Cause de tous les maux européens ou bouc émissaire commode : faut-il vraiment brûler les politiques d’austérité? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Fonds monétaire international (FMI) estime que la France devrait ralentir son rythme de réduction du déficit public afin de soutenir la reprise économique.
Le Fonds monétaire international (FMI) estime que la France devrait ralentir son rythme de réduction du déficit public afin de soutenir la reprise économique.
©Reuters

Le malade va-t-il mourir... guéri ?

Alors que les taux de prélèvements obligatoires dans l'Hexagone devraient atteindre 46,5 % en 2014, le rapport annuel publié par le FMI invite le gouvernement français à ralentir son rythme de réduction du déficit public. Des préconisations qui sonnent comme une remise en cause des politiques européennes d'austérité.

Gérard  Thoris et Philippe Waechter

Gérard Thoris et Philippe Waechter

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé une Analyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (Sociétal, Revue française des finances publiques…).

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management. Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux. Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie" (Editions Alphée, 2008).

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Atlantico : Dans son rapport annuel sur l'économie française publié lundi, le Fonds monétaire international (FMI) a estimé que la France devrait ralentir son rythme de réduction du déficit public afin de soutenir la reprise économique. Les politiques d'austérité menées en Europe depuis le début de la crise ont-elles échoué ?

Philippe Waechter : Il y a deux aspects à souligner dans la question. Le premier correspond à la question que vous posez sur les orientations prises au sein de la zone euro, notamment depuis 2011. Ce point sera repris dans la question suivante. Le deuxième aspect de la question est effectivement celui porté par le FMI qui indique que la France devrait ralentir le rythme de réduction de son déficit. Le propos du FMI est clair. L'économie française est en phase de stabilisation, ce que reflète le repli de -0.2% de l'activité en 2013 et la faible accélération de 2014 à +0.8%.

Ce qu'évoque le FMI est le fait que le gouvernement a la capacité d'accentuer cette reprise en relevant un peu le pied du frein. Cela faciliterait certainement l'investissement des entreprises et finalement l'amélioration du cycle économique français. En d'autres termes, par le biais de cette mesure, le gouvernement pourrait faciliter la reprise de l'économie française et finalement améliorer la gestion de ces finances publiques puisque l'on mesure toujours le déficit et la dette publique en rapport au PIB. Si celui-ci progresse plus rapidement, ces ratios se stabiliseront plus rapidement. C'est le sens du propos du FMI.

Gérard Thoris : Commençons par relire l’information à la source. Puisque nous sommes dans le régime des médias, faisons comme les journalistes professionnels : contentons-nous du résumé en ligne sur le site du FMI. Que peut-on y découvrir ? Allons directement au but. Le FMI est prêt à troquer un ralentissement de l’ajustement budgétaire contre des réformes structurelles.

Ce résumé commence en effet par donner quitus au gouvernement pour avoir donné « une forte impulsion aux réformes structurelles ». A dire vrai, on croit rire. Car les réformes structurelles qui auraient dynamisé l’activité économique sont 1/ la réduction des prélèvements sur les salaires, via le crédit d’impôt compétitivité-emploi (CICE), 2/ la « plus grande latitude donnée aux entreprises pour ajuster les salaires et le temps de travail tout en renforçant la sécurité de l’emploi », soit l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 et 3/ « l’amélioration de la formation professionnelle ».

Or, la réalité de ces réformes est largement discutable. En effet, 1/ le CICE est une usine à gaz bien plus complexe que le transfert des charges sociales sur la TVA, comme le demandait le rapport Gallois ; 2/ la lettre du texte montre que les avantages négociés par l’ANI sont acquis pour les salariés mais doivent être négociés avec les pouvoirs publics lorsqu’ils concernent les employeurs ; 3/ le 13 juillet dernier, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a décidé de supprimer 550 millions d’euros d’aides à l’apprentissage.

On voit donc mal où se trouvent les acquis en termes de réformes structurelles. En réalité, tout se passe comme si les pouvoirs publics accroissaient leur pouvoir d’intervention dans le fonctionnement des entreprises : 1/ il est évident que l’utilisation des fonds du CICE fera l’objet d’évaluations syndicales et politiques dès l’année 2014 ; 2/ l’obligation de rechercher un repreneur dès l’annonce d’un projet de fermeture (article 12) va certainement justifier l’entrisme du Ministre du redressement productif ; 3/ l’argent destiné à l’apprentissage sera sans doute fléché vers les emplois francs, qui semblent être le cheval de bataille estival du Président de la République ! On déshabille Pierre pour habiller Paul, l’essentiel étant que l’opération passe par les services de communication de l’Élysée.

