Souriez, c'est la rentrée : la science le dit, avoir plus de vacances ne rend pas plus heureux au travail<!-- --> | Atlantico.fr
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Avec 36 jours de repos par an, la France fait partie des pays européens qui accordent le plus de congés à ses travailleurs.
Avec 36 jours de repos par an, la France fait partie des pays européens qui accordent le plus de congés à ses travailleurs.
©Reuters

Au boulot !

Croire que "les vacances, c'est la santé" est illusoire. Elles sont en réalité en décalage avec notre rythme biologique, qui voudrait que nous travaillions plus en été et moins en hiver.

Xavier Camby et Olivier Cousin

Xavier Camby et Olivier Cousin

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Salvator. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management.

Olivier Cousin est professeur de sociologie à l'Université Bordeaux II et chercheur associé au CADIS/Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologiques EHESS/CNRS. Ses recherches portent sur le rapport des cadres au travail, l’éducation et la socialisation des élèves. Il a écrit en 2008 Les cadres : grandeur et incertitude, publié chez L'Harmattan.

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Atlantico : Avec 36 jours de repos par an, la France fait partie des pays européens qui accordent le plus grand nombre de congés payés à leurs travailleurs. Le fait d’avoir beaucoup de vacances implique-t-il nécessairement que la population soit plus épanouie et efficace au travail ?

Xavier Camby : A priori non, car la France est recordman mondiale du nombre de congés annuels et de la consommation par individu de tranquillisants, neuroleptiques et anxiolytiques. Accorder beaucoup de vacances à nos travailleurs n’est pas la meilleure solution. Il faut aussi noter une importante hétérogénéité en la matière, car les commerçants, les artisans et les professions libérales, elles, prennent beaucoup moins de vacances.

Olivier Cousin : Il n’y a pas de lien entre les deux. Un travail pénible, fatiguant et oppressant, avec de mauvaises relations, ne sera pas rendu plus intéressant par des vacances. Les jours de repos permettent seulement une coupure avec ce cadre professionnel.

Une accumulation de jours de vacances peut-elle avoir pour effet pervers d’inciter les gens à surcharger leurs journées travaillées, dans le but de compenser ?

Xavier Camby : Il y a une chose à savoir, assez méconnue, bien que relayée par beaucoup de chercheurs : nos vacances sont en décalage avec nos rythmes biologiques. On prend par exemple un maximum de repos pendant l’été, là où les journées sont structurellement longues, et où le corps est déterminé pour beaucoup travailler. Et alors qu’en hiver le corps est conditionné pour entrer dans une période de repos, on travaille plus intensément. Pendant des siècles, tant que notre civilisation était agricole, nous avons respecté ce rythme. Le stress au travail n’existait pas, pour ainsi dire. En revanche, depuis presque deux siècles, ce rythme a été inversé. A l’origine, il a été mis en place pour que les enfants puissent aider leurs parents aux champs en été, au moment où il y avait le plus de travail à fournir. Cette participation était indispensable à l’économie rurale. Aujourd’hui, les gens se reposent majoritairement pendant les vacances d’été, alors qu'ils devraient s'activer, et se mobilisent plus lorsque le corps aspire au repos.

Olivier Cousin : Un des effets inattendus et un peu pervers des 35h a été d’intensifier le travail. Il s’agit donc moins d’une question de temps de travail que d’une intensification : sur un même temps, on demande beaucoup plus, notamment en raison de l’apparition des outils de bureautique. Les attentes en termes d’efficacité, de rendement et de productivité sont bien plus fortes. Selon les pays, les traditions changent. En France, par exemple, le temps de travail est traditionnellement assez long, avec une grosse coupure entre 12h et 14h, qui n’existe pas dans des pays comme l’Angleterre ou les Pays-Bas. Il faudrait surtout comparer en termes d’heures travaillées.

L’intérêt des vacances résiderait dans l’attente et les souvenirs que celles-ci génèrent, estiment Elizabeth Dunn et Michael Norton, auteurs de Happy Money: The Science of Smarter Spending. Au lieu de longues vacances, cela veut-il dire que nous aurions intérêt à faire des pauses plus courtes, mais plus fréquentes ?

Xavier Camby : Notre corps n’est pas fait pour accumuler de la fatigue pendant de nombreux mois. Il est en revanche fait pour, après un effort assez intense, marquer des pauses. Idéalement, avec cinq semaines de congés par an, il faudrait en prendre une toutes les neuf semaines, notamment s’il s’agit d’un travail nerveusement ou physiquement fatiguant. L’alternance est une chose essentielle. Concentrer les vacances trois semaines l’été et deux semaines l’hiver, avec beaucoup d’activités pour ces dernières, c’est aller contre les cycles naturels.

