Bienvenue dans l’ère de la croissance molle : et si l’âge d’or de l’économie mondiale était derrière nous ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Nouvelle ère ?

Hausse du prix des ressources, répercussions sur le coûts des transports, augmentation de la croissance mondiale, stagnation économique... L'âge d'or où régnaient plein emploi et croissance semble loin derrière nous. De nouveaux acteurs, de nouveaux produits, de nouvelles règles, de nouveaux métiers dessinent une nouvelle économie et une nouvelle société.

Jean-Marie  Chevalier et Philippe Simonnot

Jean-Marie Chevalier et Philippe Simonnot

Jean-Marie Chevalier est un économiste français, diplômé de l'institut d'études politiques de Paris, docteur en Sciences économiques de l'Université Paris Panthéon-Sorbonne et agrégé des facultés de sciences économiques. Il est membre du Cercle des économistes. Il enseigne à l'université Paris-Dauphine et dirige le centre de géopolitique, de l'énergie et des matières premières.

Philippe Simonnot est économiste. Son dernier ouvrage en librairie s’intitule Chômeurs ou esclaves, Le dilemme français, Ed. Pierre-Guillaume de Roux. En 2012, il publie La monnaie, Histoire d’une imposture, aux Editions Perrin, en collaboration avec Charles Le Lien. Il publie régulièrement des articles dans la presse nationale française et suisse. Docteur ès Sciences économiques, diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris, il a enseigné l’économie du droit aux Universités de Paris-Nanterre et Versailles. En 2008, il crée l’Atelier de l’Économie contemporaine (études, conseils) et se spécialise en même temps dans l’Économie de la religion – qui étudie les religions sous leur aspect économique.

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Atlantico : Cinq ans après le début de la crise, les entreprises peinent toujours à retrouver le chemin de la croissance qu'elles connaissaient auparavant. Serions-nous en réalité entrés dans une ère de croissance durablement plus faible?

Jean-Marie Chevalier : Nous sommes entrés dans une ère de croissance qui est différente de la croissance traditionnelle. Nous sommes dans un monde où les progrès technologiques sont des sources d’innovation non seulement en technologie mais aussi pour la construction de business models, des nouveaux modèles porteurs de croissance comme Internet par exemple. Il faut inventer ce nouveau type de croissance.

Philippe Simonnot : C’est tout simplement que la crise n’est pas terminée, qu’elle est beaucoup plus grave qu’on ne l’a dit et qu’on ne le dit encore. En effet, elle est causée non par un excès de liberté marchande, comme on l’a prétendu, mais par le dérèglement d’un système monétaire fondé sur de la fausse monnaie. Tant que l’on n’aura pas ancré la création monétaire sur la réalité économique, on ira de crises en crises de plus en plus graves. Malheureusement, le pays qui reste le plus puissant dans ce domaine, c'est-à-dire les États-Unis, n’est pas disposé à remettre en cause un système dont il tire profit dans l’immédiat par le truchement du dollar. En outre, on a fait la sottise d’admettre la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce sans lui imposer la liberté des changes – ce qui lui permet de sous-évaluer sa devise. Récemment la guerre des monnaies a été relancée, et aggravée, par le Japon – ce qui ne présage rien de bon.

Atlantico : La demande de biens augmente en même temps que la population mondiale. En parallèle le coût des ressources est de plus en plus élevé. Cela contribue-t-il à expliquer une baisse de l’économie mondiale ?

Jean-Marie chevalier : Nous avons une croissance démographique forte qui va augmenter d’ici 2050. La demande de biens essentiels croît. On peut se demander si le prix de ces biens ne va pas continuer à augmenter, ce qui pourrait entraîner des inégalités et des violences. La croissance que l’on aura dans les 20 ans qui viennent sera qualitativement différente, ce qui peut se traduire par des mouvements de violence.

