Pourquoi les managers ont tout intérêt à laisser parler les mauvaises langues à la pause café (voire à en être)<!-- --> | Atlantico.fr
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Seuls 11 % des managers considèrent que le moment du café est indispensable pour communiquer au sein de l’entreprise.
Seuls 11 % des managers considèrent que le moment du café est indispensable pour communiquer au sein de l’entreprise.
©Reuters

Bonnes feuilles

Et si, contre toute attente, les managers n'auraient pas intérêt à mettre le couvercle sur le bouillonnement incessant de rumeurs, méchancetés, railleries et autres tortures psychologiques qui sévissent dans leurs équipes ? Extrait de "Éloge de la critique et des jeux de pouvoir en entreprise" (1/2).

Laurence  Bourgeois

Laurence Bourgeois

Diplômée de l'Université Paris IX-Dauphine, Laurence Bourgeois travaille depuis plus de quinze ans au sein de Directions des Ressources Humaines de groupes soumis à de profonds remaniements. Elle s'est avant tout appuyée sur son vécu pour nous livrer cet ouvrage, qui bouscule les idées reçues et vise à redonner à l'esprit critique ses lettres de noblesse. Elle est l'auteur d'autres ouvrages publiés aux Éditions Eyrolles.

 

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Tout manager doit se faire à l’idée qu’une équipe sans discordes, sans conflits, sans rivalités, sans problème et sans critiques sur l’entreprise, ses méthodes ou ses collaborateurs, n’existe pas. Et fort heureusement pour lui d’ailleurs ! En effet, comment parviendrait-il à justifier son rôle dans un monde idyllique ?

Par ailleurs, comme nous l’avons évoqué précédemment, le spectre de l’équipe idéale est inquiétant, car il laisse entendre que les intérêts professionnels passent après la dimension affective et relationnelle. Alors, en tant que manager, plutôt que de dépenser inutilement votre énergie à vous focaliser sur les potins colportés par les « vers dans le fruit », restez concentré sur le business et sur les vrais problèmes ! Ne faites pas d’excès de zèle en cherchant à tout prix à traquer les individus apparemment toxiques. Laissez vos collaborateurs déverser leurs états d’âme et déblatérer entre eux ; vous allez voir, cela vous sera extrêmement utile !

La création de lien

La solidarité entre les acteurs de l’organisation semble actuellement se cristalliser uniquement autour de la charge de travail trop importante, des salaires jugés trop bas et des mauvaises conditions de travail. Mais le lien a besoin de se créer également à d’autres niveaux. « L’expression “lien social” est aujourd’hui employée pour désigner tout à la fois le désir de vivre ensemble, la volonté de relier les individus dispersés, l’ambition d’une cohésion plus profonde de la société dans son ensemble », note le sociologue français contemporain Serge Paugam dans son ouvrage Le Lien social. Ce lien ne peut s’établir qu’« à la condition de considérer que l’homme est un être social qui ne peut vivre et créer qu’en société, c’est-à-dire avec, par et pour les autres, avec qui il doit collaborer » .

Tous solidaires

La solidarité entre acteurs, même de circonstance, est indispensable. Nous l’avons évoqué précédemment : la progression de l’individualisme apparaît aujourd’hui comme inéluctable. C’est chacun pour soi. Les modes de gestion, ainsi que les systèmes de reconnaissance et de performance, se sont individualisés au point qu’« il n’est pas rare d’entendre parler de crise du lien social » et « de la nécessité de “retisser” ou de “renouer” le lien social ». Les sociologues vont jusqu’à évoquer une perte identitaire pour les individus en situation de travail, soumis aux aléas d’un environnement incertain et instable. « La gestion de l’emploi par les plans sociaux et les retraites anticipées (…) peut alors déboucher sur une forme pathologique de désengagement de toute vie active menant à la perte d’identité », constatent à ce titre Françoise Piotet et Renaud Sainsaulieu.

Et la critique, dans tout ça ?

