Brésil, Inde... Les pays dits émergents tardent finalement à émerger : et si on avait surestimé le miracle économique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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On observe un ralentissement de la croissance brésilienne
On observe un ralentissement de la croissance brésilienne
©Reuters

Du miracle au mirage

Après une forte croissance économique dans les pays émergents au cours des années 2000, la plupart font face à une période compliquée. Toutefois, les problèmes rencontrés par ces puissances industrialisées ne sont pas conjoncturels mais structurels.

Michel Aglietta

Michel Aglietta

Michel Aglietta est professeur de sciences économiques à l'université de Paris Ouest Nanterre et conseiller scientifique au CEPII et à Groupama-Asset management.

Il est le co-auteur avec Guo Bai de La voie chinoise (Odile Jacob, 2012) et de nombreux autres ouvrages sur la Chine.

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Atlantico : Le Brésil, la Russie ou encore la Chine ont connu une croissance exceptionnelle au cours des années 2000. Entre 2004 et 2011, la croissance chinoise avoisinait les 10%, la croissance indienne les 8% et les croissances brésilienne et russe les 4%. L’ampleur et la rapidité de développement de ces nations a laissé pensé aux pays du G6 qu’ils représenteraient un poids global équivalent au leur à l’horizon 2040. Or, on observe un ralentissement de leur croissance. Après avoir parlé de miracle, peut-on parler de mirage ?

Michel Aglietta : Ni l’un ni l’autre. Il y a de grosses différences entre ces pays. La croissance chinoise c’est 10% sur 30 ans. Il y a une très grande régularité de la croissance chinoise depuis 1980, ce pays est bien au-delà des pays émergents et est devenu une très grande puissance industrielle. Parmi les autres, certains sont des pays producteurs de matières premières. Il est très difficile lorsqu’on dépend d’une ressource très fluctuante en termes de demande mondiale et de variation des prix, d’extraire le surplus rentier pour le redéployer dans des investissements productifs, de façon à diversifier sa base productive dans d’autres secteurs notamment pour développer l’industrie manufacturière. Des pays industrialisés comme le Canada ou la Norvège parviennent à redéployer leurs ressources dans le sol dans d’autres secteurs et maintenir ainsi la compétitivité du pays.

La plupart des pays producteurs de matières premières n’y sont pas arrivés. La Russie n’a pas pu développer d’entreprenariat privé. Le cas du Brésil est un peu différent. Sa croissance est extrêmement cyclique depuis les années 1980 avec une récession dans les années 1990. Cela gêne les politiques de long terme qui n’arrivent pas à avoir des horizons d’investissement longs pour créer des infrastructures. Le Brésil est handicapé par deux choses : l’absence d’infrastructures collectives qui provoque une révolte des populations dans les villes alors que la pauvreté absolue telle que définie par les Nations Unies a diminué. La classe moyenne est frustrée par le manque des services publics. D’autre part, le taux d’investissement industriel est trop bas, ce qui empêche un rythme de croissance élevé et régulier pour entretenir des progrès de productivité dans des secteurs autres que les matières premières.

Cette productivité étant trop basse alors que les salaires ont augmenté avec les politiques de Lula mises en œuvre depuis 10 ans, entraine des pressions inflationnistes qui font que la politique macroéconomique bute sur des lignes d’inflation et doit remonter les taux d’intérêt. Cela fait du stop and go et cette économie n’arrive pas à un décollage rapide.

La Chine c’est exactement le contraire.Elle a trop de capital alors que les autres pays émergents ont une pénurie et n’arrivent pas à investir suffisamment. En Chine, le taux d’épargne est très élevé mais le gouvernement central a eu un projet de rattrapage capable de canaliser par des structures financières très contrôlées par l’Etat l’épargne vers de l’investissement productif. A partir du moment où elle est entrée dans l’OMC et a bénéficié de l’ouverture des marchés, son régime de croissance a été très cohérent. L’export, l’investissement, la productivité, la  migration de la main d’œuvre des campagnes vers les villes et la main d’œuvre très bon marché ont empêché que l’inflation se développe même si les salaires ont augmenté entre 1995 et 2010. L’inflation a été maîtrisée. La caractéristique de la Chine c’est cette résilience macroéconomique, ce que ne comprennent pas les analystes financiers de l’Occident qui annoncent son effondrement. Il y a dans ce pays une exceptionnelle capacité de maîtrise de l’Etat sur l’économie. Les problèmes de la Chine aujourd’hui sont très différents que tous les autres pays cités.

Comment expliquer le ralentissement de croissance que les BRIC, Brésil, Russie, Inde, Chine, connaissent actuellement ? Est-ce dû au ralentissement observé dans les pays développés - notamment à la diminution de l’attrait des investisseurs internationaux - ou y a-t-il d’autres raisons plus structurelles et spécifiques à chacun de ces pays ?