Bref, puisqu’il s’agit d’utiliser l’aura du Fonds monétaire international pour infléchir la politique économique nationale, autant savoir que son message principal est qu’un « renforcement de la concurrence sur les marchés de produits, en particulier dans le secteur relativement plus protégé des services, serait un levier important pour rehausser la croissance de la productivité et la création d’emploi ». Et puisque la régulation de l’activité des taxis est devenue, depuis le rapport Attali, un exemple emblématique de l’impuissance des pouvoirs publics à opérer des réformes structurelles, rappelons qu’il est sérieusement envisagé d’obliger les voitures de tourisme avec chauffeur d’attendre 15 minutes entre un appel téléphonique et la prise en charge du client !

Dans un article publié dans The New York Review of Books (voir ici), le journaliste britannique du FT, Martin Wolf, met en évidence le fait que les économies européennes se portaient mieux avant les politiques d'austérité. Ces politiques ont-elles, comme il le pense, cassé la reprise et, pire, aggravé la crise ?

Philippe Waechter : On peut faire une première observation. Le niveau d'activité mesuré par le PIB était au 3ème trimestre 2011 1.6% au-dessous du niveau observé au premier semestre 2008 que l'on peut prendre comme référence avant la récession liée à la faillite de Lehman Brothers. Au premier trimestre 2013, le PIB de la zone Euro est 3.1% au-dessous de ce niveau de 2008. Depuis la mise en place de politiques très restrictives en Espagne, en Italie, en Grèce ou encore au Portugal, le PIB de la zone Euro a reculé pendant 6 trimestres et l'écart plus est important aujourd'hui qu'en 2011.

Ces politiques de rigueur budgétaire visant à stabiliser les finances publiques ont avant tout engendré un recul fort, profond et durable de l'activité. On constate aujourd'hui que l'objectif d'équilibrage des finances publiques n'a pas été encore atteint. D'ailleurs la commission européenne a dû avant l'été repousser de 2 à 3 ans les objectifs fixés en termes de déficit public. La raison principal de ce report était l'effondrement de l'activité constaté dans de nombreux pays de la zone. Les prévisions de croissance avaient été excessivement optimistes, minorant l'impact des mesures restrictives sur la croissance.

En outre si l'on regarde plus précisément, pendant cette longue période de récession l'investissement des entreprises a reculé. En d'autres termes, les capacités de production n'ont pas intégré le progrès technique qui rendra l'économie plus compétitive. En outre, le non renouvellement de cet appareil productif va peser durablement sur la productivité et donc sur la capacité de l'économie à engendrer un supplément de revenu. Sur un autre aspect le taux de chômage s'est envolé et le chômage de longue durée s'est accru de façon brutale dans des pays comme l'Espagne ou même comme la France. Une partie des personnes au chômage auront des difficultés à retrouver un emploi. Le coût pour la collectivité sera élevé. En d'autres termes, le repli profond et dans la durée de l'activité va avoir des effets contraignants persistants. La zone Euro va porter longtemps le poids des politiques mises en œuvre.

Par ailleurs la grande purge souvent prônée par les partisans de l'austérité fait penser aux saignées du Moyen-Age faisant généralement plus de mal que de bien. Il serait de ce point de vue intéressant de définir l'objectif des partisans de l'austérité puisque celle-ci s'accompagne généralement d'une baisse de niveau de vie. Cela peut-il être un objectif de politique économique? En outre l'idée de repartir sur des bases plus saines c'est faire l'hypothèse que la rupture opérée n'aura pas de conséquences durables sur les comportements et éventuellement sur la stabilité sociale. C'est une hypothèse forte que je n'ai pas envie d'endosser.

L'emploi peut être un objectif sain de politique économique, la stabilité de la dette publique comme objectif premier des choix politiques est contestable.

Gérard Thoris : On entend aujourd'hui constament dire que les politiques d’austérité ont échoué. Il ne faut pas de longues études de psychanalyse pour décrypter le motif de ces répétitions oratoires. En fait, le roi est nu et il faut cacher sa nudité.