Philippe Simonnot : Non. Il faut raisonner en termes économiques, et non pas en termes de quantités physiques. Toutes les ressources de la Terre ont toujours été plus ou moins rares. Dès que l’une d’entre elles devient plus rare, son prix doit augmenter si on laisse librement jouer le mécanisme du marché. Cette augmentation de prix génère toute une série d’effets favorables à la croissance économique  - laquelle, il ne faut cesser de le rappeler, est d’abord et avant tout un phénomène qualitatif, et non pas seulement quantitatif comme il apparaît dans les statistiques du PIB. L’effet le plus positif, qu’il faut surtout laisser libre de se manifester, c’est la substitution de la matière grise à une ressource devenue trop rare, donc trop chère.

Atlantico : On sait que l’énergie est un facteur externe qui a une très grande influence sur les échanges et la croissance. Le prix du baril de pétrole qui ne cesse d’augmenter depuis les chocs pétroliers de 1973 et 1979 et qui pèse sur le coût des transports contribue-t-il à expliquer un ralentissement du commerce mondial - en concentrant les biens au niveau régional plutôt que mondial par exemple ? Le gaz naturel étant une source d’énergie bon marché, peut-il freiner la hausse des ressources à long terme ?

Jean-Marie Chevalier : Pour l’instant, nous n’avons pas observé de grands bouleversements : même lorsque le prix du pétrole est monté à 150$, il n’y a pas eu de remise en cause des flux traditionnels. Le prix du baril de pétrole tourne autour de 100$. On ne peut pas donner de réponse pour 2020. Beaucoup d’entreprises sont inquiètes de la montée possible des coûts des transports surtout si on ajoute le coût de la taxe carbone liée aux changements climatiques, il peut donc y avoir des remises en cause de flux traditionnels de transports de biens et services mais cela n’altère pas le niveau des échanges. L’autre phénomène est la volonté de raccourcir les circuits de distribution indépendamment des prix de l’énergie. Il est compliqué de savoir si le gaz naturel peut freiner la hausse des ressources à long terme car on connait depuis quelques années l’émergence d’un gaz naturel : le gaz de schiste. Celui-ci a entraîné une révolution aux États-Unis divisant le prix du gaz par 3 redonnant à l’industrie une compétitivité qu’elle avait perdu mais ce phénomène ne va pas se généraliser au niveau mondial. En Europe, on a un gaz plus cher, la situation ne sera pas bouleversée. En Asie, on a un gaz très cher et la situation peut être bouleversée si la Chine a des ressources importantes de gaz non conventionnel mais pour l’instant on ne le sait pas.

Philippe Simonnot : L’augmentation du prix du pétrole a été un frein à la croissance dans des pays – comme la France – qui l’ont fait supporter par les entreprises, et non par les consommateurs de pétrole. Ce que l’on vient de dire pour les ressources s’applique bien évidemment à l’énergie. Au plan mondial, la hausse du prix du pétrole OPEP a généré une recherche d’hydrocarbures hors OPEP – et d’abord en Mer du Nord, l’utilisation accrue d’énergies concurrentes (gaz, charbon, nucléaire, hydraulique, etc….), la recherche de nouvelles sources d’énergie (schistes bitumineux, gaz de schistes, soleil, vent, agrocarburant, biomasse, etc..), et enfin la recherche d’économies d’énergie : un gisement considérable trop souvent négligé, notamment en France. Dans notre pays, l’électricité, par exemple, est sous-tarifée, d’où le coûteux retard des Français dans la construction d’immeubles économes en énergie. Quant au gaz de schiste, il a déjà, de manière foudroyante, bouleversé la donne énergétique mondiale. A terme, les États-Unis seront autonomes et pourront donc se passer du Moyen-Orient. C’est un changement total par rapport à une situation géostratégique qui dure depuis 1945.

Atlantico : La main d’œuvre a augmenté au cours des 50 dernières années, notamment grâce au travail des femmes. Va-t-elle continuer d'enfler au même rythme ? Jusqu'à quand ?

Jean-Marie Chevalier : La proportion du travail féminin va continuer à augmenter mais il faut distinguer plusieurs cas de figure. Il y a d’une part les pays émergents où les femmes travaillent dans des manufactures et d’autre part, des femmes qui travaillent dans des grandes entreprises comme cadres dirigeants. Ces phénomènes sont différents. La proportion du travail féminin va augmenter dans tous les cas de figure mais avec des effets différents sur la croissance d’autant plus que les femmes sont porteuses de valeurs différentes des valeurs masculines, notamment en termes d’éthique. Cela est très positif et constitue un élément indispensable à une croissance soutenable.

