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"Les banques et les agences 
de notation ont complètement 
dévoyé le capitalisme de marché"
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Crise financière

L’agence de notation Standard & Poor's a annoncé ce lundi qu'elle faisait passer la perspective d'évolution de la note de la dette américaine de "stable" à "négative", une semaine après qu'un rapport du Sénat américain pointait du doigt le rôle de ces mêmes agences de notation dans la crise économique et financière de 2008. Même si certains excès ont été corrigés depuis, pour l'économiste Norbert Gaillard, il faut "se désintoxiquer de la notation financière".

Norbert Gaillard

Norbert Gaillard

Norbert Gaillard est économiste et consultant indépendant.

Sa thèse, rédigée à Sciences Po Paris et à l’université de Princeton, portait sur les méthodologies de notation souveraine. Il a été consultant pour l’International Finance Corporation (IFC), l’État de Sonora (Mexique), l’OCDE et la Banque mondiale.

Il est l'auteur de Les agences de notation (La Découverte, 2010) et de A Century of Sovereign Ratings (Springer, 2011).

 

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Atlantico : Que pensez-vous du récent rapport du Sénat américain sur les pratiques de Goldman Sachs et de Deutsche Bank et l’incapacité des agences de notation à jouer leur rôle de quasi-régulateurs ?

Norbert Gaillard : C'est un rapport intéressant, mais on a déjà eu les auditions en juin 2010 du FCIC qui avait auditionné du personnel de chez Moody’s et avait montré le manque d’objectivité des agences en matière de notation des produits structurés.

Dès 2009, il y avait eu plusieurs rapports, notamment du Sénat américain et de la SEC sur les dérives financières des années 2000. Le rapport n’est donc pas nouveau mais il confirme et précise l’ampleur des conflits d’intérêt du côté des banquiers. Les banques d’affaires Goldman Sachs et la Deutsche Bank ont eu des pratiques très critiquables : elles ont mis sur le marché des produits qu’elles savaient surnotés et elles ont spéculé contre ces mêmes produits pour pouvoir gagner sur tous les tableaux.

On est au-delà du conflit d’intérêt ! On est dans un capitalisme de marché complètement dévoyé. A cause de telles pratiques on en arrive à une défiance généralisée du grand public et des investisseurs à l’égard des banques. On va voir quelles seront les suites judiciaires vis-à-vis de Goldman Sachs et Deutsche Bank et de leurs dirigeants. Goldman Sachs a déjà dû verser plus de 500 millions de dollars en 2010 pour solder une plainte de la SEC. Deutsche Bank pourrait être affectée à son tour.

Quelle est la part de responsabilité des agences de notation dans la crise financière ?

Il convient avant tout de définir ce qu’est une agence de notation. Il s’agit d’une entreprise privée qui attribue des notes à des entités publiques (États, collectivités locales, établissements publics, etc.) et privées (entreprises, banques, compagnies d’assurances, produits financiers divers, etc.). Cette note reflète la solvabilité des émetteurs de dette. Une note est révisée au moins une fois par an. Elle peut alors être confirmée (et demeurer donc inchangée), abaissée ou augmentée.

Les premières notations ont été attribuées par Moody’s en 1909. A l’heure actuelle, il existe trois grandes agences de notation dans le monde : Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch. Auparavant, elles étaient financées par les investisseurs. Mais un changement est intervenu au début des années 1970. Avec la crise économique, les émetteurs de dette ont eu besoin de rassurer les marchés en présentant une note aux investisseurs et se sont ainsi mis à rémunérer les agences. C’est problématique puisque dans le cadre de la notation des produits financiers complexes, cela a conduit à des conflits d’intérêts et à des notes excessivement élevées.

Pour revenir à votre question, à partir des années 1990, les agences de notation ont été sollicitées par les banques pour monter des produits structurés, c'est-à-dire des produits complexes issus de prêts bancaires qui sont transformés en titres de créance négociables sur le marché. A cette époque, il y a donc eu un boom des produits structurés et par conséquent une forte augmentation du chiffre d’affaires des agences, de plus en plus sollicitées pour noter ces produits structurés.

A partir des années 2000, l’afflux croissant de ces produits structurés sur les marchés a incité certaines banques et institutions financières qui étaient chargées d’émettre ces titres financiers à obtenir les notes les plus élevées possible. C’est alors que les agences de notation ont été sollicitées officieusement afin de prodiguer des conseils en vue de favoriser l’obtention de notes élevées. Les agences de notation se sont donc retrouvées dans une situation évidente de conflit d’intérêt : elles notaient en aval des produits structurés qu’elles avaient contribué à produire en amont en ayant un rôle de consultant occulte. Cette situation a contribué à gonfler artificiellement les notes de nombreux produits structurés.