Le roi est nu, cela veut d’abord dire que les politiques de relance ont échoué. Qu’on s’en souvienne ! Nous étions en 2009 et les politiques de déficit budgétaire devaient permettre d’avaler la crise comme la couleuvre avale un éléphant ! Il suffit de regarder l’état de l’industrie automobile domestique pour se rendre compte que les politiques de subvention n’ont fait que déplacer la demande. Il n’y a pas eu d’effet multiplicateur des déficits budgétaires de sorte qu’ils se sont transformés en accroissement de dettes publiques. Aujourd’hui, l’effet boule de neige est en train de se déclencher et chacun sait, experts du FMI compris, qu’il est très difficile de le maîtriser.

Le roi est nu, cela veut aussi dire que l’Etat-Providence a cessé de tenir ses promesses. Il n’est que de voir les discours du Président. Vaincre le chômage, soit en infléchir la progression, « ce sera dur » (Arles, 26 juillet 2013) ; réformer les retraites ? « des efforts seront nécessaires et chacun devra y participer » (Marisol Touraine, 9 juin 2013), etc.

Mais, il faut encore le répéter, il n’y a pas encore eu de politique de rigueur, au sens strict, en France ! Certes, comme le dit le rapport du FMI, « à la fin de 2013, le gouvernement aura accompli deux tiers de l’effort engagé en 2011 pour stabiliser le déficit budgétaire ». Mais regardons les chiffres. En 2011, le déficit budgétaire notifié représentait 5,3 % du PIB et le taux de dépenses publiques était de 55,9 % du PIB. Fin 2013, le taux de déficit budgétaire devrait être de 3,8 % du PIB mais le taux de dépenses publiques atteindrait 56,9 % du PIB. C’est la contraction de l’activité économique qui entraîne de moindres recettes fiscales. Il faut donc s’interroger sur les paramètres de la dépense privée pour en comprendre la logique. Ils tournent autour du désendettement pour atténuer les risques de l’incertitude.

  1. Les entreprises françaises manquent traditionnellement de marges et sont excessivement endettées. Le progrès technique ne s’arrête pas et, avec lui, les opportunités d’investissement. Mais elles sont contraintes par la prudence des banquiers, les risques de devoir licencier en cas d’investissements de productivité, l’atonie de la demande. Ajoutons que la salve d’impôts qui a touché tous les types de volatiles n’a rien à voir avec la rigueur mais avec la « justice sociale ». Bref, il s’agit d’un message politique, transformé par Christophe de Margerie en action économique par la délocalisation d’une partie des activités de Total à Londres.

  2. La crise actuelle correspond typiquement au concept d’équilibre de sous-emploi keynésien. Donc, pour 80 % des ménages, elle n’a qu’un impact réel limité. Mais les déficits des comptes publics et sociaux sont autant d’épées de Damoclès qui pèsent sur leur futur proche. Chaque jour, des règles du jeu anciennes sont modifiées ou menacent de l’être (tarif de l’électricité, coût du gazole, taxe sur les smartphones). De plus, le prix élevé de l’immobilier se traduit ici ou là par des moins-values en cas de transactions contraintes. Avec une bourse considérée comme élevée, mais plutôt atone, on a un effet patrimonial négatif sur la demande. Cela n’a rien à voir avec la rigueur budgétaire mais beaucoup avec les politiques publiques désordonnées.

  3. Dans un environnement de croissance nulle, on peut s’attendre à des efforts rigoureux pour optimiser la dépense publique. Or, la Revue générale des politiques publiques, timidement efficace, a été remplacée par la Modernisation de l’action publique, efficace dans sa timidité.

Or, la reprise ne peut  se produire réellement que lorsque les bilans des agents publics seront libérés des dettes excessives. Pour les entreprises, cela signifie accroître leur capacité d’autofinancement ; pour les ménages, cela passe par la résorption du risque d’une bulle immobilière ; pour les Etats, cela suppose de maîtriser l’effet boule de neige de la dette. En quoi les politiques dites de rigueur ont-elle amélioré l’un ou l’autre de ces paramètres ?

Au-delà de la nécessaire lutte contre les déficits, les chefs d'Etats européens n'ont-ils pas commis un excès de zèle dans leurs politiques budgétaires ? Fallait-il aller aussi vite et aussi loin ?

