Mineurs étrangers : cette question potentiellement explosive qu’a soulevée Jean Arthuis <!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Arthuis a justifié sa décision en expliquant qu'il y a cinq ans, il y avait seulement cinq mineurs étrangers isolés en Mayenne. Aujourd'hui, ils seraient 57...
Jean Arthuis a justifié sa décision en expliquant qu'il y a cinq ans, il y avait seulement cinq mineurs étrangers isolés en Mayenne. Aujourd'hui, ils seraient 57...
©Reuters

Dynamite

Jean Arthuis, président du conseil général de Mayenne, a pris un arrêté le 24 juillet par lequel il met fin "à tout nouvel accueil de jeunes étrangers isolés par le service de l'aide sociale à l'enfance".

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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 Atlantico : Jean Arthuis, président du conseil général de Mayenne a pris un arrêté le 24 juillet par lequel il met fin "à tout nouvel accueil de jeunes étrangers isolés par le service de l'aide sociale à l'enfance". Une décision qui a suscité l'indignation du milieu associatif et d'une partie de la classe politique. Pourtant, Jean Arthuis a expliqué qu'il y a cinq ans, il y avait seulement cinq mineurs étrangers isolés en Mayenne. Aujourd'hui, ils seraient 57... Au-delà des polémiques, le président du conseil général de Mayenne a-t-il mis le doigt sur un problème grave et complexe ?

Guylain Chevrier : Sans aucun doute ! La question des mineurs isolés étrangers tient une place toute particulière en matière de protection de l’enfance. Il s’agit de jeunes se faisant connaitre des services sociaux comme étant sans autorité parentale sur le territoire national, ce qui suffit à leur prise en charge immédiate, un placement par une ordonnance de placement provisoire prise par le procureur de la République ou le Juge des enfants.

Ils peuvent fuir leur pays en raison de mises en danger liées à un contexte politique ou communautaires, à un environnement familial maltraitant, à une situation de risque de mariage forcé... Mais la plupart viennent tout simplement en France pour y être scolarisés, travailler et ainsi envoyer de l’argent au pays à la famille ou au village. Leur venue est souvent organisée par leurs propres parents. Ils arrivent de nombreux pays ; de Chine quelque peu, des Balkans, d’Afghanistan, du Maghreb mais surtout d’Afrique subsaharienne, particulièrement du Mali. On considère qu’ils sont environ 8000 par an aujourd’hui.

Le problème qui vient devant l’actualité, avec la décision du Président du département de la Mayenne, tient de plusieurs difficultés.

Tout d’abord, l’augmentation continue du nombre de ces candidats mineurs étrangers à un accueil sur notre territoire. Leur prise en charge ne se fait pas que jusqu’à leur majorité mais jusqu’à 21 ans généralement, sur le fondement d’un projet personnalisé. Autrement dit, il s’agit d’années de prise en charge extrêmement couteuses pour les départements. Que ce soit l’Etat d’ailleurs demain qui en ait la charge ne changera pas le problème de ce que cela coute à la collectivité, qui n’a pas des ressources sans compter.

Le prix de journée dans un établissement éducatif est en moyenne de 150 euros par jour. On s’imagine ce que signifierait, en termes de coût, une politique qui consisterait à ne voir que le côté humanitaire de la chose. Dans un contexte où on parle d’économies en permanence, en piochant dans les poches de toutes les catégories sociales, et peut-être encore plus proportionnellement dans celles des moins nantis, il faut aussi avoir à l’esprit de ne pas mettre en péril le rôle de terre d’accueil de la France dans l’opinion publique, si fragile, en ces temps de crise.

Arrivés à moins de 15 ans sur le territoire français sans papiers, les mineurs isolés étrangers bénéficient de la possibilité de l’accès à la nationalité par déclaration au moment de leur majorité. S’ils sont arrivés avant 16 ans, ils accèdent à leur majorité à un titre de séjour Vie privée vie familiale qui leur permettra de travailler, et s’ils font une formation professionnelle au moment de leur majorité, ils peuvent bénéficier aussi d’un titre de séjour leur permettant de travailler… La France est donc un pays généreux, mais en toute chose il faut faire preuve de bonne mesure car nul pays ne peut se permettre de jouer le rôle de terre de salut pour tous. Le risque d’un appel d’air dans ce contexte n’est jamais bien loin.

Aussi, la lutte contre ce qui constitue aujourd’hui un véritable trafic sur lequel des filières de passeurs s’enrichissent ne doit pas être oubliée sous prétexte que la dimension  humanitaire devrait ici prévaloir, comme parfois on l’avance. Chaque migrant paie plusieurs milliers d’euros pour son passage !