Un autre cycle, quotidien celui-ci, est à prendre en compte. Beaucoup de pays calquent leur rythme dessus, et connaissent des taux de stress et de fatigue beaucoup moins importants. Il consiste tout simplement à commencer la journée plus tôt, en même temps que le soleil se lève. Ainsi, toutes les tâches exigeant une implication intellectuelle et une concentration importantes sont effectuées le matin, et l’après-midi est réservé à des activités d’exécution, moins prenantes. Les systèmes économiques et scolaires suisses et allemands fonctionnent ainsi. Par exemple, les enfants étudient le matin et font des activités sportives et ludiques l’après-midi. En entreprise, les gens arrivent souvent à sept heure ou sept heure et demi au travail, font une brève pose et quittent le travail vers 16h ou 17h. Ils sont ainsi disponibles pour une longue après-midi, qui leur donne la possibilité de décompresser, se reposer et se divertir.

Olivier Cousin : On est malgré tout sous l’influence des vacances scolaires. Dès qu’arrivent la Toussaint, Noël ou février, beaucoup de gens prennent quelques jours. Ce type de découpage du temps libre existe donc déjà. Le fait de prendre un mois en été et quelques semaines en hiver est beaucoup moins la norme aujourd’hui. Bien sûr, cela concerne principalement les gens qui ont des enfants, ce qui ne veut pas dire que tous sont en mesure de prendre des vacances en même temps que leurs enfants. Se projeter à l’avance permet de rêver, et donc, dans une certaine mesure de s’échapper, d’oublier sa condition si celle-ci n’est pas appréciable.

Dans quelle mesure les vacances sont-elles vitales pour notre équilibre personnel ?

Olivier Cousin : C’est un moment essentiel qui permet de se reconstituer mentalement et physiquement, notamment lorsqu’on occupe un emploi pénible, que ce soit psychologiquement ou physiquement. Les personnes qui se lèvent tôt, soit parce que leur activité l’impose, soit à cause du temps de transport, ont incontestablement besoin d’un repos réparateur. Les vacances nous permettent également de profiter de ce que nous donne le travail. Cela donne un sens supplémentaire à ce dernier. C’est un aspect matériel, mais qui n’est pas négligeable.

Les Pays-Bas, bons derniers au classement européen du nombre de jours de vacances (28 au total) comptent 80%  de travailleurs qui se disent « contents » ou « très contents » de leurs conditions de travail (étude Randstadt). Comment expliquer que les Néerlandais soient si satisfaits avec un nombre relativement faible de jours de congés ?

Xavier Camby : Cela tient à une meilleure organisation du travail. Prenons l’exemple de la Suisse, que je connais bien : alors que les Français travaillent 37,5 heures par semaines et sont stressés, les Suisses, avec leurs 42,5 heures, ne le sont pas. Peut-être faudrait-il que les vacances ne soient pas une sorte de paradis fonctionnant sur l’attente ou le souvenir qu’on en a, mais dans la réalité du repos qu’on y trouve. A la question « comment ça va ? », il est malheureux d’entendre les gens répondre en début de semaine « comme un lundi ». C’est comme s’ils retournaient à la mine, dans un long tunnel dont la sortie se trouverait être le weekend prochain, moment au cours duquel ils pourraient enfin se retrouver une âme. Alors que le travail, lorsqu’il est bien conçu, est un moyen de valorisation de ses talents, de ses aptitudes et de ses capacités. Il n’est pas censé être déshumanisant – même s’il peut l’être parfois.

Les congés ne participent pas du tout au bien-être au travail. Ils sont nécessaires au repos du corps et de l’esprit, mais ce n’est pas sur eux que l’on peut fonder l’épanouissement professionnel. Ce n'est pas seulement la journée, mais les semaines, les mois et l’année tout entière qui mériteraient d’être repensés en fonction des besoins de notre corps et de nos capacités.

J’évoquais plus haut les artisans, les commerçants et les professions libérales, qui prennent très peu de jours de congés (cinq à dix jours ouvrés). Ces professions confèrent une très grande autonomie en termes d’organisation du travail. C’est là un facteur déterminant de l’absence de stress au travail, que d’avoir une certaine forme d’autonomie. Si du lundi au vendredi notre journée est déterminée par un autre, et qu’aucune latitude ne nous est laissée pour utiliser notre intelligence, notre créativité ou notre intuition pour améliorer notre travail, alors en effet le travail nous devient pesant, car il inhibe une partie de notre personnalité. On l’observe : davantage d’autonomie permet de diminuer la fatigue et d’augmenter la performance, ce qui rend les vacances longues moins nécessaires.