Philippe Waechter :On conçoit bien la nécessité de ne pas partir à l'aventure dans la gestion des finances publiques mais la question est celle de savoir pourquoi il fallait aller aussi vite. En France le déficit était important mais jamais dans le passé le déficit n'avait été réduit aussi fortement plusieurs années de suite par le biais de mesures restrictives importantes. C'est la vitesse qui est en cause. La pression des marchés qui est souvent invoquée pour expliquer cette sorte de précipitation est un argument excessif. La Commission européenne voulait absolument stabiliser les finances publiques pensant qu'une dette publique excessive aurait un impact négatif sur la croissance. On sait depuis que cette règle n'est pas validée. L'empressement de la Commission a été excessif et l'on en paie le prix fort aujourd'hui.

Gérard Thoris :Cette question ne peut concerner la France. Pour elle, les termes de l’équation sont d’élargir le potentiel de croissance par des réformes structurelles. La solution au problème d’un équilibre de sous-emploi passe par la création d’emplois nouveaux dans des entreprises nouvelles. Est-ce que les Ministres et leurs conseillers ont assez de talent pour savoir où et quand investir ? Osons citer Adam Smith en défense de « la liberté naturelle ». Grâce à elle, « le souverain est complètement déchargé d’un devoir, dont la tentative d’exécution l’exposera toujours à d’innombrables désillusions, et pour l’exécution convenable duquel aucune sagesse humaine ni savoir humain ne saurait jamais suffire : le devoir de surveiller l’industrie des particuliers, et de la diriger vers les emplois les plus adaptés à l’intérêt de la société » (Richesse des nations, 1776, PUF [1995], p. 784). L’ouvrage dont cette citation est extraite ne doit pas être sur la table de chevet de la vice-présidente de la Banque publique d’investissement (BPI).

Mais le vrai problème réside dans les PIIGS. Le taux de dette publique y a bondi rapidement, principalement pour cause de crise immobilière et/ou bancaire. Typiquement, les dettes accumulées avaient une valeur supérieure à celle des collatéraux qu’elles avaient permis d’acquérir. La solution retenue a été une erreur majeure face à laquelle l’histoire se montrera sévère : les dettes ont été reportées dans le temps par des moratoires en même temps que l’on cherchait à juguler les déficits courants par la rigueur. C’est l’opération de destruction économique la plus massive en temps de paix et elle a été organisée par les pouvoirs publics.

Mais la solution n’était pas de laisser courir les déficits publics. Elle consistait à procéder au rachat massif des obligations publiques par la Banque centrale européenne ; elle supposait que la BCE renonce aux intérêts sur la dette par elle détenue ; elle devait même aller jusqu’à imaginer faire remise de cette dette. En échange de quoi, les programmes d’équilibrage budgétaire auraient pu être facilement réalisés. Il suffit de constater que la Grèce comme l’Italie ont désormais un excédent budgétaire primaire (hors intérêts de la dette). Grâce à cette politique audacieuse, ces pays seraient sortis de la partie la plus violente de la crise et pourraient mener les réformes structurelles en ayant du grain à moudre pour les populations qui devraient abandonner une partie de leurs avantages.

Durant la crise, les Etats européens se sont-ils montrés assez solidaires. N'ont-ils pas oublié que les économies européennes étaient dépendantes entre elles ?

Philippe Waechter : Les pays de la zone Euro ont été confrontés à de nombreuses difficultés au cours de ces dernières années. Il y a eu bien sûr ces éléments de politique économique mais il n'y a pas eu que cela. De nombreux pays ont dû faire face aussi à des interrogations sur leur mode de croissance. L'exemple le plus immédiat est sur ce point celui de l'Espagne. L'éclatement de la bulle immobilière a laissé l'économie espagnole sans véritables ressources de substitution. Il a fallu que l'Espagne se donne les moyens très vite de réallouer ses ressources vers d'autres activités. Cela a été d'autant plus complexe que le système bancaire était en grande détresse. D'une manière générale cela met en exergue la question des réformes structurelles susceptibles de donner à chaque pays de la zone une capacité à retrouver de l'autonomie de croissance. L'objectif des réformes structurelles est de faciliter la réallocation des ressources d'un secteur de l'économie à un autre afin de pouvoir s'adapter le plus rapidement à l'évolution de l'économie globale et en tirer avantage.

Par ailleurs d'autres questions se posaient sur l'architecture même de la zone Euro. Les institutions qui avaient été mises en place à la fin des années 1990 n'ont pas passé le cap de la crise. Il a fallu les réformer et en créer de nouvelles. C'est ce qui a été fait depuis un an. Dans un tel environnement, chacun a effectivement eu tendance à jouer sa propre carte. Cela reflète aussi certainement l'absence d'une instance de coordination plus forte.

