Com’ de clash : pris à partie par une habitante de Trappes, l'élève Valls dépasse le maître Sarkozy <!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l’Intérieur a souvent été comparé à Nicolas Sarkozy.
Le ministre de l’Intérieur a souvent été comparé à Nicolas Sarkozy.
©Reuters

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Alors qu'il se rendait à Trappes où des violences ont éclaté ces derniers jours, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls a eu un vif échange avec une jeune femme particulièrement remontée ce qui n'est pas sans rappeler le passage de Nicolas Sarkozy au même poste.

Christian Delporte et Arnaud Mercier

Christian Delporte et Arnaud Mercier

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et et directeur de la revue Le Temps des médias. Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Arnaud Mercier est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Université de Lorraine, Metz, responsable de l’Observatoire du webjournalisme (http://obsweb.net) au sein du CREM et chercheur associé au Laboratoire Communication et Politique (LCP) du CNRS. Il est l'auteur de La communication politique (CNRS Editions, 2008) et Le journalisme(CNRS Editions, 2009), Médias et opinion publique (CNRS éditions, 2012).

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En déplacement lundi à Trappes après les violences urbaines de ce week-end, Manuel Valls a été interpellé par une habitante en colère. Devant les caméras, le ministre de l’Intérieur n’a pas hésité à répondre de manière très directe à son interlocutrice.

Atlantico : Comment analysez-vous cette séquence en termes de communication politique ? Manuel Valls fait-il passer un vrai message ou tombe-t-il dans les travers de la politique spectacle ?

Arnaud Mercier : Manuel Valls sait quand il répond à cette dame avec de forts accents de fermeté, qu’il est filmé. Il ignore si les télévisions garderont ou non au montage cette altercation, mais il joue le jeu de la médiatisation et se met en scène dans un rôle de gardien de l’ordre et de la République grâce à cette femme qui lui offre sur un plateau une répartie facile, puisque ses attaques sont assez grossières.

Christian Delporte : La vidéo n’étant pas centrée sur Manuel Valls, mais sur l’habitante de Trappes vers laquelle sont braqués aussi les micros, on retient surtout le ton et les propos employés par le ministre de l’Intérieur, marqués à la fois par la courtoisie et la fermeté. Il reste très calme, évite d’être entraîné par un emballement de l’échange qui lui serait préjudiciable, donne du "chère madame", mais ne cède rien sur le fond, c’est-à-dire le respect de l’ordre, de la loi et la défense des policiers. Après tout, c’est ce qu’on attend d’un ministre de l’Intérieur, qu’il soit de gauche ou de droite. C’est lui, aussi, qui met fin à la conversation, et le regard qu’il jette à la caméra lorsqu’il part est éloquent sur l’agacement contenu qu’il a ressenti. Cette séquence est plutôt positive pour lui, parce que conforme à l’image qu’il souhaite donner de lui-même : un homme de dialogue, de conviction mais également pourvu d’autorité.  

Le ministre de l’Intérieur a souvent été comparé à Nicolas Sarkozy. Comme l’ancien président de la République, il n’hésite pas à aller au contact de la population. Manuel Valls est-il le meilleur élève de Nicolas Sarkozy au moins sur la forme ? Qu’en est-il du fond ?

Arnaud Mercier : Il paraît évident que Manuel Valls a en tête la façon dont Nicolas Sarkozy s’est construit une image de présidentiable et d’homme politique crédible grâce à son titre de ministre de l’Intérieur. Même s’il ne faut pas oublier que dans l’histoire de la gauche et des partis républicains il y a aussi des figures qui se sont fait connaître pour leur fermeté à la tête de ce ministère, songeons évidemment à Georges Clemenceau (dont M. Valls arbore un portrait dans son bureau de la place Beauvau) ou le socialiste Jules Moch, briseur des grandes grèves ouvrières de 1947. Dans sa façon d’afficher fermeté et soutien à l’action de la police, dans ses nombreux et spectaculaires déplacements sur le terrain, il est un héritier du style Sarkozy, c’est sûr. Sur le fond, il affiche une moindre obsession pour les résultats chiffrés, même s’ils persistent, et il tient des propos plus conciliants et moins clivants, ce qui était une des marques de fabrique de Nicolas Sarkozy. Sinon il est trop tôt pour tirer un vrai bilan de l’action de M. Valls.

