence est à la fois idéologique et tactique. Ainsi, ces mouvements préfèrent l’action directe à tous les autres modes d’action politique, qu’ils discréditent entièrement. Force est de constater que le jihadisme a retrouvé un dynamisme certain grâce à l’émergence de nouvelles zones de combats, résultant des soulèvements dans le monde arabe. En effet, pris de cours par l’ampleur des soulèvements populaires dans les pays arabes, les militants jihadistes ont été dans un premier temps inquiétés par les conséquences que les soulèvements populaires dans le monde arabe pouvaient affecter les mouvements révolutionnaires armées. Cependant, ils ont vu dans les révoltes une opportunité stratégique pour  relancer le jihad. Avec la libération de militants jihadistes proche d’Al-Qaïda notamment en Tunisie avec Abu ‘Iaydh, fondateur de l’organisation Ansar al-Shar’îa se sont très vite mobilisés pour tenter de récupérer la révolution. En effet, dans un contexte de libéralisation du champ politique et religieux, les jihadistes voient dans les révoltes une opportunité historique de créer un Etat et une société islamique

Les Frères Musulmans

Samir Amghar : Pour les Frères musulmans, l’islam n’est pas uniquement une religion, mais également un système global (shumûliyya al islâm) régissant tous les domaines de la vie. Reposant sur le tryptique "dîn, duniya wa dawla" (religion, vie et Etat). Ils prônent un quadrillage de la société sur fond d’activisme religieux et social. En Europe, ils défendent une vision engagée de l’islam et se mobilisent à chaque fois que l’identité islamique est remise en cause par les pouvoirs publics. Ils s’inscrivent dans une logique de lobbying. Dans les pays arabes, la dynamique est différente. Organisés en partis politiques, ils ont pour objectif de conquérir l’Etat et introduire plus de références à l’islam, sans pour autant fondé un Etat islamique. Dans ce cadre, les Frères musulmans veulent mettre en place un smic islamique à partir duquel le musulman ne pourrait pas aller en deçà en termes de pratique religieuse. Financièrement, ils peuvent compter sur les quêtes réalisées auprès de leurs membres qui ont l’obligation de verser une part de leur salaire et depuis les soulèvements dans le monde arabe, sur les dons du Qatar qui a ainsi versé plusieurs millions de dollars à Ennahda.

Les Salafistes et les Wahhabites

Samir Amghar : Ils sont très critiques des Frères musulmans et du jihadisme et sont persuadés que le salut des musulmans passe par l’éducation religieuse. Jusqu’au Printemps arabe, ils se désintéressaient des questions politiques et préféraient se concentrer sur des activités de prédications religieuses. Cependant, un certain nombre d’entre eux considèrent qu’il est impératif de s’impliquer en politique. La démocratie qui était considéré jusqu’alors considérée comme une forme d’associationnisme (chirk) conduisant à l’hérésie est désormais vue comme un système politique qui permet d’introduire l’islam dans les consciences. C’est le cas par exemple du parti al-Nour en Egypte qui est une des forces politiques les plus importantes en Egypte.  En général, cette tendance de l’islam bénéficie des prébendes de l’Etat saoudien.

Le clergé iranien

Samir Amghar : Contrairement à ce que l’on peut imaginer, l’islam iranien est plus ouvert que l’islam sunnite. Sur bien des questions morales ou de sociétés, l’islam iranien fait preuve d’une plus grande ouverture. Si d’un point de vue religieux, cet islam est plus libéral, à un niveau politique, il est révolutionnaire. Au lendemain de sa création en 1979, la République islamique d'Iran avait clairement affirmé que sa politique étrangère était en partie fondée sur l’idée d’exporter sa révolution islamique dans les pays musulmans. Durant les années 1980, plusieurs régimes arabes ont fait l’objet de tentatives de déstabilisation comme en Irak et au Bahreïn.

Ardavan Amir-Aslani : Il convient à mon sens de distinguer les mouvements politiques des écoles religieuses. Alors qu’Al-Qaida et les Frères Musulmans sont des mouvements politiques, le Wahhabisme et le Salafisme sont des écoles religieuses sunnites qui représentent en fait l’école de pensée des adhérents de ces deux mouvements comme par exemple le catholicisme est la religion des membres de tel ordre ecclésiastique.

Tous les mouvements que vous citez sont des mouvements dont la vocation plus ou moins avouée est de créer le grand Caliphat au sein de tous les pays musulmans. Tous ces mouvements raisonnent dans le temps et ont une vocation transnationale. Prenez le cas d’Al-Qaida. Initialement créé par un Saoudien, Ben Laden, il a essaimé aujourd’hui en Iraq avec Al-Qaïda en Mésopotamie, en Afrique du Nord avec Al-Qaida dans le Maghreb Islamique en Asie etc.

