Masochisme du déclin : le pessimisme des Français sur l’avenir de leur pays pourrait finir par coûter cher<!-- --> | Atlantico.fr
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Les difficultés que connaissent les couches sociales modestes en matière d’emploi et de salaire sont particulièrement anxiogènes.
Les difficultés que connaissent les couches sociales modestes en matière d’emploi et de salaire sont particulièrement anxiogènes.
©Reuters

Bonnes feuilles

Alors que la France conserve de réels atouts qui font sa force et parfois son originalité, les thèses "déclinistes" pointent des fragilités qu'il serait absurde de nier. Extrait de "Le déclin français : mythe ou réalité ?" (2/2).

Alain  Chaffel

Alain Chaffel

Alain Chaffel est agrégé, Docteur en histoire et Professeur de chaire supérieure en classe préparatoire.

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La France a finalement beaucoup changé et progressé. Le fameux « modèle » français n’a cessé de se transformer. Mais le plus surprenant est qu’une écrasante majorité de nos concitoyens se déclarent « heureux ou plutôt heureux de la vie » (Ipsos). Ils ne sont pas majoritairement inquiets pour euxmêmes mais pour l’état du pays. Comment expliquer un tel paradoxe ? Une majorité de Français pensent que la mondialisation menace nos entreprises et notre modèle social. L’essor des pays émergents, qui s’accompagne mécaniquement d’un déclin relatif de la position de la France dans le monde, est source d’angoisse. Le terrain perdu dans l’innovation ou les nouvelles technologies et la compétition mondiale qui laisse sur le bord du chemin les plus faibles offrent un terreau propice au sentiment de décadence, d’autant que nos concitoyens font moins confiance à la construction européenne – engluée dans ses difficultés et ses divisions − pour résister et pour affronter la concurrence.

La situation des Français issus de l’immigration la plus récente, qui sont marginalisés et peu représentatifs politiquement, explique la crise des quartiers sensibles. Plus généralement, les difficultés que connaissent les couches sociales modestes en matière d’emploi et de salaire sont particulièrement anxiogènes. Mais une autre peur, celle du déclassement social, préoccupe de plus en plus les classes moyennes. Une partie de la jeunesse est persuadée de ne plus pouvoir atteindre le niveau de vie de leurs parents… et ces derniers partagent cet avis. Enfin, les menaces qui pèsent sur la protection sociale, avec des zones rurales qui manquent de médecins et des dépassements d’honoraires excessifs, sont source d’inquiétudes. 15 % de la population n’ont plus les moyens de se soigner correctement et d’autres peuvent se sentir concernés dans un avenir proche.

Le sentiment de déclin peut aussi révéler un mal-être plus profond, voire une crise des valeurs nationales complexe à analyser. L’historien polonais Bronislaw Geremek estimait avant la crise que les Français étaient dominés par une « mauvaise conscience » et la « culpabilité », car les inégalités sociales augmentaient dans un pays dont le modèle républicain prône « l’égalité et la fraternité ». Inversement, Claude Hagège, professeur au Collège de France, voyait dans le discours sur la décadence un effet de mode lié au triomphe de l’idéologie libérale. Ne pas suivre le modèle en vogue était, disait-il, perçu comme une régression.

Il est probable aussi que la fin des grands rêves collectifs agit sur le désenchantement. Le « grand soir » et les « lendemains qui chantent » ont disparu de l’imaginaire national. L’alternance entre la gauche et la droite n’est plus considérée comme une véritable alternative. Selon le politologue Pascal Perrineau, ce nouveau regard sur la vie politique, entamé dans les années 1980, n’a cessé de s’amplifier depuis. La défiance envers le système politique est devenue gigantesque. Les Français ont le sentiment que le pouvoir est accaparé par une petite élite qui s’autoreproduit. Ils constatent que le discours politique porte surtout sur les efforts à faire sans proposer un nouveau projet collectif. Notre société serait globalement dominée par la « défiance et l’indifférence à l’autre », selon les économistes Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg, défiance qui « détruit le lien social », aussi bien à l’école qui favorise un « élitisme forcené » que dans l’univers professionnel « hiérarchisé à l’extrême ». Ce manque de confiance serait un facteur d’angoisse et de mal-être. La défiance serait au coeur du pessimisme français. Il semble enfin que le malaise peut s’expliquer par le refus d’assumer les mutations du monde et les profondes transformations d’un « modèle français » largement idéalisé. Le sentiment de déclin fait en effet référence à un « âge d’or » et à une grandeur passée qui n’ont en réalité jamais existé. Le pessimisme français est donc difficile à analyser, car il mélange des éléments objectifs et subjectifs parfois contradictoires.

Certes, « le bonheur régresse ou stagne dans toutes les sociétés riches », comme le rappelle Daniel Cohen. Dans tous les pays, « c’est moins le niveau absolu du revenu que sa valeur relative qui explique le bien-être pour la majorité de la population ». Toutes les études montrent que « notre bien-être diminue quand nos voisins deviennent plus riches » (Algan, Cahuc, Zylberberg). Mais, le pessimisme français bat des records. Or, selon Claude Hagège, cette « image masochiste du déclin » pourrait, si l’on n’y prend garde, avoir de redoutables effets pervers « en cas de déclin avéré ».

Extrait de "Le déclin français : mythe ou réalité", Alain Chaffel, (Edition Bréal), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici



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