Christiane Taubira favorable à la PMA pour les couples de femmes : mais serait-il alors possible de ne pas passer à la GPA ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme enceinte.
Une femme enceinte.
©Flickr/genue.luben

Remis sur le tapis

"Je pense que la demande de PMA pour les couples homosexuels est une demande légitime", a déclaré jeudi la ministre de la Justice Christiane Taubira. Des propos qui interviennent alors que le Comité consultatif national d’éthique devrait prochainement rendre son avis sur ce sujet.

Jean-René  Binet

Jean-René Binet

Jean-René Binet est professeur de droit privé à l’université de Franche-Comté. Spécialiste réputé des questions de bioéthique, il est auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles relatifs au droit des personnes et de la famille, à la bioéthique et au droit médical, il a dernièrement publié, aux éditions Lextenso Montchrestien un cours de Droit médical en octobre 2010 et La réforme de la loi bioéthique, aux éditions LexisNexis en mars 2012

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Atlantico : Christiane Taubira dans l'émission Des paroles et des actes s'est déclarée favorable à l'ouverture de la PMA pour les couples de femmes. Quelle est la logique politique de cette déclaration ?

Jean-René Binet : Sur le fond, tout d’abord, cette déclaration ne surprend guère. En effet, Mme Taubira a, à plusieurs reprises, manifesté la même position favorable à l’égard de cette ouverture. Il s’agit, chez elle, d’une conviction personnelle fermement ancrée. Rien de nouveau sous le soleil par conséquent. Cependant, si l’on se place sur le terrain du calendrier, il est possible que cette déclaration ait un sens politique. Elle intervient, en effet, au moment où Mme Touraine, Ministre de la Santé, fait connaître ses réticences à ce que le sujet soit traité dans le cadre de la loi « famille » qui devrait prochainement arriver en débat au Parlement, par peur de diviser ou provoquer des crispations. La déclaration de Mme Taubira permet donc de ne pas laisser entendre uniquement la voix de Mme Touraine sur cette question. Toutefois, le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, étant saisi d’une demande d’avis sur l’extension des conditions d’accès à la PMA, il serait bon de le laisser travailler dans la sérénité, pour que cette question complexe soit traitée avec toute la distance qui convient.

Admettons que la PMA soient accordée aux couples de femmes. Juridiquement, serait-il possible de n'accorder ce droit qu'aux couples de femmes ? Est-il possible de limiter ce droit à certains couples ?

Concrètement, votre question vise à savoir s’il est possible d’accorder la PMA aux couples de femmes sans autoriser l’équivalent, c’est-à-dire la gestation pour autrui ou GPA aux couples d’hommes. Pour répondre à cette question, il faut se demander  si les situations sont identiques ou différentes. Si l’on considère qu’elles sont identiques ou similaires, il semble difficile de leur donner une réponse différente. Une telle solution prêterait le flan à une critique fondée sur la discrimination. Toutefois, si l’on considère que les situations ne sont pas semblables, il est tout à fait possible de leur donner une réponse différente : il n’y a pas de discrimination à traiter différemment des situations différentes. Or, en droit français, la GPA n’est pas une technique d’assistance médicale à la procréation. C’est un acte impliquant la conception d’un enfant dans une intention d’abandon et faisant de la mère porteuse l’instrument de la satisfaction du désir d’autrui. Un tel acte est donc contraire tout à la fois à l’intérêt de l’enfant et à la dignité de la femme. Par conséquent, il ne me semble pas que l’autorisation de la PMA pour les couples de femmes devrait, juridiquement, conduire à l’autorisation de la GPA. Toutefois, sur ces sujets, les réponses ne sont pas que juridiques, et la politique a parfois des raisons que le droit ignore.

Nombreux sont les opposants au mariage pour tous, des juristes notamment, qui ont estimé que si le mariage et l'adoption sont ouverts aux couples de même sexe, alors la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) obligera forcément la France à légaliser la procréation médicalement assistée (PMA) et la gestation pour autrui (GPA), au nom du principe de non-discrimination entre les couples. Partagez-vous ce raisonnement ?

J’aurais une position plus nuancée. L’argument consiste à dire qu’en France nous aurions des couples mariés pouvant accéder à la PMA – ceux qui sont formés d’un homme et d’une femme – et d’autres – de même sexe – qui ne le peuvent pas. Cette situation serait discriminatoire et pourrait conduire à une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme. C’est possible, mais pas certain. J’émettrais en effet deux réserves. La première est que l’accès à la PMA n’est plus en France conditionnée par le mariage. L’article L. 2141-2 du Code de la santé publique, qui pose ces conditions, vise en effet un couple formé d’un homme et d’une femme sans évoquer le mariage. La condition essentielle est donc l’altérité sexuelle, pas la nature juridique de l’union. Sur ce point, la loi du 17 mai 2013 ne change donc rien à l’affaire. De plus, si l’on veut réfléchir à cette question de manière plus large, il faut relever qu’en matière de PMA, la Cour européenne des droits de l’homme, reconnaît aux Etats une marge nationale d’appréciation. Seules l’incohérence des règles qui en conditionnent l’accès ou leur caractère discriminatoire peuvent alors conduire à une condamnation. En l’état actuel de notre droit, il ne me semble pas que ce soit le cas. Les conditions de la PMA sont en effet organisées autour d’un principe structurant : permettre à l’enfant de se considérer comme étant issu de l’homme et de la femme que la loi désigne comme son père et sa mère. C’est ce qui fonde l’interdiction de la PMA après le décès de l’un des membres du couple. La même logique conduit à n’autoriser la PMA qu’aux couples formés d’un homme et d’une femme en âge de procréer. Le maintien de ce principe structurant constitue l’enjeu essentiel de l’avis que rendra prochainement le CCNE.

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