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L'Europe en voie
de clochardisation militaire
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Combien de divisions ?

Comme le montre l'intervention en Libye, la défense européenne ne brille pas par son efficacité. Alors que les Etats-Unis, l'Asie ou le Moyen-Orient augmentent leurs dépenses militaires, les pays européens - dont la France - ne cessent de réduire leurs budgets consacrés à la défense, comme le regrette Etienne de Durand, Directeur du Centre des études de sécurité de l'IFRI.

Etienne  de Durand

Etienne de Durand

Etienne de Durand est directeur depuis 2006 du Centre des études de sécurité de l'IFRI.

Il traite régulièrement des questions liées aux politiques de défense française et américaine, ainsi qu’aux interventions militaires récentes.

Il écrit par ailleurs pour le blog Ultima ratio.

Voir la bio »

Atlantico : L’enlisement de l’intervention en Libye symbolise-t-elle la faillite de la défense européenne ?

Etienne de Durand : Tout d’abord, il me semble encore un peu prématuré de parler d’enlisement en Libye. Il est certain que la solution initialement envisagée n’a pas fonctionné et qu’il faut donc ajuster. Mais « enlisement » fait presque sourire : rappelons-nous que nous sommes engagés en Afghanistan depuis 10 ans…

Les difficultés rencontrées actuellement relèvent de deux causes bien distinctes : les dysfonctionnements de l’OTAN d’une part, la faiblesse militaire des Etats européens de l’autre.

Pour les pays qui l’ont exigé, passer par l’OTAN plutôt que par une coalition ad hoc permettait de donner un vernis supplémentaire de légitimité multilatérale. Les Anglais espéraient aussi maintenir par ce biais les États-Unis plus longtemps dans l’intervention, mais ils se sont trompés : les Américains ne participent plus aux frappes. En outre, l’OTAN est un système lourd, que ce soit en termes politiques, avec les divergences entre les Etats membres, ou en termes militaires, avec la lourdeur des états-majors. En conséquence, la sélection des cibles prend un délai relativement important. Pour résumer, en Libye comme d’ailleurs en Afghanistan, l’OTAN ne donne pas satisfaction.

L’Union européenne ne vaut pas mieux. Les désaccords des États membres sur la Libye ou sur les réfugiés tunisiens montrent que l’UE fonctionne mal voire pas du tout en matière de sécurité et de défense.

Toutefois, en matière d’intervention militaire, peu importe le chapeau, peu importe que celle-ci s’effectue via l’OTAN ou l’UE : les appareils militaires engagés demeurent nationaux. Il n’existe pas d’armée multilatérale, ni à l’ONU, ni à l’OTAN, ni à l’UE.

Si les divisions politiques européennes ont toujours existé, on assiste avec la Libye à un phénomène nouveau, celui du déclassement militaire de l’Europe : pour les Européens, la Libye est en effet une opération aérienne importante. Si l’intervention se prolonge, les deux principales puissances militaires européennes – le Royaume-Uni et la France – pourraient même connaître des difficultés, alors qu’il n’est question que du régime de Kadhafi, c'est-à-dire pas grand-chose militairement. On voit déjà que les armées de l’Air qui participent aux frappes risquent d’être sous peu à court de munitions.

Souvenons-nous qu’en 1956, Anglais et Français pouvaient organiser un débarquement à Suez avec pas moins de cinq divisions. Nous en sommes très loin aujourd’hui.

Comment en est-on arrivé à cette situation ?

En diminuant de façon continue et dans toute l’Europe les budgets de la défense depuis 25 ans. L’Europe actuelle n’est pas très loin d’être démilitarisée. On parle d’un manque d’unité européen, mais même si tous les États membres étaient unis, nous ne disposerions pas de capacités militaires suffisantes à l’échelle du continent. Ce qu’il reste de la défense européenne, ce sont des initiatives bilatérales, entre la France et le Royaume-Uni, par exemple. A l’avenir, on devrait même assister à des initiatives multi-bilatérales pour les quelques pays qui veulent encore exister militairement.

De nombreux États ont en effet démissionné sur ce sujet. Seuls la France, le Royaume-Uni et quelques pays de taille réduite, dont les pays nordiques, essayent de se maintenir. Par-delà les débats institutionnels sur « l’Europe de la Défense » (OTAN ou UE etc.), le vrai enjeu est là : que restera-t-il des capacités militaires européennes dans 10 ans ?

Cette baisse des budgets européens ne correspond elle pas à un contexte international post guerre-froide où la guerre semble moins prégnante ?

La fin de l’histoire, c’est fini ! Les opinions ne s’en sont peut-être pas rendues compte, mais depuis les années 1990, il y a eu le 11 septembre, la prolifération nucléaire, l’Afghanistan... Les États-Unis avaient baissé leurs dépenses militaires dans les années 1990, mais les ont relevées dans les années 2000. Nous Européens avons continué à les diminuer. C’est un choix de société, encore faut-il en parler aux citoyens.

En 2008, Hervé Morin, alors ministre de la Défense, n’avait pas craint d’expliquer que nous étions la quatrième armée du monde. La vérité, c’est que la France dispose aujourd’hui de 140 canons… alors qu’il y en a 450 aux Invalides ! Il y a donc eu une réduction considérable de la puissance militaire nationale. Et c’est souvent pire dans les autres pays européens. Or, à l’échelle du monde, le seul continent qui désarme avec constance depuis 20 ans c’est l’Europe !

Un certain nombre d’erreurs ont sans doute été commises, par exemple des choix d’équipements très onéreux. Mais le facteur déterminant est bien la baisse des budgets : en France, nous sommes passés de 3% du PIB consacré à la défense à 1,5% (1% en moyenne pour l’Europe) en un peu plus de deux décennies.

N’est-ce pas difficile politiquement d’augmenter le budget de la défense en pleine période de crise ?

Oui, bien sûr, mais c’est d’abord un choix de société… A droite comme à gauche, on a pratiqué à grande échelle le « traitement social du chômage », autrement dit on a créé des emplois en partie fictifs pour soutenir l’économie - mais on aurait pu aussi faire du keynésianisme en soutenant des entreprises de défense, qui sont un facteur important d’innovation technologique. Il faut quand même savoir que la mairie de Paris emploie à peu près autant de personnes que l’armée de l’Air. Au rythme actuel des réductions de format des armées, l’armée de Terre devrait bientôt tenir dans le stade de France ! Et cette dynamique concerne toute l’Europe, pas seulement la France. Alors que, dans le même temps, l’Asie, le Moyen-Orient ou les États-Unis augmentent leurs dépenses militaires.

Si la France et l’Europe souhaitent être autonomes, elles doivent s’en donner les moyens. On touche aujourd’hui à l’heure de vérité : si rien n’est fait, l’Europe risque de ne disposer bientôt que de capacités militaires résiduelles.

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