Jobs, le film : les cinq ingrédients indispensables pour faire un bon biopic<!-- --> | Atlantico.fr
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Steve Jobs, co-fondateur et ancien P.-D.G. d’ Apple.
Steve Jobs, co-fondateur et ancien P.-D.G. d’ Apple.
©Reuters

Recette

"Jobs", le film qui raconte l'histoire du fondateur d'Apple, sort le 21 août dans les salles françaises, pas même deux ans après sa disparition le 5 octobre 2011. L'occasion d'identifier les recettes gagnantes pour faire de bons biopics et, bien sûr, les impairs à éviter.

Clément  Bosqué

Clément Bosqué

Clément Bosqué est Agrégé d'anglais, formé à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et diplômé du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il dirige un établissement départemental de l'aide sociale à l'enfance. Il est l'auteur de chroniques sur le cinéma, la littérature et la musique ainsi que d'un roman écrit à quatre mains avec Emmanuelle Maffesoli, *Septembre ! Septembre !* (éditions Léo Scheer).

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Atlantico : Les biopics, les films racontant la vie de personnages célèbres, mort ou vivant prennent une place considérable dans la production cinématographique des dernières années : hommes politiques, stars de cinéma, grands champions. Alors pour éviter d'être noyé dans la masse, comment faire un bon biopic ?

Clément Bosqué : D’abord, soyons clair : le reproche fait aux biopics de « verser dans l’hagiographie » n’a pas de sens. Les réalisateurs de biopics sont nos équivalents contemporains de ce qu’autrefois on appelait « hagiographes », c’est à dire historiquement des auteurs qui racontaient la vie de saints (étymologiquement, ἅγιος signifie « saint »). Cela étant dit, il y a de bonnes et de moins bonnes histoires de saints, comme il y de bons et de moins bons films…

Quel type de personnage faut-il choisir de mettre en scène pour attirer le public ?

Il y a le « grand » personnage historique, tel que Napoléon, Gandhi, Mandela (Invictus, 2010), William Wallace (Braveheart de Mel Gibson, 1995). Ce personnage dépasse la plupart des clivages politiques et incarne le génie d’une nation. Le risque est de sombrer dans le grandiloquent et l’éloge excessif, même si, après tout, on peut considérer que l’exercice a sa raison d’être : celle de rassembler autour d’une personnalité qui fait symbole. On peut classer dans cette catégorie le film militant, tel que Milk (Gus Van Sant, 2008) ou Malcolm X (Spike Lee, 1992).

Ensuite, la personnalité politique. Celle-ci peut être mineure ou de second rang (le roi George VI dans le mignonnet Le Discours d’un roi, 2011, le patron de la CIA J. Edgar Hoover dans J. Edgar, d’Eastwood, 2012), très controversée (l’intéressant Frost/Nixon, Ron Howard, 2008), voire unanimement haïe (la pléthore de films sur Hitler, certains sortant du lot comme La Chute de O. Hirschbiegel, 2004), ce qui en fait de très bons « personnages », au sens de la fiction.

Il y a également l’artiste, qu’il soit musicien (Ray, de Taylor Hackford, 2005), peintre (Surviving Picasso, J. Ivory, 1996) ou même réalisateur (Ed Wood, Burton, 1995 ou encore Hitchcock, S. Gervasi, 2013). Attention toutefois : l’artiste torturé est un cliché grossier et le terrain est donc miné. De plus, le biopic d’artiste court le risque d’une redondance dans l’intention : les artistes de tous poils sont bien assez sanctifiés de nos jours par leurs fonctions. C’est à plus forte raison le cas du biopic d’acteur (il s’en prépare sur James Dean, Yves Montand…). Il ne manque plus qu’un biopic sur un réalisateur de biopics.

Enfin, il reste la possibilité de ces personnalités inclassables, « bigger than life », comme disent les américains : c’est le cas de Elephant man de Lynch (1980), de Raging Bull de Scorsese (1980), sur le boxeur Jake LaMotta ou encore du beau Man on the Moon (Miloš Forman, 1999).

Dans tous les cas, pas la peine de choisir un personnage sympathique ou bienfaiteur de l’humanité : Mesrinede J.-F. Richet (2008), d’après la vie du grand criminel, est un excellent biopic, tout comme L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, d’Andrew Dominik (2007), somptueux. Mais attention : le choix d’une personnalité traversée de contradictions ne suffit pas à éviter le risque apologétique. Ainsi Johnny Cash dans Walk The Line (2006) se trouve figuré sous les traits d’un Playmobil gentiment torturé. Les bons ingrédients ne font pas tout : c’est le traitement qui compte, la manière dont cette matière est travaillée et amenée à la vie.

Quand faut-il réaliser le film ? Du vivant du personnage, juste après sa mort ou encore longtemps après celle-ci ?

C’est un fait que de nombreuses personnalités récemment disparues ou en instance de le faire suscitent des vocations de réalisateur de biopics : Ray Charles, Johnny Cash… Grande est la tentation de se saisir ce qu’offre l’actualité de héros et de martyrs et de porter aux nues tel ou telle. Ainsi The Lady de Besson (2011) sur la personnalité politique birmane Aung San Suu Kyi, qui sentait la bonne conscience artistique avec rapide « retour sur investissement » et a dû flatter les belles âmes tiers-mondistes, celles que moque avec talent l’humoriste Frédéric Chau. Quant au « délai » écoulé entre la disparition et le film biographique, non, il est sans conséquence sur la qualité du film, et c’est la seule chose qui compte, au bout du compte.

Faut-il que les acteurs ressemblent aux personnes ayant réellement existé ?