Jusqu’en 2007, il y a donc eu de plus en plus de produits structurés sur le marché, avec des notes de plus en plus élevées mais déconnectées des risques réels.

Ce conflit d’intérêt était-il connu à l’époque ?

Jusqu’en 2007, certains acteurs de marchés avaient conscience du conflit d’intérêt dans lequel étaient engagées les agences de notation. Mais ils n’avaient pas conscience du danger de ces conflits d’intérêts. L’abondance des liquidités sur les marchés avait créé une forme d’euphorie. Les investisseurs n’ont pas compris à quel point ces conflits grossissaient artificiellement les notes et accentuait le risque. On pensait qu’un triple A correspondait à un risque de défaut quasi nul, ce qui n’a pas été le cas…

En revanche, dès les années 1990, certains observateurs (dans le monde académique en particulier) ont compris le risque inhérent à la titrisation et la possibilité de sous-estimer le risque de défaut des produits structurés.

Il faut se rappeler qu’au cours des années 1990 et 2000, le pouvoir politique américain a été très offensif pour favoriser l’accès à la propriété des ménages : il souhaitait faire accéder à la propriété un grand nombre de ménages américains alors que certains d’entre eux n’en avaient pas les moyens. On leur a accordé des prêts immobiliers avec des niveaux de risque très élevés. Ces prêts ont ensuite été tititrisés et intégrés dans des produits structurés qui ont été notés par les agences. En l’occurrence, beaucoup d’entre eux furent donc « surnotés ».

On peut donc résumer le rôle des agences de notation en trois points :

- Elles ont été au cœur de conflits d’intérêt majeurs qui les ont conduit à attribuer des notations manquant d’objectivité et surtout excessivement élevées.

- Elles ne disposaient pas des ressources techniques et humaines adéquates pour arriver à des diagnostics justes et fondés.

- Elles ont procédé à des dégradations de notes massives à partir de 2007, suite au krach immobilier aux Etats-Unis. Ces abaissements de notes ont accentué l’affolement sur les marchés.

Il y a donc eu un effet boule de neige avec une crise des subprimes (cette classification issue des banques américaines qui classent les ménages en fonction de leur risque de crédit), une crise immobilière, puis une crise financière.

Quelle est la responsabilité du pouvoir politique ?

Sous l’ère Bush, il y a eu un manque de supervision de la part des régulateurs. Le pouvoir politique ne s’est pas donné les moyens de contrôler ce qui se passait sur le marché des produits structurés. On a payé, à partir de 2007, une volonté politique de laisser faire à tout prix. C’est l’échec d’une logique financière qui a voulu s’affranchir de toute régulation sur un segment de marché (les produits structurés) que l’on connaissait encore mal mais qui était très rémunérateur pour beaucoup d’acteurs de marché.

Qu’en est-il de la situation actuelle ? Les excès du passé ont-ils été corrigés ?

Plusieurs problèmes se posent aujourd’hui. En premier lieu, la question de la fiabilité des méthodologies en matière de notation des produits structurés. Les agences ont-elles aujourd’hui les moyens techniques et humains pour noter ces produits? Je pense qu’il y a encore beaucoup d’efforts à faire et qu’il faut se renforcer en ingénieurs financiers et en juristes pour mieux juger de la solidité des montages mis en place.

En revanche, je suis plus optimiste pour ce qui est des conflits d’intérêt. Je pense qu’on a plutôt résolu le problème. La surveillance s’est considérablement renforcée.

Toutefois, une autre difficulté demeure : la place des notations dans les réglementations financières. Selon moi, il faudrait inciter les investisseurs à développer leur propre analyse du risque de crédit. Cela permettrait d’éviter que l’ensemble des investisseurs prennent leurs décisions en fonction des opinions de deux ou trois agences de notation. Il faut donc se désintoxiquer de la notation financière, mais il ne faudrait en aucun cas remplacer les références aux notations dans les réglementations financières par des indicateurs de marché, car ces derniers sont encore plus « pro-cycliques » que les notations.

Que pensez-vous de l’annonce de l’agence de notation Standard & Poor’s de placer le AAA des Etats-Unis sous perspective négative ?

Cette décision est loin d’être surprenante. Elle est justifiée par le fait que l’agence a des doutes sur la capacité de l’administration Obama à réduire sur le court-moyen terme un déficit budgétaire qui frôle les 10% du PIB. Un accord sur des coupes budgétaires ou une hausse des impôts sera difficile à trouver car la Chambre des Représentants, à majorité républicaine, est en opposition frontale avec l’administration démocrate. Les Etats-Unis ont en fait un an pour convaincre Standard & Poor’s que son AAA est toujours mérité.

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