Un autre problème est l’accroissement continu aussi du nombre de demandeurs majeurs à être pris en charge comme mineurs, dont l’Aide sociale à l’enfance organise la prise en charge le temps de l’évaluation de leur âge par une enquête médico-judiciaire. D’une part, il s‘agit de la mise en œuvre du procédé de l’âge osseux (contesté par certaines associations), qui consiste en une investigation par radiographie du développement osseux permettant de définir l’âge de l’individu et d’autre part, de la vérification du caractère vrai ou faux des papiers lorsqu’il y en a, qui sont présentés par celui-ci pour justifier de son état de mineur.

Il est reconnu qu’au moins un tiers des demandes de prise en charge sont le fait de personnes majeurs se prétendant mineures pour bénéficier de la règle de la non-expulsabilité, une immigration économique essentiellement. Il y aussi des recours qui peuvent être faits par ces demandeurs qui peuvent aboutir en remettant en cause les résultats de l’enquête médico-judiciaire (1).

Le témoignage de Jean Arthuis est d’ailleurs assez éloquent de ce point de vue : « Il y a 5 ans, j’en recevais cinq par an (des mineurs isolés), aujourd'hui 57. L'histoire qu'ils nous racontent en général est celle d'un jeune subsaharien, accompagné par un adulte, abandonné à la sortie de l'aérogare, et à qui l'on conseille le département de la Mayenne. Pour nous, la prise en charge coûte entre 130 et 150 euros par jour. Pendant les 5 premiers jours, l'État rembourse à hauteur de 250 euros. Étape où l'on estime s'ils sont mineurs. Un expert détermine s'ils ontplus ou moins de 19 ans, en fonction de la masse osseuseetde la stabilité de la construction cartilagineuse. Ensuite, le magistrat peut remettre en doute l'expertise, à deux années près. C'est ce qui arrive relativement souvent. Conséquences, les "mineurs" s'accumulent et les espaces s'amenuisent." … » (2).

On arrive par la mobilisation qu’implique le flux actuel des mineurs isolés à l’épuisement des travailleurs sociaux qui suivent ces situations et à une embolisation des services largement captés par cette nouvelle réalité. Une réalité qui ne cesse de prendre de la place, créant une situation qui peut être vécue comme au détriment du reste par les acteurs de terrain.

Comment expliquez-vous l'afflux de mineur étrangers ces dernières années ?

Il y a à la fois la réalité des pays d’origine qui ne s’améliore pas nécessairement dans le contexte de la mondialisation débridée que l’on connait, mais aussi la meilleure connaissance des candidats au départ des avantages de l’accueil en France qui peut leur être réservé. Il y a encore quelques années, les mineurs isolés pouvaient aller chercher dans d’autres pays plus libéraux en matière d’immigration que la France, telle l’Angleterre, leur terre promise, dans l’esprit d’y rejoindre une communauté plus ou moins protectrice.

La France des Droits de l’homme est aussi celle des droits sociaux, de la Couverture maladie universelle qui est donnée aux mineurs isolés à l’accompagnement à leur autonomie qui passe par la formation à un métier jusqu’à l’accès à un hébergement indépendant. C’est la certitude de bénéficier d’avantages comme il n’en existe en réalité nulle part ailleurs. Sans compter avec une société qui ,du fait de sa laïcité, rejetant les séparations fondées sur l’ethnie, la couleur ou la religion pour inciter au mélange, pratique une politique d’intégration très favorable. Notre pays est ainsi sous ce jour, contrairement à trop d’idées reçues, le moins discriminatoire en Europe.

Les pouvoirs publics ont-ils les moyens matériels pour recevoir autant de jeunes ?

Entre 2000 et 2011, les dépenses relatives à la Protection de l’enfance se sont envolées pour passer de 4 à 6,7 milliards de dépenses annuelles, où toutes les catégories de mineurs pris en charge tiennent leur place, avec une augmentation significative de la part des mineurs isolés. En 2010, la part du budget de l’Aide sociale à l’enfance consacrée aux mineurs isolés en Seine-Saint-Denis a été de 35 Millions d’euros. On considérait qu’ils étaient 5000 à 6000 par an à la fin des années 2000 et on parle à présent de 8000 par an.

On ne peut continuer longtemps dans cette direction au vu des dépenses impliquées, au regard du coût du prix de journée jusqu’au financement des services avec leurs travailleurs sociaux qui veillent à ces prises en charge au niveau des Conseils généraux ou des associations qu’ils financent pour jouer ce rôle. C’est un sujet explosif aux conséquences politiques qui pourraient ne pas être neutres, alors que certains jouent déjà sur les peurs quand d’autres s’amusent aux apprentis sorciers en militant pour une immigration totalement libéralisée.

En octobre 2011, Claude Bartolone avait pris un arrêté similaire à celui de Jean Arthuis sans pour autant déclencher de  polémique. Peut-on parler de deux poids deux mesures ? Les controverses stériles empêchent-elles de poser le bon diagnostic ?