Gérard Thoris : De fait, la solidarité européenne a été assez remarquable lorsqu’il a fallu décider de laisser filer les déficits budgétaires. Même l’Allemagne s’est laissée convaincre, encore que son relâchement budgétaire a été relativement modeste.

Cette idée de l’interdépendance européenne revient aujourd’hui pour freiner les politiques de rééquilibrage budgétaire. Elle n’a été que très brièvement oubliée, lorsque seule la Grèce était concernée par les politiques d’austérité. Lorsqu’il s’agit d’un pays comme l’Italie, deuxième client et deuxième fournisseur de la France, l’interdépendance se manifeste de manière rapide et brutale.

Que penser à cet égard de l'attitude de l'Allemagne, qui n'a pas hésité à se prévaloir de sa situation économique pour imposer à ses partenaires le tournant de l'austérité ? Doit-elle sa situation dominante uniquement à ses propres efforts ?

Philippe Waechter : A l'été 2011, l'Allemagne a gagné le bras de fer qui l'opposait à la France quant à la forme que devait prendre la gestion de l'activité économique en zone Euro. La France souhaitait une approche plus coopérative et centralisée alors que l'Allemagne a souhaité appliquer à la zone euro l'équilibre décentralisé qui est appliqué aux Länder. Les Allemands considèrent que l'équilibre des comptes est un préalable à la croissance. L'Allemagne disposait à l'époque d'une robustesse impressionnante car elle avait bénéficié de l'amélioration de ses échanges  avec l'Asie. C'est ce qui lui a donné un pouvoir de négociation majeur. Les autres pays de la zone étaient beaucoup plus fragiles sur le plan économique et n'avaient pas la capacité de contrebalancer la puissance allemande.

Une fois que la mécanique a été lancée et acceptée et soutenue par Bruxelles il était difficile de faire machine arrière.

Gérard Thoris :Il reste que l’Allemagne a oublié sa propre histoire et, en particulier, cette obligation de rembourser les dégâts causés par son armée principalement sur le territoire français. Le slogan « l’Allemagne paiera » est devenu « la Grèce paiera » et il serait surprenant que l’un et l’autre ne se terminent pas de la même  façon, par le moratoire Hoover (1932) et, espérons-le, par le moratoire Draghi (2014 ?) !

La remise en cause des politiques d'austérité signifie-t-elle pour autant qu'il faut opérer un virage keynésien ?

Philippe Waechter : On revient à la question initiale. A court terme la croissance traduit la dynamique de la demande. Pendant les fortes périodes d'incertitude, le consommateur et l'entrepreneur ne voulaient pas dépenser. Le consommateur n'était pas rassuré par le profil du marché du travail et par les ajustements fiscaux à l'œuvre. Le chef d'entreprise, ne sachant pas très bien l'orientation qui serait prise par l'activité, restait prudent dans ses investissements. En d'autres termes, la demande privée a chuté un peu partout en Europe. Comme le commerce mondial progressait peu, il n'y avait pas d'échappatoire via une reprise des exportations. Dès lors, la politique d'austérité, qui s'est traduite par un ralentissement ou une baisse de la demande publique, a engendré la récession. L'absence de demande privée, la faible hausse des exportations et la réduction des dépenses publiques sont les ingrédients de la récession qu'a connue la zone Euro ces deux dernières années. En effet la demande adressée aux entreprises a diminué provoquant le repli de l'activité et de l'emploi. Pas étonnant que les pays ayant mis en place des politiques d'austérité se soient retrouvés en récession profonde.

C'est cette problématique qui a été posée depuis l'été 2011 et qu'il faut absolument infléchir. Les signaux de stabilisation constatés récemment dans les enquêtes ne doivent pas être un blanc-seing pour accentuer l'austérité, bien au contraire.

Aujourd'hui le mal est fait, il faut désormais que les gouvernements définissent un cadre institutionnel, fiscal, règlementaire qui soit perçu comme suffisamment stable pour que les entreprises aient l'incitation d'investir et de s'engager dans la durée. C'est cela l'enjeu aujourd'hui. L'économie de la zone Euro, de la France ne retrouvera une allure durablement haussière que lorsque l'investissement repartira. Si ce n'est pas le cas il faut s'attendre à vivre encore longtemps avec un chômage élevé.

