Comment la France aurait pu empêcher l'invasion de la Pologne par l'Allemagne en 1939 (et donc la Seconde Guerre mondiale)<!-- --> | Atlantico.fr
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"L'invasion de la Pologne [...] est une opération militaire entreprise le 1er septembre 1939 par le Allemagne et la Tchécoslovaquie, puis l'URSS."
"L'invasion de la Pologne [...] est une opération militaire entreprise le 1er septembre 1939 par le Allemagne et la Tchécoslovaquie, puis l'URSS."
©DR

Bonnes feuilles

Pendant 10 ans, un Allemand dont le frère occupait les plus hautes fonctions dans l'armée du IIIe Reich a livré à la France les informations les plus secrètes sur le réarmement de l'Allemagne, la réoccupation de la Rhénanie et les plans de conquête de l'Europe. Extrait de "Notre espion chez Hitler" (1/2).

Paul  Paillole

Paul Paillole

Ancien chef du contre-espionnage français, le colonel Paul Paillole est le fondateur de l'Association des anciens des services spéciaux de la défense nationale. Il est également l'auteur de Services Spéciaux, 1935-1945 (Robert Laffont, 1975) et a, par ses ouvrages, contribué à l'essor de la recherche sur le renseignement en France.

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Depuis son affectation à la tête de la Forschungsstelle de Templin, Schmidt ne rejoint son domicile àKetschendorf que de temps à autre. Le trajet dure plus d’une heure par la route. Par contre, il va presque chaque jour à Berlin rendre compte Schillerstrasse de son travail. Il est considérable. Au lendemain du rapt de la Tchécoslovaquie, son patron, le prince Christophe vonHessen, est venu visiter son poste, préciser ses missions et déterminer avec lui les personnels et les moyens matériels supplémentaires qui lui sont indispensables.

Ainsi avons-nous appris au début d’avril 1939 qu’une priorité absolue était donnée aux interceptions diplomatiques téléphoniques et radios de la Pologne, de la France et de l’Angleterre.H.E. nous faisait remarquer en même temps l’absence insolite de l’URSS dans cette énumération. Résultats de la visite de Hesse,Templin était doté en mai 1939 de nouveaux matériels d’écoute, d’enregistrement et surtout de machines à décrypter118. Celles-ci, produites par la firme Siemens, avaient été testées et mises au point à la station d’essais du Forschungsamt de Glienicke près de Berlin. La mise en service de ces matériels sophistiqués réjouissait Schmidt.Depuis fin avril 1939, son poste éprouvait les pires difficultés pour capter les messages diffusés par les Anglais en système multicanaux (Mehrkanalsystem), c’est-à-dire par émission de plusieurs messages sur la même fréquence. Il signalait en même temps que l’emploi récent de nouveaux codes diplomatiques par les Anglais et les Français compliquait sérieusement la tâche de ses décrypteurs.

– Tiens, tiens ! s’était écrié Schlesser, tout joyeux en prenant connaissance de cette dernière information.

Il était rentré de Rome depuis quelques jours et évoquait pour moi ses interventions au palais Farnèse:

– Il a fallu mettre les pieds dans le plat pour parvenir à changer les codes. J’ai eu beaucoup de mal à convaincre nos diplomates et surtout notre attaché naval, que leurs coffres étaient visités et pillés.

Avec sa maîtrise et sa détermination habituelles, Schlesser avait réussi à faire la démonstration d’une visite nocturne de notre ambassade par les Italiens. Depuis 1928, le portierBoccabella119 en facilitait l’accès aux agents du S.I.M. (S.R. italien). Il leur donnait les moyens de reproduire les clés des coffres en prenant habilement les empreintes des serrures. Les représentations diplomatiques de Grande-Bretagne et des U.S.A. étaient logées à la même enseigne.Négligeant la plus élémentaire prudence,Américains,Anglais et Français persistaient à embaucher une majorité de personnel étranger. Bons alliés, les Italiens fournissaient au Forschungsamt par le truchement de l’Abwehr les codes ainsi volés. Nous commentions cette situation pénible qui semblait redressée aumoins pour un temps, lorsque Perruche fit irruption. Il venait de recevoir une lettre de Schmidt. Elle était alarmante. Les 3 et 11 avril, l’État-Major de Hitler (l’O.K.W.) avait diffusé aux commandements des armées de terre, de l’air et de mer des directives secrètes pour que soient étudiées les conditions d’une action militaire contre la Pologne120. Il était demandé des réponses pour le 1er mai 1939. Le 3 mai, le Führer avait convoqué plusieurs généraux de confiance, dont le général Rudolf Schmidt, pour préciser ses intentions en fonction des études des États-Majors remises le 1er mai. Le 12 mai, l’O.K.W. avait fait part des observations de Hitler aux commandants des armées et fixé les zones d’opérations à prévoir.

– C’est le plan du 5 novembre 1937 qui est en route, avait conclu Perruche.

