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De l'Egypte à la Tunisie en passant par la Syrie, les révolutionnaires arabes entrent en guerre contre les islamistes
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Troisième round

Les pays arabes, secoués par une troisième phase révolutionnaire, sont plus que jamais coupés en deux camps irrémédiablement opposés et prêts à en découdre. Les risques de guerres civiles s'amplifient.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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La première phase des révolutions arabes a commencé avec les appels des jeunes révolutionnaires laïcs - libéraux ou progressistes - à faire tomber les dictateurs, via les réseaux sociaux et les manifestations de masse. La seconde phase a été caractérisée par la victoire des islamistes plus ou moins convertis à la démocratie, du moins là où les élections libres ont eu lieu, puis par la confiscation de la révolution par les Frères musulmans, décidés à se tailler des constitutions et des lois sur mesure pour rester indéfiniment au pouvoir. Depuis, leur cynisme consistant à ne voir dans la démocratie qu’un moyen au service de l’islamisation politique est apparu au grand jour. Leurs dérives autoritaires et leur mépris pour les minorités et leurs opposants n’ont déjà plus rien à envier aux anciens dictateurs qu’ils combattaient il y a peu. La troisième phase de la révolution arabe a donc commencé en Tunisie et en Egypte, lors des manifestations de millions de jeunes blogueurs, membres de partis progressistes, libéraux, nationalistes laïcs ou de gauche, sans oublier les syndicalistes et les associations de femmes, etc. décidés à en finir avec la tyrannie islamiste et sa corruption. Cette phase a déjà fait des centaines de morts en Egypte, où l’armée a utilisé la méthode forte pour mettre fin au joug des Frères musulmans, dont les partisans sont eux aussi en partie prêts à en découdre. Ils sont aujourd’hui certes victimes d’un coup d’Etat qui bafoue leur victoire électorale indéniable, mais leur tort est de n’avoir pas compris qu’en démocratie, les minorités politiques doivent également être considérées et que l’on ne peut combattre les dictateurs laïcs si l’on utilise les mêmes méthodes tyranniques et répressives au nom de l’islam. Quant à la Tunisie, les islamistes les plus radicaux, qui se savent menacés politiquement par les forces laïques mais qui sont couverts par le parti islamiste Ennahda au pouvoir, ont éliminé physiquement le troisième leader anti-islamiste du pays (et non pas le deuxième comme le dit la presse depuis deux jours) , Mohamed Brahmi, tué de 14 balles en pleine tête par un salafiste franco-tunisien, ceci après l’assassinat de Chokri Belaïd, lui aussi de gauche et laïc, et Lofti Naguedh, proche du mouvement nationaliste laïc néo-bourguibiste Nidda Tounès.

