Affaire du Carlton : DSK peut-il vraiment tomber pour proxénétisme? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Faits divers
Affaire du Carlton : DSK peut-il vraiment tomber pour proxénétisme?
©

Une question de sémantique

Pour les juges en charge de l'affaire du Carlton, Dominique Strauss-Kahn aurait accompli un "acte matériel de proxénétisme" en ayant fourni une aide et une assistance à la prostitution. Dans un tel cas de figure, la limite légale entre client et proxénète devient très mince.

Francis  Caballero

Francis Caballero

Francis Caballero est l'auteur du Droit du sexe (éditions Lextenso, 2010). Il est avocat et professeur à l'Université Paris X–Nanterre.

Voir la bio »

Atlantico : Pour renvoyer Dominique Strauss-Kahn en correctionnelle le 26 juillet dernier, les juges ont employé le terme de « proxénétisme ». Les faits retenus (connaissance du statut des prostituées, programmation par DSK des soirées, appartements loués par lui)  autorisent-ils une telle qualification ?

Francis Caballero :Il est impensable que Dominique Strauss-Kahn n’ait pas pu comprendre ou savoir qu’il s’agissait de prostituées rémunérées. On a beau être célèbre et puissant, croire que des jeunes filles se déplacent uniquement pour ses beaux yeux à Washington ou au Carlton de Lille serait bien naïf. Rappelons ce qu’est la prostitution : toute forme de prestation sexuelle rémunérée, occasionnelle ou régulière. Ce déni affaiblit sa défense depuis le début de l’affaire.

Ceci dit, son renvoi devant le tribunal correctionnel pour proxénétisme aggravé est choquant, car si de nos jours le proxénétisme est une incrimination extrêmement large, qui vise celui qui assiste, aide ou protège la prostitution d’autrui (article 125-7 du Code pénal), on peut alors dire qu’en participant à des « parties fines » ou en louant des appartements à cette fin, DSK se comportait comme celui qui aide ou assiste la prostitution d’autrui. Sous un angle juridique pur, son renvoi en correctionnelle tient à la qualification de « proxénétisme aggravé en réunion ». Si le « proxénétisme en bande organisée » avait été retenu, l’affaire aurait dû être portée devant la Cour d’assises, ce qui aux yeux des juges aurait été disproportionné.  Cependant, la différence entre les deux a l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette : les avocats de Dominique Strauss Kahn envisagent à juste raison de soulever l’incompétence du tribunal correctionnel, pour aller en Cour d’assises et y être jugé par un jury populaire.

Ce renvoi est d’autant plus choquant qu’il est fait sous l’égide d’une loi rédigée dans les années 1960. Celui qui aidait ou assistait la prostitution d’autrui à l’époque était le « souteneur » qui, effectivement, aidait sa copine à travailler, et la protégeait contre les autres. C’est dans cette optique qu’a été écrit le texte. Aujourd’hui, une majorité de femmes pratiquant la prostitution le font  en s’aidant d’internet, empochent l’intégralité de leurs gains, et ne rendent de comptes à personne de leurs activités. Elles ne sont par conséquent pas des esclaves sexuelles. C’est le cas dans l’affaire du Carlton, dans laquelle aucune violence ou contrainte n’a été exercée sur les femmes qui ont accepté d’y participer. Elles n’étaient en aucun cas les victimes d’un DSK proxénète. Un client peut tout à fait organiser des partouzes, et il n’en retire pas de bénéfice financier.

Cette qualification de proxénétisme en réunion a donc tout pour déplaire : elle est contraire à la compétence du tribunal correctionnel, puisque l’affaire devrait être portée en Cour d’assises pour proxénétisme en bande organisée. Et surtout, les juges font semblant de confondre le client et le proxénète, vision qui est contraire aux droits de l’homme, à la liberté sexuelle et à tous les principes d’une société démocratique. Le proxénète étant celui qui aide, assiste ou protège la prostitution d’autrui, on peut considérer que le client, en payant la prostituée, l’aide à exercer son activité. Mais cela ne correspond pas du tout à l’intention des rédacteurs de la loi.

Le fait que DSK ait loué des appartements pour organiser ces soirées peut-il peser dans la balance ?

Si l’on s’en tient à une lecture juridique stricte, c’est tout à fait possible. On n’y pense pas dans le cas d’un client seul qui louerait une chambre d’hôtel, mais le fait que les personnes soient nombreuses change tout dans les esprits. Des clubs échangistes sont d’ailleurs tombés à cause de cela. Et on oublie que ni la prostitution, ni sa consommation ne sont interdites en France. Ce qui trouble tout dans cette affaire, c’est qu’il y ait eu organisation de soirées. Si celui qui avait organisé ces soirées avait perçu une rémunération sur les prestations des prostituées, alors, tel un Dédé la Saumur, il aurait été proxénète. A part des services sexuels, DSK n’a rien perçu. Il n’y a donc pas proxénétisme.

Que se passera-t-il si la qualification de proxénétisme n’est pas retenue ?

Le non-lieu sera prononcé. Le Parquet y était d’ailleurs favorable, ce sont les juges qui ont interprété le texte à leur manière. Pour ce qui concerne DSK, cette affaire va déboucher sur une relaxe. Le tribunal se prononcera, et il y aura ensuite la Cour d’appel et la Cour de cassation. Et il faut espérer alors que la décision sera cassée, car un client est un client, pas un proxénète.

Propos recueillis par Gilles Boutin

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !