Petit historique des idées reçues et autres préceptes inadaptés qui ont entravé la compréhension de la sexualité féminine<!-- --> | Atlantico.fr
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On a estimé très longtemps que l’absence de plaisir pouvait causer des maladies comme l’hystérie.
On a estimé très longtemps que l’absence de plaisir pouvait causer des maladies comme l’hystérie.
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Sexualité féminine

Souvent bafouée, longtemps ignorée : le premier épisode de notre série "Sexualité féminine" rappelle la manière dont la sexualité féminine a été considérée au fil du temps.

Sylvie  Chaperon

Sylvie Chaperon

Sylvie Chaperon est professeur d’histoire contemporaine du genre.

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Atlantico : Quel regard les sociétés occidentales ont-elles au cours des siècles porté sur la sexualité féminine ? Comment ce regard a-t-il évolué et quelles en ont été les grandes étapes ? 

Sylvie Chaperon : En Occident, ce sont principalement les médecins et les religieux hommes qui ont parlé de la sexualité féminine, il existe très peu de sources venant des femmes avant le XXème siècle. Cela explique la vision très masculine de la sexualité. Ces derniers s’intéressaient essentiellement à la reproduction : grossesses, utérus, accouchements, etc.

La sexualité féminine est jugée indispensable, car même du côté de l’Eglise on estime que la jouissance féminine est impérative, dans le cadre du mariage et d’une sexualité reproductive. A tel point, que pendant très longtemps on a estimé que l’absence de plaisir pouvait causer des maladies comme l’hystérie. Le discours a été assez stable pendant des siècles, car on répétait les discours des médecins de l’Antiquité. Cependant, il y a eu des découvertes avec les progrès de l’anatomie au XVII et XVIIIèmes siècles notamment le clitoris. Le clitoris devient l’organe du plaisir féminin. Cependant, cela reste une sexualité androcentrique c’est-à-dire centrée sur l’homme. Ce n’est que le coït hétérosexuel et conjugal qui correspond à la sexualité légitime.

On voit apparaitre au XVIII et XIXèmes siècle, la nécessité pour l’homme de savoir donner du plaisir à sa femme, avec des manuels : sur la nuit de noce, sur le plaisir féminin, apprendre à stimuler le clitoris…

Ce n’est donc jamais une sexualité autonome, toujours sous le joug masculin. 

Quel était l'enjeu du contrôle de la sexualité ? Quel est-il aujourd'hui ?

L’enjeu était essentiellement reproductif, il fallait contrôler sa progéniture pour ne pas avoir de bâtard. D’ailleurs, sous le code Napoléon, l’adultère féminin était sanctionné mais pas l’adultère masculin. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, on a l’idée que l’épanouissement psychique exige le plaisir régulier. On a cru que sans le plaisir il ne pouvait pas y avoir de conception d’enfant. A tel point que les femmes qui tombaient enceintes à la suite d’un viol, n’étaient pas considérées comme victimes car on pensait qu’elles avaient forcément eu du plaisir. Jusqu’à ce qu’on découvre que l’ovulation était un phénomène lié aux cycles menstruels, car avant on voyait la production de semence féminine sur le même modèle que la masculine.

On est toujours dans une conception très masculine de la sexualité : dans la pornographie et dans l’érotisme. Il n’y a pas beaucoup de description d’une sexualité féminine qui ne reproduise pas celle des hommes, c’est-à-dire surtout coïtale et liée à la pénétration.

Finalement, qui des courtisanes des cours d'Europe ou des bourgeoises supposées puritaines du XIXème siècle avait réellement la sexualité la plus épanouie ?

Les courtisanes étaient les plus libérées, et sont passées maîtresses dans l’art de la jouissance, essentiellement masculine d’ailleurs. Les bourgeoises n’étaient pas censées aimer le sexe pour le sexe, tout comme les hommes. C’est pour ça qu’ils allaient chercher les distractions en dehors du mariage. Dans le mariage il y a l’idée d’un couple très respectable, avec une sexualité surtout reproductive.

Quel rôle la religion a-t-elle joué dans l'évolution de la sexualité féminine ? Quels sont les autres facteurs qui ont eu un rôle déterminant ?

Le catholicisme a une méfiance quant à la chair, pas seulement du plaisir génital mais de tout plaisir. Pour eux, le corps est un poids qui tire vers le bas. Les satisfactions corporelles ramènent à une conception animale, alors la spiritualité, l’esprit la connexion avec Dieu c’est la déconnexion de la chaire et l’élévation. Cette réticence a beaucoup joué dans les sociétés catholiques.

Les protestants, eux, ont fait des couples mariés la condition humaine normale et ils ont interdit la chasteté pour le clergé puis les couvents tout court. Le couple représente la normalité, il y a une certaine valorisation du sexe conjugal bien plus tôt chez les protestants.

Certaines grandes figures féminines ont-elles aidé les femmes à se libérer et à assumer leur sexualité ? Lesquelles ?

Pendant longtemps, le mouvement féministe prône davantage la chasteté que la libération sexuelle. La libération sexuelle est très minoritaire au XIXème siècle, elle n’existe que dans les milieux d’extrême gauche ou anarchiste. Dans le reste de la société c’est la tempérance qui domine. 

A l’extrême gauche, les femmes vont se battre pour faire en sorte qu’elles puissent avoir des contraceptifs : Paul Robin, Jeanne Humbert, Margaret Sanger… Toute une frange militante qui va se battre dans l’entre-deux-guerres pour avoir le contrôle de la fécondité. Il n’y a pas de sexualité épanouie au féminin s’il y a la peur de tomber enceinte. C’était un préalable indispensable à la libération sexuelle qui arrive quelques années plus tard.

Plusieurs décennies après la libération sexuelle des "pays développés", comment est aujourd'hui considérée la sexualité féminine ? Existe-t-il encore des tabous et des barrières à franchir ?

Avoir une idée très claire est difficile, car il faut pour cela faire de vastes enquêtes sur la sexualité des Français. Au regard de ces dernières, on a l’impression qu’il n’y a plus de tabous au sein des jeunes générations. Les femmes se comportent sexuellement de plus en plus comme des hommes. Elles ont presque le même nombre de partenaire, le même âge pour le premier rapport, une variété des pratiques qu’elles n’avaient pas avant et elles se masturbent plus. Les femmes se dotent de génération en génération de la libération sexuelle que les hommes ont depuis longtemps.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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