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A Dalian, les émergents préparent le monde de demain pendant qu'à Davos, les développés radotent sur celui d’hier
©Reuters

Réunion au sommet

La septième édition du Forum économique mondial, le Davos d'été, débute à Dalian (Chine) ce mercredi 11 septembre. Créé en 1971 par Klaus Schwab, ce forum réunit des dirigeants d’entreprise, des responsables politiques du monde entier ainsi que des intellectuels et des journalistes. Cette année, le thème sera l'innovation, en relation avec la priorité du programme du nouveau gouvernement chinois.

Michel Aglietta

Michel Aglietta

Michel Aglietta est professeur de sciences économiques à l'université de Paris Ouest Nanterre et conseiller scientifique au CEPII et à Groupama-Asset management.

Il est le co-auteur avec Guo Bai de La voie chinoise (Odile Jacob, 2012) et de nombreux autres ouvrages sur la Chine.

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Atlantico : Le Forum d’été de Davos se tiendra du 11 au 13 septembre à Dalian, en Chine. Cette année, le thème principal du forum concerne l’innovation et ses enjeux. Les participants tenteront de trouver des solutions sur ce sujet. Quelle place la compétitivité occupera-t-elle lors de cette rencontre ?

Michel Aglietta : Ici, on relie compétitivité et innovation alors que souvent on relie compétitivité et baisse des coûts. La compétitivité permet de gagner des parts de marché sur des concurrents en faisant plus de productivité. Lorsqu’on veut lier compétitivité et innovation, on se préoccupe de cette dimension, plus dynamique du point de vue de la croissance. La compétitivité crée une guerre des prix. Une compétitivité par l’innovation permet de gagner plus de parts de marché car en vendant des produits nouveaux et plus performants qui permettent d’augmenter la productivité dans les processus de production de ceux qui vont les acheter, tout le monde y gagne. La productivité a beaucoup baissé dans le monde entier à cause de la crise. L’idée est de faire repartir au niveau de l’économie mondiale un rythme d’innovation meilleur qui permet d'accroître la productivité donc la croissance générale du monde.

Sur l’urbanisation, l’avenir de la finance et la réussite dans la mondialisation, thèmes abordés lors du Forum d’été à Davos, les préoccupations des émergents sont-elles les mêmes que les nôtres ?

Non, elles ne sont pas les mêmes car nous avons déjà fait le processus d’urbanisation. Il faut maintenant l’améliorer avec le climat, augmenter l’efficacité énergétique, réduire les consommations d’énergie dans les bâtiments, etc. Notre problème est d’améliorer la qualité des villes mais notre taux d’urbanisation est très élevé tandis que pour la plupart des pays émergents, il y a encore beaucoup de transferts d’une population rurale vers les villes à faire. Prenons l’exemple de la Chine qui réalise un processus énorme d’urbanisation, lorsque le Parti communiste est arrivé au pouvoir en 1949, 95% de la population vivait à la campagne. En 1980, il y avait 80% de la population à la campagne. La réforme a été dirigée par le processus d’urbanisation. Ce changement structurel transforme les économies. Aujourd’hui, 53% de la population chinoise vit en ville. Le processus est encore limité, les émergents ont encore un effort d’urbanisation à faire et ce sera le vecteur de la croissance. La productivité en ville, du fait des forces d’agglomération, entraîne une plus grande productivité que celle de la campagne. Le seul fait de faire migrer des gens de la campagne vers la ville accroît la productivité globale de l’économie et crée de nouvelles demandes. Il faut réussir à bien organiser l’urbanisation sans exclure la population dans les activités de la ville. Cela suppose une planification stratégique où l’on coordonne plusieurs politiques : une politique foncière et une politique budgétaire pour réaliser les investissements qu’il faut. Cette planification d’urbanisation est le grand vecteur qui va être le moteur de la croissance dans le monde émergent. Les Français ont beaucoup de bons urbanistes, on peut apporter des compétences et des services aux zones qui le demandent. Un forum comme Davos peut aider à repérer des projets, trouver des financements et monter ces projets.

Les besoins de financement à long terme sont énormes alors que la crise a mis le système financier dans une situation où il est peu capable de financer le long terme. Pour essayer de résoudre les problèmes qui ont mené à la crise, on impose de nouvelles règles. Les acteurs de la finance d’avant-crise semblent incapables de se lancer dans des financements de projet, d’où la nécessité d’avoir recours à des financements nouveaux. Au lieu d’avoir des financements en dollars, on a maintenant des financements dans des devises nationales, d’ailleurs les Chinois ont commencé à internationaliser leur devise. Il y a aussi les financements par les entités publiques qui sont les fonds souverains et les banques de développement. Ce type d’organisations peut remplacer le retrait relatif du système bancaire du fait du choc de la crise sur les pays occidentaux. Pour pouvoir faire ce type de transformations, il faudrait  des financements publics forts.

Dans une ère post-crise financière, l’Occident et les pays émergents connaissent-ils la même fragile reprise de l’économie mondiale ?

On a plutôt eu un effet de ciseau. La crise a été un choc énorme pour nous. Les pays émergents ont mieux supporté la crise que l’Occident car ils avaient des réserves. Ils avaient une forte croissance dans les années 2000 et avaient constitué une forte réserve de changes qui leur a permis d’absorber une partie du choc. Leur récession a été très faible et limitée. Chez nous, la rentabilité des capitaux était très faible et les banques centrales injectaient beaucoup de liquidités dans l’économie. Les banques ont été incapables d’allouer ces liquidités à des crédits nouveaux. Elles ont exporté massivement ces capitaux dans les pays émergents. Cela a créé de la perturbation chez eux, sauf la Chine qui a mis des contrôles de capitaux et a empêché que ce processus se fasse à grande échelle. Le taux de change s’est apprécié, ils sont devenus moins compétitifs, il y a eu de la spéculation sur les marchés de ces pays et leur gestion macroéconomique a été perturbée. Les taux d’intérêt remontent en Occident, les acteurs financiers réajustent leur placement et retirent massivement l’argent investi dans les économies émergentes. Ce retrait de capitaux déstabilise ces pays qui ont un système financier fragile.

Tant que nous ne serons pas capables de fabriquer un système de gouvernance monétaire, il y aura des conflits et une inefficacité dans les relations internationales. Tant qu’il n’y a pas de coopération effective au niveau international, la meilleure façon est de mettre des contrôles de capitaux. S’il y a plus de conflits géopolitiques, la reprise économique cesse. 

Propos recueillis par Karen Holcman

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