– Est-ce que vos agents de pénétration dans l’Abwehr vous donnent des indications qui confirment une action sur la Pologne? J’avais répondu par l’affirmative et rappelé le rush de la propagande des nazis pour convaincre l’opinion française des bonnes intentions du IIIeReich: «…La seule ambition de l’Allemagne est de récupérer à l’Est ses nationaux et ses territoires. Son seul ennemi est le communisme… » Le 27mai 1939, nouvelle lettre deH.E.Rivet en résume l’essentiel à la réunion hebdomadaire des chefs de service : le 23 mai, Hitler a réuni Goering, Raeder, Keitel, Brauchitsch, Milch. Le frère de Schmidt a eu les échos de cette conférence: la Pologne sera attaquée dès que l’occasion se présentera, au besoin on la fera surgir. Dantzig servira de prétexte. Il faut isoler la Pologne. Si l’Angleterre décide d’intervenir, ce sera la guerre. Il faudra occuper les Pays-Bas… Nous écoutons gravement.Nous savons les garanties accordées à la Pologne par l’Angleterre aprèsMunich.Celamalgré son impréparation à un conflit immédiat.

Nous avons mesuré chaque jour l’écart qui s’aggrave au bénéfice de l’Allemagne entre nos forcesmilitaires et les siennes.

– Cette fois, c’est bien la guerre,murmure le patron.

–Oui,mais quand?

La réponse,H.E. va nous la donner. Le journal de bord de Rivet en tire la conclusion; brutale dans sa concision. 9 juin 1939: «…Lettre deH.E.: attention à la fin août!» Le même jour le patron part pour Londres où le chef adjoint de l’I.S.,Menzies, l’a appelé. Il est accompagné deNavarre pour le S.R. et du commandant Brun pour le C. E. Il s’agit d’ajuster nosmoyens pour faire face en commun au drame qui se prépare. ÀParis, l’attachémilitaire polonais est prévenu de l’imminence du danger. Le 14 juin 1939, le général Gauché, chef du 2eBureau de l’État- Major de l’armée, alerte leCommandement et leGouvernement. Sa note, trop prudente àmon gré, reproduit et commente l’essentiel de la lettre deH.E. J’en reproduis ci-après l’intégralité du texte:

État-Major de l’armée 2e Bureau N° 1153 Paris, le 14 juin1939

TRÈS SECRET NOTE DE RENSEIGNEMENTS

Les renseignements recueillis au cours de la semaine du 5 au 12 juin 1939 sur l’évolution possible de la situation confirment l’éventualité d’une crise prochaine.Un renseignement d’excellente source annonce la possibilité d’une nouvelle tension pour le mois d’août. D’après cet informateur, si d’ici la fin du mois d’août, il n’est pas intervenu de solution pacifique aux problèmes internationaux en cours, l’Allemagne, après avoir épuisé toutes les possibilités de négociation, cherchera à régler la question polonaise quelle que soit l’attitude adoptée par les autres puissances. Il s’agirait, pour le Reich, d’obtenir la restitution non seulement de Dantzig,mais encore des anciennes provinces de Posen et de Prusse-Orientale. À cet effet, desmesuresmilitaires seraient prises dès l’été: deux divisions blindées et une division légère doivent être renforcées et dirigées dès le 20 août sur le camp de Neuhammer (Silésie, 55 kilomètres S.-O. de Glogau). Ce renseignement présente un intérêt particulier, car c’est grâce à une indication de cette nature qu’il a été possible de suivre pas à pas la concentration allemande de septembre 1938!

Aux questions du général Colson, chef d’état-major de l’armée impressionné par l’extrême gravité de cette note et cherchant à savoir le crédit à lui accorder, Gauché va répondre verbalement par le plus bel éloge que l’on puisse faire de la qualité et de l’efficacité d’un informateur: «…Nous nous trouvons aujourd’hui, comme l’année dernière à propos des Sudètes, devant la forme de travail la plus parfaite que le 2eBureau puisse souhaiter. Il n’est pas humainement possible d’approcher la vérité de plus près121…» J’apprécie ce propos,mais, je le répète, je déplore la rédaction trop prudente de la note de Gauché. Je dois une explication, ne serait-ce qu’en raison de l’estime respectueuse que l’ancien chef du 2eBureau m’a toujours inspirée. Sa conception élevée de sa mission, son honnêteté intellectuelle ne sont nullement en cause. Ce qui est en cause, c’est le principe même de l’exploitation du renseignement tel qu’il était conçu, tel qu’il l’est encore, sans doute, aujourd’hui. La question mérite que l’on s’y arrête et que l’on tire une leçon. Dans l’expression verbale de la confiance qu’il accorde à notre informateur, Gauché est on ne peut plus net: «…Il n’est pas possible, humainement, d’approcher la vérité de plus près…» Dans la relation écrite du renseignement, le chef du 2eBureau est plus nuancé. Il use de formules qui ne peuvent qu’affaiblir sa force de conviction.H.E. écrit: «…La Pologne sera attaquée»…«attention à la fin août». Gauché, prudent, annonce au Commandement: «… La possibilité d’une tension pour le mois d’août…»C’est grave!Vidé peu à peu de sa meilleure substance par une hiérarchie d’autant plus pusillanime qu’elle approche du sommet, le renseignement le plus sûr ne devient plus qu’une information parmi d’autres. Bonne affaire pour un pouvoir expert en esquives, avare de décisions,malentendant pour ce qui ne va pas dans le sens qu’il souhaite.

Ce renseignement du 9 juin 1939, parce qu’il émanait de H.E., nous le pensions « explosif » ; de nature à provoquer des réactions immédiates. En fait ce ne sera que le 23 août 1939 – deux mois et demi plus tard, trop tard sans nul doute – que le pouvoir semblera avoir pris conscience de l’inéluctabilité et de l’imminence du drame qui engage la France.

Extrait de "Notre espion chez Hitler", Paul Paillole, (Nouveau monde éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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