Du califat islamique au califat-sultanat ottoman

La coïncidence des manifestations en Tunisie et en Égypte n’est pas un hasard. Et on peut même faire le lien, ceteris paribus, avec ce qui s’est passé en Turquie (certes, pays non arabe), dont le parti islamiste au pouvoir, l’AKP, a beaucoup inspiré les Frères musulmans égyptiens, marocains et tunisiens. Comme en Tunisie ou en Egypte, en Turquie, les manifestants laïques de tous bords, gauchistes, partis d’extrême-droite, nationalistes kémalistes, étudiants, écolos, Kurdes, Arméniens, etc. que seul le rejet du fascisme islamique unissait, se sentent de plus en plus menacés dans leurs libertés par les pseudo démocrates islamistes. Ils ont appelé à la chute du Premier ministre Erdogan, qui a dû renoncer à ses mégalomaniaques projets architecturaux et néo-ottomans. Certes, comme ailleurs, les forces “laïques” ou plutôt anti-islamistes (car la laïcité à la française n’existe dans aucun pays arabes) demeurent pour l’heure électoralement minoritaires. Mais elles s’organisent et risquent de peser plus dans le futur. Elles assument de plus en plus leur rôle de contre-pouvoir.  En Egypte, la situation est différente du point de vue institutionnel, puisque l’armée a repris les choses en main, ce qui n’est pas (ou plus) le cas en Turquie (pour l’heure) ou en Tunisie (quoi que...). Au Caire, aucun accord ne semble plus possible entre civils et militaires anti-Morsi d’un coté puis islamistes pro-Morsi de l’autre. Dans ces trois pays emblématiques de la guerre civile larvée qui oppose de plus en plus islamistes et anti-islamistes, on retrouve grosso modo, comme dans nombre de pays arabes et musulmans, deux modèles de société qui s’affrontent de manière totale. De ce point de vue, la Syrie n’est que l’illustration la plus caricaturale de ce paradigme. Mais là aussi, ce sont ces deux modèles qui s’affrontent totalement et de plus en plus violemment. Mais au-delà de la dénonciation morale légitime de la dictature bassiste du régime de Bachar Al-Assad, il est indéniable que les rebelles les plus anti-islamistes, comme les Alaouites et les autres minorités, craignent le pouvoir théocratique sunnite que promettent les Frères de façon soft et les salafistes de façon radicale. Un avant-gout terrifiant de ce que serait ou sera une Syrie gouvernée par les adeptes du califat a été été donné ces dernières semaines par la série d’assassinats barbares commis par les rebelles barbus au nom du Jihad et de la Charia... .

Tamarod ou la vague de rébellion anti-islamiste

Depuis la chute du président Morsi en Egypte, une vague anti-islamiste semble gagner nombre de pays arabes, dont les populations ont voté massivement en faveur des islamistes, mais en ont été plus que déçues après moins de deux ans de leur règne. En Tunisie comme ailleurs, les opposants anti-islamistes s’inspirent du Tamarod égyptien (la "rébellion"). Longtemps démodé et détrôné par les islamistes, qui promettaient justice, pureté et prospérité, le vieux nationalisme arabe, qui a pendant des années contenu l’islamisme politique par la dictature militaire ou l’autoritarisme, réapparait étrangement dans les slogans des révolutionnaires du “troisième round” qui manifestent en Tunisie, à Bahreïn, au Caire ou même en Syrie, c’est-à-dire dans ce dernier cas avant même que les islamistes aient pris le pouvoir. Il ne faudrait pas sous-estimer ce phénomène et ne le réduire qu’à des résurgences d’autoritarisme dont les “gentils” islamistes frères-musulmans seraient les premières victimes comme on le pense souvent en Europe ou aux Etats-Unis. Car partout, le but de ces rebelles anti-Frères musulmans est surtout de faire aboutir des révolutions progressistes et laïques et d’empêcher les islamistes de les confisquer. Or nombre de laïcs et libéraux qui ont cru que les islamistes acceptant le jeu électoral se comporteraient bien et se sont alliés à eux contre les anciens dictateurs militaires se sont sentis trompés et sont aujourd’hui tentés de faire le calcul inverse... Comme on l’a vu en Egypte, où ils ont carrément appelé l’armée à faire tomber Morsi et les Frères. Les islamistes radiaux, terroristes ou "démocrates", ont donc perdu une bonne partie de la légitimité qu’ils avaient acquise jadis face aux dictateurs qui les persécutaient. En Tunisie, les opposants au gouvernement Ennahda - qui ne cesse de reporter la rédaction de la Constitution et réprime ou fait même tuer ses opposants - les milliers de manifestants n’hésitent plus à les taxer les islamistes de "fascistes-islamistes", appellation que la presse occidentale a souvent assimilé à de “l’islamophobie”, mais qui est utilisée depuis toujours par les intellectuels arabes de gauche laïque, à bien des égards plus courageux que leurs homologues européens capitulards et prêts à collaborer avec le “fascisme vert” face à l’Etat bourgeois occidental honni.