Christian Delporte : Le "premier flic de France" qui va sur le terrain et médiatise son passage, cela ne date pas de Sarkozy : Clemenceau, homme politique mais aussi homme de presse, avait su en son temps attirer à lui les journalistes, à une époque où il n’y avait ni micros ni caméras. Il y a déjà plus d’un siècle, le Tigre avait déjà compris la nécessité de mettre en scène son action pour lui donner un maximum d’effet et, au passage, nourrir son image ! C’est vrai que, sur la forme, il y a plus d’un point commun entre Sarkozy et Valls : un discours qui bouscule son propre camp, l’affichage des valeurs de volonté et d’action, le choix d’un ministère réputé ingrat mais qui, en période d’inquiétude collective, peut s’avérer être un tremplin pour de plus grandes ambitions.

L’image de fermeté de l’un comme de l’autre a été ou est aujourd’hui récompensée par la popularité dans les sondages. Faire de Valls l’élève de Sarkozy est réducteur : le ministre de l’Intérieur n’a pas attendu d’arriver place Beauvau pour faire de la sécurité une question centrale à gauche, ce qui lui a longtemps valu les lazzis de son propre camp. Sa mairie d’Evry a été, à cet égard, comme un laboratoire. Qu’on le considère comme un "Sarkozy de gauche" ne doit pas lui déplaire, même s’il s’en défend. Mais il s’efforce aussi d’affirmer sa personnalité et de s’en démarquer. L’échange avec l’habitante de Trappes aurait pu susciter, sous le coup de l’énervement, des paroles à l’emporte-pièce. Son assaut de courtoisie à son égard montre qu’il en a mesuré le risque.


Ces images rappellent celles de la venue de Nicolas Sarkozy à la Courneuve lorsqu’il était lui-même ministre de l’Intérieur. Près de 10 ans plus tard, les images sont presque identiques : cela traduit-il finalement l’échec des politiques face à la situation des quartiers difficiles ?

Arnaud Mercier : Il est indéniable que depuis les années 1980, en dépit de multiples politiques dites de la ville, d’agitation en tous sens des gouvernants, tous les résultats promis sont loin d’être au rendez-vous. Les quartiers dits sensibles, sont restés pour certains des zones de relégation, avec le sentiment que certains lieux sont ou à peu près, des zones de non-droit. Les zones de sécurité prioritaires créées par Manuels Valls semblent apporter une esquisse de réponse à ce phénomène, même si beaucoup pense que la solution n’est que de façade, car où bien la délinquance chassée d’un lieu s’est déplacée ailleurs, ou bien elle reprendra dans le temps, une fois que la pression policière se sera relâchée.

Christian Delporte : Pourquoi 10 ans ? L’échec est plus ancien et, à vrai dire, pas propre à la France. Quant aux images, elles sont les mêmes, car délinquants comme responsables publics utilisent, chacun à leur manière, l’impact médiatique des images. Au spectacle de la mise en scène des voitures brûlées succède le spectacle des hommes politiques qui se rendent sur place pour délivrer un message de fermeté. La différence, c’est que plus personne ne minimise la situation, même si les solutions offertes peuvent diverger et que, depuis quelques années, les médias donnent la parole aux habitants des quartiers difficiles. Depuis 30 ans, on évoque la ghettoïsation des banlieues et le fameux "plan Marshall" censé résoudre tous les problèmes. Mais ce qu’on n’a pas résolu en période de relative prospérité peut-il trouver sa solution en temps de crise ? Un événement chassant l’autre, on oubliera rapidement Trappes jusqu’à ce que pareil incident ressurgisse ailleurs…

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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