Claude Bartolone, lorsqu’il était Président du Conseil Général de Seine-Saint-Denis, en septembre 2011, s’était refusé à accueillir de nouveaux mineurs isolés, considérant avoir atteint une cote d’alerte et en l’absence de réaction de l’Etat qui connaissait cette situation. Ce département avec Paris comptabilisait le plus de mineurs isolés très loin devant tous les autres départements. La situation a changé puisque une répartition différente de ces jeunes s’est organisée sur la région parisienne et récemment sur le territoire national.

Il se trouve que cela commence déjà à se sentir dans des départements dont les moyens peuvent vite être débordés par l’afflux de ces nouveaux prétendants à une prise en charge très couteuse et au regard de places d’accueil qu’ils ont tendance à truster parfois au détriment d’autre jeunes qui sont à protéger.

Jean Arthuis tire un nouveau signal d’alarme après Claude Bartolone qu’il ne faut pas prendre à la légère ou repousser en s’en indignant encore moins en recourant à l’insulte comme l’a fait le Président de France Terre d’Asile (3).

Nous sommes dans un contexte d’étouffement des finances publiques, particulièrement dans le domaine de l’intervention sociale avec en toile de fond la critique d’un Etat-providence dont il ne faudrait pas laisser saper les bases en faisant ici l’autruche. Les meilleures intentions humanistes pourraient alors aboutir à l’inverse du but recherché, car ce sont nos valeurs collectives qui en seraient aussi ébranlées ne laissant pas indemne la cohésion sociale.

Comment résoudre ce type de question de manière pragmatique sans oublier la dimension humaine du problème ?

On sait que les mineurs isolés étrangers mobilisent beaucoup d’énergie car, s’ils posent moins de problèmes éducatifs que les autres en général, il n’en est pas de même sur le plan administratif et du travail qui vise à leur future autonomie ou presque tout est à reprendre. Il faut souvent travailler avec la barrière de la langue, les retards scolaires, le traumatisme de l’exil, les montages administratifs lourds pour l’accès à une régularisation, l’absence de l’autorité parentale... 

Les travailleurs sociaux qui les accompagnent s’ils sont particulièrement pris par cette dimension de leur activité peuvent la vivre comme assez ingrate relativement à une confiance qui est normalement la base du travail éducatif avec l’usager et n’est pas toujours ici au rendez-vous. Par-delà la différence de la langue ces enfants, voire souvent ces adolescents, ne livrent pas tout de leur histoire : par loyauté à l'égard de leur famille, pour mieux couper parfois le lien entre leur accueil et un point de départ sur lequel il n’est pas question de s’expliquer au risque d’un retour, ou encore par crainte des passeurs professionnels qui n'hésitent pas à utiliser envers eux la menace quand ce n’est pas la violence.

Nombre de travailleurs sociaux partagent un même malaise dans l’exercice de cette responsabilité qui pèse lourdement sur le dispositif de la Protection de l’enfance. Une Protection de l’enfance dont l’organisation et le cadre juridique et institutionnel a conquis un véritable statut et une reconnaissance, à force de prises de conscience des pouvoirs publics comme des professionnels avec des changements se traduisant dans la loi. Elle pourrait ne pas sortir indemne des débats qui l’agitent si l’on ne prend pas la mesure des enjeux avec sérieux, car elle recèle un niveau de qualité nécessaire à son action qui n’est pas extensible et sans limite, en termes de moyens d’accueil  et d‘accompagnement éducatif, de moyens financiers et humains.   

La question des mineurs isolés étrangers se rattache à celle brûlante de l’immigration. Les militants de la fin des frontières voient en eux comme le symbole d’une mondialisation qui, si elle favorise la libre circulation des capitaux, devrait aussi permettre la libre circulation des hommes… Une vision qui si elle était appliquée aboutirait, avec la fin des frontières, à la fin de toute idée d’une nation maitresse de sa souveraineté et de ses droits, la livrant ainsi à un risque de nivellement vers le bas de tout ce qui fait de la France ce pays au haut niveau de protection sociale qui attire tant les candidats à l’immigration mineurs ou non.

Il existe un équilibre à maintenir entre une politique d’accueil raisonnée et le contrôle des flux migratoires, y compris les mineurs isolés. Cela a aussi à voir directement avec les missions de prévention et de protection de l’Aide sociale à l’enfance qui en viennent à risquer de perdre leur sens, à être minées par un rôle d’accueil et d’intégration qui relève plus d’accords de coopération avec les pays d’origine et du traitement de la politique de l’immigration, dont la responsabilité revient à l‘Etat, que de la Protection de l’enfance.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

1 - Mineurs étrangers isolés : le Défenseur des droits se fâche, 19 mai 2013.

2 - Jean Arthuis: "Les mineurs étrangers isolés s'accumulent et les espaces s'amenuisent", 7 août 2013.

3 - Mineurs étrangers isolés : "Quand il n’y a plus de place, il n’y a plus de place", 7 août 2013, Libération.

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