La Syrie et la Libye ne sont pas en reste

En Syrie, avant même d’arriver au pouvoir, les islamistes suscitent déjà contre eux une immense réaction de rejet qui incite même une partie de la population et des opposants au régime les plus laïcs à préférer Assad aux rebelles barbus. Ce type de réaction, de plus en plus courante en Syrie, a été observée après que l’un des groupes rebelles islamo-salafistes, les "Soldats du califat islamique", a commis des atrocités dans la province de Khan al-Assal, à l'Ouest de Homs, massacrant plus de 150 soldats et civils et jetant leurs corps mutilés dans une fosse commune... Partout en Syrie comme ailleurs, les terroristes verts voulant imposer la Charia par la terreur et financés par les émirs du Golfe sont désormais détestés par la population qui resserre de plus en plus les rangs derrière Bachar et son armée. En Egypte, des millions de citoyens ont répondu à l'appel du "Front révolutionnaire du 30 juin" et du chef de l'armée, le général Abdel Fattah el-Sissi, pour dénoncer le terrorisme islamiste. La mobilisation fut incroyable dans toutes les grandes villes du pays. Les affrontements ont fait des dizaines de morts et de blessés. Révélant une fois de plus son visage totalitaire, le célèbre prédicateur des Frères musulmans, Youssef Qaradaoui, a violemment attaqué le grand cheikh d'Al-Azar, Ahmad al-Tayyeb, ce qui a choqué le Conseil supérieur des oulémas, qui a dénoncé ses appels à la violence. Et l'armée égyptienne poursuit l’opération "tempête du désert" dans le Sinaï, visant à éradiquer les jihadistes qui s’en sont pris aux forces de l’ordre et aux chrétiens. De Tunis au Caire, en passant par le Yémen ou la Syrie, des portraits d'anciens dirigeants nationalistes arabes comme Gamal Abdel Nasser ou Bourguiba sont brandis, comme Atätürk chez les manifestants de place Taksim. Signe qui ne trompe pas, en Tunisie, des notables de Sidi Bouzid, ville natale du leader anti-islamiste Mohamed Brahmi, tué récemment et berceau de la Révolution du jasmin (qui renversa le régime de Ben Ali en 2011) ont créé un conseil municipal autonome "jusqu'à la chute du pouvoir" des Frères musulmans… et 52 députés ont annoncé leur retrait de l'Assemblée nationale constituante (ANC), appelant à dissoudre la Constituante et à former un gouvernement de Salut national. Même la Libye voisine est touchée par cette vague anti-islamiste : des milliers de Libyens ont protesté contre le joug des milices des Frères musulmans, après une série d'assassinats ayant visé des militants anti-islamistes et deux officiers de l'armée, abattus le 26 juillet à Benghazi, peu après l'assassinat d'un avocat et militant politique de renom Abdelsalam Al-Mosmary, qui dénonçait la présence des milices armées islamistes.

L’histoire s’accélère donc. La révolution arabe n’est pas terminée.Les islamistes n’étaient-ils qu’une parenthèse ? Il est difficile de le dire. Mais ce qui est nouveau, c’est que les islamistes ont perdu une grande partie de leur popularité et de leur légitimité initiales. Dès qu’ils gouvernent, ces populistes obscurantistes qui promettaient justice, prospérité et liberté ont déjà rompu toutes leur promesses et déçu nombre de leurs électeurs. Maintenant, les risques de guerres civiles sont plus forts que jamais. Car le camp islamiste étant moins important, quoi que souvent encore majoritaire, mais réduit à son noyau dur combattif et plus déterminé, les pays arabes traversés par ce “troisième round” révolutionnaire sont plus que jamais coupés en deux camps irrémédiablement opposés et prêts à en découdre, car la victoire de l’un signifie la mort de l’autre… Les manifestants pro-Morsi seront-ils plus nombreux dans les rues égyptiennes dans les jours à venir? Ce n’est pas certain. Mais le nombre de morts risque d’être encore plus élevé, et l’armée, soutenue par l’essentiel des forces laïques, progressistes et libérales, a prévenu qu’elle ne ferait pas de pitié...

A lire, du même auteur :Le dilemme turc : Ou les vrais enjeux de la candidature d'Ankara(Editions des Syrtes). Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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