Les Frères musulmans pour leur part, originellement créés, il y a presqu’un siècle en Egypte, comme une organisation politique initiatique hiérarchisée, à l’instar des mouvements maçonniques, sont devenus un mouvement international avec un essaimage de groupes sœurs partout dans le monde musulman comme l’AKP Turc d’Erdogan, l’Ennahda en Tunisie jusqu’aux Emirats qui les ont interdit il y a peu.

Incontestablement, à l’instar de ce que l’on constate en Syrie, tous ces mouvements sont globalement financés par leurs sponsors issus de la péninsule arabique. Ainsi le Qatar a soutenu les Frères Musulmans en Egypte et en Tunisie alors que l’Arabie Saoudite apporté son concours aux Salafistes du parti Al-Nour en Egypte. Ces deux pays financent et arment également les mouvements djihadistes qui sévissent actuellement en Syrie.

Par contre, il serait erroné de mettre le clergé chiite dans la même catégorie que les mouvements que vous citez. Le clergé chiite n’est pas un mouvement politique même si depuis l’avènement de la révolution iranienne il peut y avoir une confusion des genres. Ainsi, il existe par exemple à Nadjaf en Iraq tout un clergé chiite qui se dit quiétiste et répugne à l’idée de l’islam politique. Le chiisme est une religion, à mon sens, différente du Sunnisme. D’ailleurs, la chance du chiisme réside dans le fait qu’il y a justement un clergé hiérarchisé et éduqué qui peut contrôler les dérapages éventuels alors que n’importe qui peut se qualifier d’Imam chez les Sunnites et lancer des fatwas.

Quelles sont les interactions de ces différents groupes entre eux ?

Samir Amghar : Même si ces mouvements puisent à leurs références dans le même fond doctrinal, il n’empêche qu’ils entretiennent entre elles des relations complexes. Tantôt elles se considèrent comme des structures sœurs et réalisent un travail complémentaire. C’est le cas par exemple des Frères musulmans européens et le Milli Görüs, association turque, présente en Europe. Tantôt, elles se concurrencent voir s’affrontent. C’est le cas par exemple, des partis à référentiels religieux comme les Frères musulmans et le parti al-Nour en Egypte se sont affronter électoralement et se disputer la même clientèle politique.

Ardavan Amir-Aslani : Tous les mouvements organisés de l’islam sunnite comme les Frères Musulmans aspirent au pouvoir transnational et pan islamique. Considérant qu’ils parlent tous au nom d’Allah et du Coran, ils sont par définition des mouvements intolérants et sectaires. Ils se concurrencent tous pour le pouvoir. Il suffit à ce propos de voir ce qui se passe en Syrie en terme de rivalités entre les différents mouvements djihadistes qui se font autant la guerre entre eux que contre l’armée régulière.

En parallèle, l'islam européen a souvent été présenté comme un ensemble de franchises de ces différentes mouvances. Peut-on dire au contraire qu'il est en train d'occuper une place à part dans le monde Musulman ?

Samir Amghar : Ces mouvements sont de véritables multinationales du religieux. Ils sont non seulement présents là où se trouve dans des pays à majorité musulmane mais également en Europe où vivent des minorités de confession islamique. C’est le cas par exemple de la Fédération des organisations islamiques en Europe (FOIE) dont le siège est à Bruxelles et qui est actuellement dirigé par un Suédois d’origine tunisienne. La FOIE doit être considéré comme l’expansion de l’organisation des Frères musulmans. Cependant, ce qu’il faut remarquer, c’est que ces structures qui se revendiquent d’un islam oriental, tend de plus à plus à s’enraciner dans les réalités politiques et à épouser les pratiques du pays d’accueil. Ainsi, Camel Bechikh qui est un Frères musulman a fondé une association qui se nomme Fils de France dont l’objectif est de développer entre autres le patriotisme français dans le cœur des musulmans.

Ardavan Amir-Aslani : La chance de l’islam d’Europe est celle d’être confrontée aux instituions de gouvernances européennes. La distinction fondamentale qu’il y a lieu d’opérer d’un point de vue institutionnel entre l’islam et le christianisme est que l’islam considère qu’il ne peut y avoir de loi que d’origine divine. L’islam ne connaît pas la parole du Christ "Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu" (Matthieu, XXII,2) qui a permis la séparation de l’Eglise et de l’Etat en occident. D’où l’extrême difficulté qu’ont eue par exemple les Frères Musulmans en Egypte une fois arrivés au pouvoir à rester séculier face aux institutions. En Europe, au moins, il y a l’espoir, que face aux instituions démocratiques, une version plus tolérante et plus ouverte de l’islam puisse prendre racine et ce à condition que l’on n’amène pas sur le territoire ceux-là même qui financent les mouvements que vous citez…

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