Ce qui est important de rappeler c’est qu’on est dans une crise financière globale qui n’est pas terminée et qui vient de l’Occident.La principale cause des problèmes des pays émergents est chez nous. La crise a commencé il y a 5 ans, ce qui a entraîné un coup de frein à l’économie mondiale. La Chine importait énormément de marchandises notamment des produits primaires. Le ralentissement de la Chine est provoqué en grande partie par ses exportations vis-à-vis de l’Occident.

Cela a exacerbé les problèmes sous-jacents que chacun avait et qui sont très différents selon les pays. Pour l’Inde et le Brésil, les déséquilibres des finances publiques ont entraîné une montée des tendances inflationnistes du fait du ralentissement de la compétitivité. Les pays les plus fragiles par rapport au choc financier mondial sont les pays qui ont des déficits de balance des paiements (surtout l’Inde, l’Indonésie et la Turquie) qui dépendent beaucoup des capitaux étrangers. C’est à ce moment-là qu’une instabilité réapparait telle que celle des années 1990. Des besoins de financement des balances de paiement supposent d’apporter du capital venant de l’étranger. Celui-ci dépend d’arbitrages et d’investisseurs internationaux qui eux-mêmes sont fonction des anticipations que l’on a sur les changements de la politique américaine. C’est ce qu’on rencontre aujourd’hui. L’approche d’une période dans laquelle les taux d’intérêt vont monter aux Etats-Unis fait qu’énormément de capitaux sont allés dans les pays émergents parce que la rentabilité était très faible aux Etats-Unis. Les investisseurs sortent les capitaux des pays émergents entraînant une crise de balance des paiements et une crise de change dans plusieurs de ces pays.

La Chine échappe à cela mais elle connait un ralentissement tendanciel de la croissance qui, lui, est irréversible et qui découle du fait que la Chine a besoin de changer son régime de croissance qui a trop réussit. Il faut que la Chine redéploie sa croissance sur une base productive meilleure en technologie, en main d’œuvre qualifiée, rééquilibrer les rapports entre les différentes provinces et les changements structurels entraînent une transition difficile à gérer.

Peut-on affirmer que les pays émergents peinent à passer d’une phase de décollage et de développement économique à une phase de maturité ?

Cela dépend des pays. Le principal problème du Brésil est qu’il est producteur de matières premières, ce qui crée une rente foncière. C’est l’Etat qui doit centraliser cette rente pour la redéployer dans d’autres secteurs économiques en donnant une impulsion détachée et découplée des matières premières. Cela entraine des problèmes de bureaucratie, de corruption, d’arbitrage entre forces sociales. Cette reconversion de la rente est ce qui pose le plus problème.

L’Inde est dualiste.D’un côté, il y a des secteurs novateurs et très modernes. De l’autre, il y a un retard énorme de la population avec un fort taux d’illettrisme. L’Inde a un gouvernement fédéral très large, les provinces font ce qu’elles veulent, le gouvernement a peu de levier pour mener une action dynamisante, contrairement à la Chine.

La Russie n’a jamais pu développer un secteur privé de petites et moyennes entreprises. Il y a une forte dépendance à l’Etat. Le pays est trop rigide. L’autre aspect est la décroissance de la population et la baisse de l’espérance de vie ce qui est rare aujourd’hui et qui empêche d’avoir une économie dynamique.

Avec l'amélioration du niveau de vie de ces populations, les inégalités se sont-elles creusées ? Sont-elles à l'origine des tensions ?

D’une part, il y a les inégalités sociales. De l’autre, les services publics. Au Brésil, il y a eu un très grand travail de réduction des inégalités avec les politiques de Lula très décentralisées.L’aide est envoyée aux familles à condition qu’elles envoient leurs enfants à l’école, il n’y a pas de déviation ni de corruption. Par contre, le Brésil a du mal à investir, l’investissement de l’Etat est faible, les infrastructures vieillissent et le niveau d’éducation est insuffisant. Les classes moyennes sont très frustrées, ce qui entraîne un malaise chez celles-ci.

Lorsque la classe moyenne est créée, elle a certains revenus, elle observe ce qui se passe en Occident, elle peut acheter des biens modernes et a des revendications politiques pour mieux organiser la vie urbaine. Le gros défi de ces pays émergents est de transformer les classes moyennes en force de développement.

C’est un désastre de mettre dans le même sac ces pays qui ne sont ni dans les mêmes trajectoires, ni sur les mêmes bases de ressources, et ont des processus de développement très différents.

Propos recueillis par Karen Holcman

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