Philippe Simonnot : Il faudrait poser la question pays par pays – chacun étant dans une situation particulière. En France, le sous-emploi est massif parce que le marché du travail est entravé par toutes sortes de réglementations qui nuisent à l’embauche. Au plan mondial,  la population pourrait s’arrêter de croître en 2050 au niveau de 9 milliards (dans les années 1950-1960, les prévisionnistes estimaient qu’on atteindrait 12 à 15 milliards au milieu du XXI° siècle !). Et l’humanité va redécouvrir un problème qu’elle n’a pas connu depuis l’an Mille, à savoir une population stagnante, et cette fois vieillissante. Pas sûr que cela soit plus facile à gérer que la « bombe démographique » du XX° siècle.

Atlantico : Le XXIe siècle va-t-il connaître moins d'innovations que les XIXe et le XXe siècles ? L’innovation est-elle en train de stagner ou au contraire y a-t-il d’autres inventions qui peuvent re-dynamiser l’économie mondiale?

Jean-Marie Chevalier : Le début du XXIe siècle a été marqué par l’accélération des innovations technologiques dans le domaine des télécommunications. Il y a cependant un énorme potentiel d'innovation dans tout ce qui est organisationnel y compris des types d’entreprises nouveaux qui se développent et utilisent au maximum les nouvelles technologies. Le changement des modèles d’entreprises et d’organisations économiques sera une caractéristique majeure de ce XXIe siècle. On ne peut jamais dire que l’innovation stagne, ce sont des cycles. Le problème qui se pose se situera plutôt au niveau éthique, par exemple sur les OGM, sur les embryons, ou encore sur les gaz non conventionnels. Il sera difficile de trouver le bon équilibre dans l’innovation.

Philippe Simonnot : Impossible pour un économiste de prévoir quoi que ce soit dans ce domaine. La seule chose qu’il peut recommander est de faire en sorte  que l’innovation puisse pleinement jouer son rôle. Comme je le disais plus haut, la substitution de la matière grise à la ressource matérielle en voie d’épuisement a toujours  été la meilleure et la plus efficace réponse de l’homme aux défis de  Marâtre Nature. Cette substitution ne peut jouer pleinement que si consommateurs et entrepreneurs sont guidés par des vrais prix, c'est-à-dire des prix issus du marché.

Atlantico : Le monde fait face à des changements climatiques. La détérioration du climat a-t-elle une incidence sur le prix des denrées alimentaires ? Peut-on estimer les coûts du changement climatique ? Ses répercussions sur le PIB vont-elles augmenter ?

Jean-Marie Chevalier : Le changement climatique fait partie de grandes incertitudes. On sait que les changements se feront au niveau économique, social et politique mais il est difficile d’en mesurer les conséquences et le coût. La communauté scientifique avait dit qu’il fallait éviter que la température augmente de plus de 2 degrés mais on est très au-delà. Les effets peuvent être positifs dans certaines régions mais seront négatifs dans beaucoup d’autres avec notamment des sécheresses, inondations, etc. On sait déjà que le coût pour l’économie globale sera extrêmement important. Les répercussions sur le PIB sont encore inconnues mais nous sommes dans une dynamique globale qui va vers une hausse des matières premières et des matières agricoles.

Philippe Simonnot : Ces changements sont-ils durables ? Sont-ils causés par l’homme ? Nul ne peut répondre aujourd'hui avec certitude à ces questions. Ce que l’économiste peut affirmer, c’est que ces changements climatiques, s’ils existent et s’ils persistent, auront des effets différenciés selon les zones géographiques et que, par conséquent, ils redistribueront les avantages naturels comparatifs dont les différents pays peuvent disposer. L’humanité a déjà connu ce genre de situation, qui peut en effet conduire à des guerres sanglantes si le libre échange est mis en cause par des politiques  protectionnistes à courte vue.

Propos recueillis par Karen Holcman

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