Obsèques de Jacques Vergès : l'hommage d'un confrère avocat <!-- --> | Atlantico.fr
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Jacques Vergès.
Jacques Vergès.
©Reuters

Guerrier en robe noire

Jacques Vergès, mort le 15 août à l'âge de 88 ans, sera inhumé à Paris ce mardi. Parfois décrit comme "l'avocat de l'indéfendable", il comptait parmi ses anciens clients le dignitaire nazi Klaus Barbie, le terroriste Carlos, ou l'ancien président serbe Slobodan Miloševic.

Eric Morain

Eric Morain

Eric Morain est avocat au barreau de Paris.

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Ce n'est pas si souvent qu'un avocat fait la une des JT et remplit les pages des quotidiens nationaux ; même en plein été. Jacques Vergès est mort un 15 août, comme un pied de nez, cela a été dit, pour celui qui "ne croyait pas au ciel". Et depuis, quelques avocats, militants pour la plupart, on cru devoir défaire leur pierre à l'édifice, c'est toujours plus facile après, quand le cadavre est froid et taiseux et qu'on ne risque rien dans la joute oratoire.

Qui n'a pas sa part d'ombre ? Qui peut s'enorgueillir de cette pureté dont se réclamaient les partisans de la Terreur et qu'on lui reproche de ne pas avoir eu assez ou même du tout ?  

Pour la profession d'abord : de quels noms d'avocats ceux qui n'en sont pas se souviennent ? Le paradoxe n'est qu'apparent : il s'agit de ces hommes, indépendants, libres, talentueux et éloquents qui ont accepté de défendre ceux que personne ne voulait défendre. Isorni pour Pétain, Tixier-Vignancourt pour les généraux putschistes, Varaut pour Papon ; et Verges pour Barbie, entre autre, bien sûr. Tous à droite et même plus ou alors en marge. Qu'on me donne d'autres noms d'avocats décédés et pourtant marquants du XXe siècle! Il y a bien eu Moro-Giafferi beaucoup, Stephen Hecquet un peu, Henri-Robert si peu, mais si on interrogeait 100 personnes représentatives (et non avocats bien sûr) qui aurait-on d'autre?


Et on voudrait reprocher à ces derniers, et récemment à ce dernier, un certain attrait pour la lumière médiatique alors même que ce sont, légitimement, les médias qui s'emparaient de ces affaires qui étaient politiques avant d'être judiciaires ?

D'aucuns ont affirmé qu'il n'était pas un "modèle d'avocat". J'ignore ce que c'est. J'ai des admirations mais aucun modèle tellement ce serait vain. Nous prêtons serment d'indépendance, il y a donc autant de modèles que d'avocats et nous sommes bientôt 50 000 ; il n'y a donc pas de modèle. Et à ces faiseurs de modèles, ces modélistes qui formalisent et standardisent, j'ai envie de leur dire que lorsqu'on a sauvé de la peine de mort requise plusieurs de ses clients, on a le droit, presque imprescriptible, au beau titre d'avocat, avec un grand A. Sans discussion ni ergotage. Comme le disait un des grands avocats du siècle passé, "quand on n'a pas vomi derrière les grands poêles qui ornent le Palais après avoir entendu un avocat général requérir la peine de mort contre son client, on n'a pas été pleinement avocat".

Il paraît qu'il manquerait d’empathie dans sa théorisation de la défense de rupture ? Outre qu'on rappellera que l'ouvrage "De la stratégie judiciaire" qui l'a fait connaître à été publié aux Editions de Minuit dirigée par Jérôme Lindon (un autre subversif), il s'agit d'un essai d'un avocat combattant ; on ne demande pas à celui qui revêt sa robe comme une battledress d'avoir de la compassion, il s'agit de défendre, encore, toujours, contre tous s'il le faut. Ceux qui exigent une "petite larme" sont dans la fausse compassion de type Confessions intimes, mais seraient-ils capables de ce geste confraternel et amical que fit l'un des avocats de l'OAS offrant ostensiblement, devant le bureau du bâtonnier, à Vergès qui avait été suspendu, sa propre robe pour qu'il puisse continuer à plaider pour ses clients du FLN ? C'était en 1965.

J'ignore s'il a dérapé, j'ignore si, emporté par la passion de défendre, ses mots ont dépassé sa pensée et surtout la délicatesse qui doit nous animer ; si tel avait été le cas il aurait été poursuivi par ceux qui l'éreintent aujourd'hui et condamné moult fois et même radié ; mais il savait accueillir les jeunes avocats comme peu ou plus savent le faire, il invitait chez Charlot, il répondait aux invitations de la Conférence, il faisait campagne chez son ami François Gibault, il avait la confraternité, peut-être parfois choisie, chevillée au corps, il récitait des poèmes derrière son grand bureau de la rue de Vintimille et vous montrait, avec gourmandise, la liste de ses dix clients - jamais plus - inscrits sur une petite fiche Bristol.

Il a exercé son métier pendant plus de 50 ans, on lui a craché dessus, on l'a détesté mais aussi admiré, c'est la marque de ceux qui marquent ; le consensus est la marque des tièdes qu'on vomit.

J'ajouterai, pour finir, qu'il n'a jamais été un avocat militant si ce n'est de lui-même ce qui est pardonnable dans une profession qui comporte plus de 100% d'égocentriques. La seule fois où il l'a été ce fut pour défendre Djamila Bouhired qu'il épousera. Si c'est son seul crime, c'est donc un crime d'amour. Il bénéficiera donc des circonstances atténuantes. Quant à l'Histoire, c'est drôle, mais je pense qu'elle se souviendra de lui mais pas de ses contempteurs.

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