Olivier Cousin : Encore une fois, il n’y a pas de lien entre les deux. Toutes les enquêtes menées en Europe montrent que ce sont les Français qui attachent le plus d’importance au travail, après la famille, bien entendu. Bien souvent en France, on a un regard très critique sur le travail, son organisation et les personnes. On peut donc émettre l’hypothèse – prudente - que les conditions de travail sont meilleures aux Pays-Bas, et, avec plus de certitude, que la nature des relations au travail est sensiblement meilleure là-bas. La France, elle, est souvent caractérisée par des relations brutales, des rapports hiérarchiques forts… Cette donnée sur les Pays-Bas montre donc bien qu’il n’y pas de lien entre vacances et épanouissement au travail. Même six mois de vacances n’empêcheront pas un travail d’être pénible et inintéressant. A l’inverse, des personnes qui jugent leur activité professionnelle intéressante et épanouissante, ne prendront pas systématiquement tous leurs congés.

En termes d'épanouissement et de productivité, aurions-nous intérêt à réduire le nombre de jours de congés, et à instaurer des journées de travail moins lourdes ? Cela permettrait-il d'établir une réelle séparation entre vie professionnelle et personnelle ?

Xavier Camby : Cela permettrait de réduire considérablement l’usage de médications, les burnouts et les maladies professionnelles. Des chercheurs québécois, qui ont été confirmés par leurs homologues américains, ont montré que le stress, qui est généré par une mauvaise gestion du temps, inhibe les systèmes immunitaires pendant au moins six heures. Ce qui veut dire qu'en cas d’événement stressant, l’organisme est sollicité pour y répondre, mais comme il ne peut pas tout faire en même temps, il inhibe le système immunitaire pendant au moins six heures. On considère qu’il faut au moins 24h pour qu’il retrouve son niveau antérieur. Lorsque vous êtes stressé, vous êtes donc naturellement exposé à tous les bacilles, microbes, maladies et pandémies pouvant survenir.

La bonne intelligence du travail passerait donc par une meilleure appréhension du temps, en corrélation avec nos besoins biologiques. Ces derniers sont impératifs, car si on peut se passer de boire ou manger pendant deux semaines, on ne peut pas se passer de dormir pendant plus de trois jours. De même que nos muscles ont besoin de se reposer, notre esprit a besoin de récupérer. A défaut, la raison en pâtit.

Olivier Cousin : Cela peut y contribuer. Quand le travail prend moins de place, il permet de se reposer comme il se doit. Il ne faut pas oublier que certains éléments rentrent dans le cadre du travail sans en faire réellement partie, notamment le temps de transport. Dans les grandes agglomérations, ce temps peut être considérable, allant d’une heure et demie à trois heures par jour. C’est une rallonge qui, comme on le dit communément, nous « bouffe » la vie. Des journées plus courtes permettent de compenser ce temps intermédiaire. Et n’oublions pas que selon l’activité de chacun, on n’est pas soumis à la même pression.

Les Allemands, qui n’ont que 29 jours de vacances, travaillent en moyenne 1400 heures par an, contre 1900 pour les Français, qui eux ont 36 jours de libres. L’Allemagne a-t-elle un rythme travail-vacances mieux équilibré ?

Xavier Camby : Tout à fait. A quelques variations près selon les Länder, la durée minimum de congé par an est de deux semaines. Il est impossible d’aller en-deçà, comme en Suisse. En fonction de l’ancienneté et des responsabilités, la durée accordée varie. La théorie des avantages acquis rend la chose très compliquée, mais on pourrait imaginer que soit effectué en France un aménagement du travail annuel, mensuel, hebdomadaire et journalier, de telle sorte qu’il soit de nouveau calé sur nos rythmes biologiques. Bien entendu, seraient à prendre en compte les différences de chacun, car une personne de 20 ans n’a pas les mêmes besoins qu’un cinquantenaire.

Il m’arrive d’intervenir dans des entreprises, le plus souvent industrielles, qui ferment en juillet ou en août. Celles-ci vivent une période de stress intense avant leur clôture et après la réouverture, si bien que cette fermeture annuelle ne constitue en rien un bénéfice pour les salariés, qui commencent leurs vacances épuisés, et appréhendent le stress du retour au travail. Il est compréhensible que les gens aient envie d’être avec leurs enfants, mais prendre d’une traite trois ou quatre semaines de vacances, cela n’a pas de sens.

Olivier Cousin : Contrairement à ce qu’on dit, notamment à cause des 35 heures, les journées se sont allongées. Car pour aboutir à ce nombre de jours de congés, le temps de travail s’est, selon les cas, allongé ou compressé. La France, en termes de relations hiérarchiques, est un pays avec une tradition autoritaire. C’est beaucoup moins le cas en Allemagne, où les relations sociales sont plus fortes, notamment au travers des syndicats, qui ne sont pas négligeable dans la capacité de négociation du pays. Globalement, en Allemagne les opportunités de promotion interne sont beaucoup plus importantes qu’en France, où le diplôme continue de peser fortement. On n’est plus dans le temps de travail, car c’est un ensemble d’éléments plus vaste qui joue sur l’appréciation et le climat professionnel.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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