Difficile d’oublier le travail mimétique impressionnant de Jamie Foxx dans le superbement hagiographique (au sens non péjoratif, du terme) Ray (2005). Hélas, difficile aussi d’oublier le front hideusement dégarni de Marion Cotillard dans La Môme (O. Dahan, 2007), qui creusait le sillon d’une tradition sentimentale et cul-cul bien lourdaude, et bien de chez nous. Le réalisme est capable du pire comme du meilleur.

En revanche, on se fiche pas mal de savoir si Paul Newman et Robert Redford ressemblent à leurs modèles du XIXème siècle dans le magnifique Butch Cassidy et le Kid (George Roy Hill, 1969) : c’est l’avantage des personnages ayant existé il y a longtemps.

Un réalisateur peut aussi choisir d’être totalement indifférent à la question : ainsi de Nowhere Boy (Sam Taylor Johnson, 2010) qui propose un John Lennon jeune au visage de poupée mannequin « Ken » (alors que l’original avait un visage plus dur) et un McCartney au faciès de crapaud laiteux (alors que ce dernier était beaucoup plus joli), option dommageable que les effets réalistes du film, à coup d’accent « scouse » liverpudlien, ne compensent pas. Dommage aussi de n’avoir pas trouvé de vraies « gueules » à la hauteur de celles de Muddy Waters ou d’Etta James dans le médiocre mais sympathique Cadillac Records de Darnell Martin (2008), sauvé par un charismatique Eamonn Walker en Howlin’ Wolf. De même, quand un personnage est dépeint à plusieurs moments de sa vie, il est préférable que les acteurs se ressemblent au moins un peu (ce n’était pas le cas de Shine, sur le pianiste autiste David Helfgott, de Scott Hicks en 1997, qui n’en est pas moins un film remarquablement touchant).

I’m Not There, biopic sur Bob Dylan de Todd Haynes (2007), résout la question de la ressemblance en choisissant de faire interpréter son personnage par six acteurs différents, dont quatre hommes et deux femmes. Une solution un peu poseuse et « arty », mais intéressante puisqu’elle met en lumière le processus intrinsèquement hagiographique du biopic : il y a autant de Dylan(s) que d’acteurs pour le jouer, tout comme il y autant de saints que de réincarnations de saints.

Il est nécessaire que l’acteur ressemble profondément, plus que superficiellement, à la personne qu’il incarne : on revient tout simplement aux bases du travail de l’acteur.

Faut-il s’intéresser à toute la vie du personnage ou seulement à une partie ?

Bien sûr, dans le cas de personnages tels que Oskar Schindler, héros du célèbre biopic de Spielberg La Liste de Schindler (1994), comme dans Le Discours d’un roi déjà évoqué, il est légitime de se concentrer sur la partie de la vie du personnage où celui-ci prend son envergure, et sort véritablement de l’ordinaire ; un peu à la manière de ce que font les écrivains de nouvelles, qui saisissent un héros au moment où quelque chose lui arrive. Prenons un autre exemple : la reine d’Angleterre. Nombre de documentaires biographiques ont été réalisées sur elle, de nombreux ouvrages écrits, elle est indéniablement une grande figure nationale… et pourtant c’est un moment particulièrement révélateur de sa vie (juste après la mort de Diana Spencer, Princesse de Galles) que le réalisateur Stephen Frears a isolé en 2004 dans The Queen. Il a choisi de scruter le quotidien et l’intime, et non de peindre une fresque chronologiquement complète, à la façon célèbre de Dickens dans David Copperfield qui commence par « Chapitre 1 : je suis né ».

C’est ce que font justement les monumentales hagiographies du calibre de Ray, dont l’ambition est de donner à voir comment éclot un génie. Dans La Chute, déjà cité, ce n’est pas l’explication de l’avènement du mal, incarné par Hitler, que Hirschbiegel recherche, mais à reconstituer l’engrenage d’une déchéance ; contrairement à Max (Menno Meyjes, 2003) qui dessinait un portrait très réussi du dictateur en jeune artiste…

Faut-il être ultra réaliste ou peut-on s’accorder certaines libertés historiques et/ou artistiques ?

On se doute qu’il valait mieux, comme l’a fait Clint Eastwood dans Bird (1988), faire entendre les parties originales du saxophone de Charlie Parker plutôt que de faire réenregistrer les solos par un imitateur. D’ailleurs, il lui a suffisamment été reproché d’avoir commis cet artifice sacrilège sur les parties orchestrales d’accompagnement.

Les férus d’histoire ne seront jamais d’accord sur le degré de correspondance à la réalité de Lincoln de Spielberg (2013), selon le côté où politiquement leur cœur balance. Ce qui prouve qu’il est bien inutile de s’essayer à la véracité à tout prix en matière de biopic. La « vérité » de la grande Histoire ne coïncide pas forcément avec la « vérité » de l’histoire, celle que l’on veut raconter ou s’entendre raconter. L’historiographie n’a rien à voir avec l’hagiographie !

Tout cela n’est pas une raison toutefois pour se croire plus génial que la génie à qui on a voulu rendre hommage, comme le fait J. Sfar dans Gainsbourg (2010), qui méritait mieux qu’un onirisme de carton-pâte, ou Sofia Coppola dans Marie-Antoinette (2006) dont la vision rococo-bubble gum de ce personnage intéressant de l’histoire de France reste un peu en travers de la gorge. Mais enfin, comme dit Saint-Antoine à un homme qui lui en faisait le reproche dans le récit qu’en fait le hagiographe Jacques de Voragine (La Légende Dorée, XIIIe siècle) : « il convient de se délasser quelquefois. »

Et Voragine ajoute : « ce qu'ayant entendu cet homme, il se retira édifié. »

Propos recueillis par Gilles Boutin

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