Tout d’abord, la critique nous lie aux autres. Le fait de casser du sucre sur le dos de nos collègues, de nous moquer ou de rire ensemble des défauts d’untel, peut même aller jusqu’à constituer l’ingrédient indispensable d’une vie sociale réussie et favorise l’apparition de comportements solidaires. Et nous savons tous à quel point cette solidarité est utile, non seulement pour nous protéger des aléas du quotidien, mais également pour répondre à ce fameux besoin de reconnaissance, source d’identité et d’existence. Sans compter que la solidarité et l’énergie de groupe peuvent grandement aider à supporter un environnement de travail stressant et contraignant. Ensuite, la critique favorise le regroupement : aussi paradoxal que cela puisse paraître, un esprit de groupe et une dynamique d’attraction se développent autour des oiseaux de mauvais augure, parfois même au-delà des frontières de notre service ou de notre entreprise. Pourquoi sommes-nous donc tant attirés par ces individus qui viennent nous gâcher notre plaisir et nous décourager ? Est-ce parce que, depuis notre petite enfance, puis sur les bancs de l’école et plus tard avec nos copains de lycée, nous avons repéré que l’identification à des personnages et à des groupes constituait une excellente source d’intégration ? Le lien interindividuel, de quelque nature qu’il soit, permet la socialisation des acteurs, axe indissociable du développement économique de l’entreprise.

Enfin, nous rapprocher du groupe pour médire et calomnier nous offre la garantie de ne pas être évincé. En effet, partant du principe que le groupe l’emporte sur la somme des individus qui le composent (principe de synergie) et agit comme une chape de plomb, masquant les individualités, aboyer avec tous les chiens de la meute nous permet de rester dans l’anonymat et de ne pas nous faire repérer. À l’heure du « zéro vague, zéro dossier », c’est certainement la meilleure stratégie à adopter.

La communication renforcée

Dans bien des cas, les rumeurs et les médisances dans l’entreprise naissent d’une sous-information. Certains lieux de rencontre, véritables carrefours de communication, offrent la possibilité de recueillir une mine d’informations. Il en est ainsi des endroits où l’on boit le café, où l’on fume et où l’on va déjeuner. Véritable exutoire pour les individus, ces carrefours de communication permettent des moments d’échanges informels entre collègues et deviennent de vrais leviers de management. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si certaines entreprises ont décidé d’apporter un soin tout particulier à leur espace cafétéria pour en faire un lieu d’échange incontournable, ou encore de rendre gratuites les boissons à la machine à café ! De plus, avec un peu de chance et une bonne dose de manipulation, on finit toujours par y trouver l’information recherchée, par exemple sur la stratégie de l’entreprise, les grands projets à venir, les difficultés rencontrées par les collègues, etc. On y entend moult rumeurs et ragots sur la vie des uns et des autres : untel a soi-disant obtenu une appréciation annuelle déplorable, untel a quitté sa femme l’an dernier (alors pourquoi en parle-t-on encore ?), untel convoite le poste d’untel qui a prévu de quitter le groupe, etc. La meilleure tactique pour recueillir de l’information ? Papoter, écouter et enregistrer toutes les conversations (au sens figuré, bien sûr). Sur le lot, certaines vous serviront sans doute…

Puis, de retour dans votre espace de travail, utiliser tout l’arsenal de ruses psychologiques en vue de déstabiliser vos interlocuteurs :distiller autour de vous quelques informations entendues de-ci de-là, en veillant à garder toujours une part de mystère. Pour les managers, ces parenthèses dans une journée de travail leur donnent l’opportunité d’être à la pointe des informations les plus récentes, actualisées en temps réel. Toutefois, ces derniers semblent ne pas toujours trouver d’intérêt à profiter de ces instants de détente ; en effet, seuls 11 % d’entre eux considèrent que le moment du café est indispensable pour communiquer au sein de l’entreprise. Peut-être estiment-ils que leur rôle leur interdit de discuter en public avec leurs collaborateurs ? Peut-être considèrent-ils ces moments de non-travail comme superflus ? Peut-être ne sont-ils pas convaincus que les pauses café, au-delà de faciliter la communication entre les salariés, permettent de renforcer la solidarité, de résoudre des problématiques, de réduire les tensions et d’améliorer la coordination au sein d’une équipe ? Peut-être ignorent-ils tout simplement les dispositions du Code du travail ? C’est donc un leurre de croire que les jeux font obstacle au bon fonctionnement de l’organisation : au contraire, ils mettent de l’huile dans les rouages et contribuent à en optimiser le fonctionnement.

Extrait de "Éloge de la critique et des jeux de pouvoir en entreprise", Laurence Bourgeois, (Eyrolles Editions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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