Gérard Thoris : Il est intéressant de rappeler que la Théorie générale de Keynes ne comporte pas une seule ligne sur le remboursement de la dette publique. On serait donc en peine de s’appuyer sur celui dont le nom sert de justificatif à toutes les politiques de déficit budgétaire pour trouver une solution à une crise de dettes accumulées. Par contre, le même auteur ne peut manquer de signaler qu’un retournement de la politique de déficit budgétaire se traduira par une contraction de l’activité économique.

En fait, on se retrouve dans une situation paradoxale : l’accélérateur budgétaire ne répond plus ; les freins sont d’une efficacité redoutable. Précisément, le déficit budgétaire n’a plus d’impact significatif sur la reprise économique. Mais, parallèlement, la réduction du déficit est d’une efficacité redoutable en termes de récession. La solution, on l’a déjà dit, consiste à travailler sur le stock de dettes : en l’allégeant, on diminue mécaniquement le poids des intérêts ; on diminue d’autant les efforts d’assainissement.

Dans son rapport, le FMI encourage la France à «poursuivre les réformes structurelles pour soutenir le rebond de la demande privée et renforcer la compétitivité», appelant notamment le gouvernement français à réformer les retraites. Doit-on en déduire qu'il faut, malgré tout, poursuivre la diminution de la dépense publique ? En termes d'emplois, la rigueur (baisse des dépenses), pratiquée en Grèce ou en Espagne, a-t-elle eu des effets différents de l'austérité (hausse des impôts) ?  

Philippe Waechter : La question des réformes structurelles doit être différenciée de celle des finances publiques. La question de l'austérité a été évoquée plus haut et elle a pénalisé la demande adressée aux entreprises. Les réformes structurelles ont pour objectifs de changer les règles de fonctionnement de l'économie afin de faciliter l'allocation des ressources. On a vu dans la réforme du marché du travail que la logique avait changé. Dans une économie qui est devenu très concurrentielle avec des chocs technologiques permanents il faut que l'économie soit capable de s'adapter en continu afin de garantir l'autonomie de croissance du pays considéré. C'est cela l'enjeu des réformes structurelles, comment adapter le fonctionnement de l'économie a une situation qui change en permanence. Il faut en même temps définir le cadre que j'évoquais plus haut car les règles ne peuvent pas, ne doivent pas changer en permanence. De ce point de vue, la réforme sur les retraites sera un élément important. Sera-t-elle perçue comme réglant la question dans la durée ou ne sera-t-elle comme les réformes passées qu'une série de mesure à effets limités dans le temps.

Gérard Thoris : Il y a sans doute un message subliminal dans le rapport du FMI. Si le gouvernement est confronté à la crise des régimes de retraite, il devient chaque jour plus évident qu’il n’y aura pas de réforme, c’est-à-dire de forme nouvelle. On ne modifiera pas substantiellement les règles de fonctionnement des régimes de retraite. Par contre, en annonçant deux trimestres à l’avance que « la réforme des retraites sera douloureuse », le gouvernement laisse entendre qu’il choisira la hausse des cotisations et contributions sociales. Tête de file, un jour ou l’autre, de la Troïka qui prendra les rênes à Bercy, le FMI indique par avance que cette solution n’est pas acceptable.

Au fond, peut-on dire que les stratégies européennes de lutte contre la crise ont échoué parce qu'elles se sont basées sur un diagnostic erroné (crise budgétaire vs crise monétaire) ? Est-il encore possible d'inverser la tendance ?

Philippe Waechter : L'objectif aujourd'hui doit être de renforcer les institutions de la zone Euro afin d'éviter les drames observés ces dernières années. Il faut que ce renforcement soit perçu comme durable afin de réduire encore davantage l'incertitude et faire de telle sorte que la zone Euro ne soit plus un sujet de discussion.

Les éléments de reprise qui s'observent doivent inciter les gouvernements à accompagner le mouvement afin qu'il puisse s'accélérer. Cela passe par une moindre pression sur la réduction rapide des déficits publics comme le suggère le FMI. La dette publique se réduira alors avec la croissance. C'est un point important mais pas l'élément majeur. Le facteur le plus marquant est que se donner la possibilité de voir la croissance s'accélérer permettra surtout de créer des emplois dans la durée. C'est cela qui est important et qui est le cœur de la politique économique.

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