Syrie : les raisons qui poussent Obama à s'en remettre au Congrès<!-- --> | Atlantico.fr
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80% des Américains souhaitent que le Congrès soit convoqué avant toute intervention en Syrie.
80% des Américains souhaitent que le Congrès soit convoqué avant toute intervention en Syrie.
©Reuters

Je peux pas le dire, mais....

En remettant entre les mains du Congrès la décision d'une intervention en Syrie, le président américain repousse à nouveau la date d'une opération à laquelle il ne semble pas vraiment favorable.

Anne Deysine

Anne Deysine

Anne Deysine est juriste (Paris II) et américaniste. Spécialiste des questions politiques et juridiques aux Etats-Unis, elle est professeur à l'université Paris-Ouest Nanterre. Enseignant aussi à l'étranger, elle intervient régulièrement sur les ondes d'Europe 1, RFI, France 24, LCI... Auteur de plusieurs ouvrages, dont "La Cour suprême des Etats-Unis" aux éditions Dalloz, ses travaux sont consultables sur son site Internet : deysine.com.

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Atlantico : Le président Obama a affiché sa prudence samedi dernier en annonçant qu’il délèguerait au Congrès la décision d’une intervention en Syrie. Que révèle selon vous cette apparente volte-face dans la stratégie du locataire de la Maison Blanche ?

Anne Deysine : Je commencerai par dire que le terme « déléguer » n’est pas tout à fait correct. Si l’on s’en tient strictement à la Constitution américaine, le Congrès est celui qui a le pouvoir de déclarer la guerre et de prendre en charge la défense nationale. Si le président peut effectivement envoyer des troupes sans consulter les parlementaires, il s’agit là d’une sorte « d’abus de pouvoir » qui s’est répandu au fil des diverses interventions. Cela étant, il est évident que M. Obama n’est pas exempt d’arrière-pensées lorsqu’il prend une telle décision. Le fait de solliciter l’autorisation du Congrès est un moyen pour lui de placer les membres de la Chambre et du Sénat devant leurs responsabilités. Si la Chambre est plutôt dominée par les Républicains et le Sénat par les Démocrates, nous sommes loin d’un régime parlementaire où chaque camp voterait comme un seul homme derrière son leader. Ainsi les 201 membres de la chambre qui sont étiquetés démocrates ne se rassembleront probablement pas derrière le président pour appuyer la décision d’une intervention, une bonne part d’entre eux étant fondamentalement hostiles à l’ouverture d’un nouveau front au Moyen-Orient.

Par ailleurs, le fait de consulter le Congrès est un moyen pour Obama de gagner du temps, puisque la rentrée parlementaire se fera seulement le 9 septembre et qu’il n’a pas décidé de convoquer une session extraordinaire pour cette occasion. Cela veut dire que, selon l’hypothèse la plus favorable, l’éventuel vote d’une résolution ne se ferait pas avant mi-septembre. C’est aussi un moyen de « recenser » l’avis de chacun des parlementaires puisque l’on saura clairement qui a voté pour ou contre l’intervention, ce qui évitera un bon nombre de critiques au lendemain d’une possible attaque. Au sein du camp républicain, l’avis penche majoritairement en faveur d’une intervention, comme le démontre la position du sénateur Mc Cain qui, paradoxalement, regrette que le président ne soit pas passé outre l’avis du Congrès pour intervenir.

Plus généralement, Obama est un homme qui a reçu le Prix Nobel de la paix, et l’on peut difficilement le qualifier d’interventionniste. Il fait de plus face à une opinion publique de plus en plus hostile à toute forme d’implication au Moyen-Orient. Rappelons que les Etats-Unis ont été impliqués pendant presque dix ans en Irak et en Afghanistan pour un coût cumulant plusieurs centaines de milliards de dollars alors que l’économie américaine aurait aujourd’hui bien besoin de ces sommes pour relancer l’investissement d’Etat (infrastructures, relance économique…). Le président est de plus un homme suffisamment averti pour savoir qu’il n’y a concrètement rien à gagner dans le conflit syrien actuellement. Cela sous-entend que la voie de sortie la plus crédible serait la rédaction d’une résolution « étroite » qui se limiterait à quelques frappes sur une courte période de temps. Enfin, il y a au sein de l’administration Obama une véritable angoisse quant à une possible répétition du scénario afghan, où l’on a armé des rebelles islamistes qui se sont ensuite retournés, avec tout le matériel nécessaire, contre les Etats-Unis.

Un sondage réalisé par NBC révèle que 80% des Américains souhaitent que le Congrès soit convoqué avant toute intervention. En 2009, ils étaient encore 57% à soutenir le conflit en Afghanistan. Cela peut-il expliquer une certaine rupture avec la méthode Bush ?

Il faut se rappeler que M. Bush était allé en Afghanistan après qu’une résolution conjointe ait été votée (septembre 2001), tout comme l’intervention en Irak qui s’était faite à la suite d’un vote du Congrès. Je dirais que la différence ne se trouve pas tellement dans l’effet de surprise, mais dans l’utilisation d’un mensonge (les armes de destructions massives dans le cas irakien) pour justifier une action armée et obtenir le vote des parlementaires.

Bien que le vote du Sénat semble plus ou moins acquis, une coalition spontanée entre démocrates antimilitaristes et républicains isolationnistes pourrait bien se former à la Chambre. La possibilité d'un blocage parlementaire vous semble-t-elle concrète ?

Il est en effet bien possible que M. Obama n’obtienne pas le vote de la résolution. Précisons que l’on ne trouve pas vraiment de coalition dans le Congrès américain, le président étant obligé de rassembler voix par voix, en fonction des orientations de chacun, une majorité pour approuver ladite résolution. Paradoxalement, sur un sujet de politique étrangère, il y a ainsi plus de chances de voir les républicains soutenir une intervention que les démocrates. Il est donc probable de rencontrer un « blocage » sur ce sujet comme on en rencontre sur tant d’autres, comme le port d’armes et l’immigration dont les textes restent bloqués dans les couloirs du Congrès. Dans l’hypothèse d’un refus parlementaire, il ne reste que deux solutions qui apparaissent toutes deux peu recommandables. Soit il passe outre et décide d’intervenir malgré tout, ce qui créera beaucoup d’interrogations sur l’utilité d’une consultation parlementaire, soit il n’intervient pas, ce qui abîmera considérablement l’image du commandant en chef qui est censée habiter un Président américain. Cependant, M. Obama ne semble pas avoir envie que Washington demeure aujourd’hui le gendarme mondial.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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