Comment les agriculteurs en sont venus à lâcher le ministre qu’ils s’étaient pourtant choisi <!-- --> | Atlantico.fr
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Stéphane Le Foll déçoit les agriculteurs.
Stéphane Le Foll déçoit les agriculteurs.
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Déception

Une délégation de représentants d'organisations agricoles rencontre aujourd'hui le président de la République. Au programme : un tour d'horizon de la conjoncture et des grandes thématiques du monde agricole. Mais ce rendez-vous se tient dans un climat tendu entre la profession et son ministre, Stéphane Le Foll, qui, en un an, fait quasiment l'unanimité contre lui parmi les professionnels.

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WikiAgri est un pôle multimédia agricole composé d’un magazine trimestriel et d’un site internet avec sa newsletter d’information. Il a pour philosophie de partager, avec les agriculteurs, les informations et les réflexions sur l’agriculture. Les articles partagés sur Atlantico sont accessibles au grand public, d'autres informations plus spécialisées figurent sur wikiagri.fr

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Même si différentes études ou sondages positionnent la corporation agricole comme étant plus à droite qu’à gauche, Stéphane Le Foll a été plutôt bien accueilli à son arrivée au ministère de l’Agriculture, en juin 2012. Au moment de l’avènement de François Hollande, la FNSEA, syndicat majoritaire chez les agriculteurs, a vite fait son choix. Plutôt que de se mettre d’emblée dans une opposition stérile, et pour 5 ans, mieux valait obtenir que soit nommé un ministre qui comprenne les enjeux agricoles, et avec lequel il serait possible de discuter. Deux noms ont circulé alors, ceux de Germinal Peiro et de Stéphane Le Foll. La FNSEA a finalement choisi, dans son lobbying, de soutenir Stéphane Le Foll, ce qui fut suivi d’effet. Mieux, lors des législatives qui ont suivi, le blog agricole du Figaro publie que la FNSEA aurait donné un mot d’ordre de vote en faveur de Stéphane Le Foll dans la Sarthe. Ce dernier s’est effectivement fait élire, avec une certaine marge. Est-ce grâce à cela ? Difficile de répondre…

Dans un premier temps, le nouveau ministre de l’Agriculture, en lançant le concept d’agro-écologie, a rencontré un écho favorable auprès de la population agricole. Celle-ci était en effet plutôt heureuse de voir que l’on cessait de la stigmatiser sur le thème de "l’agriculteur pollueur". Avec une image environnementale assumée par le ministre, la reconnaissance était espérée. Les premières semaines correspondant à un échange cordial, la FNSEA a même gagné un ticket d’entrée pour la conférence sociale.

Vient ensuite la période électorale. Electorale pour l’agriculture, plus précisément pour les Chambres d’agriculture. Et, donc, jusqu’à fin janvier 2013, pas question du moindre couac, Stéphane Le Foll mène aux yeux de la FNSEA une bonne politique grâce au contact entretenu avec la représentation agricole…

Mais depuis, le regard a changé. Il n’y a plus besoin de se justifier électoralement d’avoir contribué à mettre en place un ministre qui ne fait pas l’affaire et, petit à petit, les langues se délient. Principal reproche, le fait que Stéphane Le Foll soit relativement éloigné de ses dossiers agricoles. On entend désormais des agriculteurs dire "nous aurions besoin d’un ministre à plein temps". Les rumeurs circulent : le ministre quitterait son ministère tous les soirs avant 18 heures pour rentrer plus tôt chez lui dans la Sarthe, il aurait commencé sa carrière professionnelle en tant que pion dans un lycée et y aurait appris à ne rien faire… La presse a publié que Stéphane Le Foll serait très occupé à travailler pour un "cabinet noir" anti-Sarkozy… Ce qu’il dément. Et puis, le 20 juin, Xavier Beulin (président de la FNSEA) en personne sonne la charge publiquement dans une interview donnée sur Europe 1 : "Nous attendons que Stéphane Le Foll soit peut-être un peu plus impliqué sur la sphère agricole..."

Depuis, le "réseau" a compris. Les FDSEA (les divisions départementales du syndicat national FNSEA) une à une manifestent l’une pour le prix du lait en Bretagne, l’autre en Ile-de-France contre une mauvaise conduite des négociations sur la Politique agricole commune… Avec, à chaque fois, une pancarte qui, au passage, demande la démission du ministre. Exemple : cette banderole déployée à Paris sur le pont Alexandre III (à mi chemin entre l’Elysée et le ministère de l’Agriculture) avec comme mention "environnement, agriculture, tous dans le même Batho".

Apparemment plus nuancé, Xavier Beulin n’en est pas moins tranchant dans ses interventions. Il a ainsi demandé récemment au président de la République la possibilité de renégocier une partie des aides Pac d’une certaine manière autorisée pour les États (n’entrons pas dans ces détails, techniquement compliqués, ce n’est pas l’objet de cet article)… Mais pourquoi au président de la République et pas au ministre de l’Agriculture, officiellement en charge du dossier ?

Au-delà d’un éventuel dilettantisme sur les dossiers, les reproches adressés par la profession agricole au ministre deviennent chaque jour plus précis. L’agro-écologie qui redore le blason des paysans, on aimait bien, mais les petites phrases de Stéphane Le Foll dans le style "J’ai demandé à ce que nous passions à l’agro-écologie" – sous-entendant que sans lui les agriculteurs n’auraient jamais perçu l’intérêt de cet effort environnemental – elles, ne passent pas. Les agriculteurs considèrent venir d’eux-mêmes à des pratiques plus environnementales, et n’apprécient pas cette récupération politique. Et même "pire", cela se retourne parfois contre ses intentions avec des phrases dans le style de : "Ces efforts, nous les avons entrepris dans le cadre du Grenelle de l’environnement, on ne fait que les poursuivre" entendues lors de la manifestation en faveur de l’élevage qui s’est déroulée à Paris le dimanche 23 juin. Le Grenelle de l’environnement… qui date du précédent gouvernement !

Aujourd’hui, nous sommes à la veille d’au moins deux échéances cruciales pour l’agriculture française, avec des négociations qui s’annoncent houleuses. La première concerne la loi sur l’avenir de l’agriculture française, nouvelle loi agricole dont le contenu doit être discuté cet automne. Déjà, cette loi, elle est née d’un gag, d’une phrase prononcée par Jean-Marc Ayrault lors de l’un de ses tout premiers discours, qui avait sans doute ainsi souhaité ne pas oublier la corporation agricole. Sauf que personne n’était au courant de cette saillie venue uniquement de l’auteur du discours en question, et qu’il a fallu ensuite plancher sur un contenu à donner cette loi. Encore aujourd’hui (le 18 juillet 2013, NDLR), vous ne trouverez rien dessus sur la page d'accueil du site internet du ministère de l’Agriculture, pas même un lien discret vous permettant d’aller plus loin pour en savoir plus. Tout se fait en sous-marin. Et déjà, du côté du syndicat majoritaire, mais aussi de la Coordination rurale (arrivée deuxième lors des dernières élections professionnelles), on se languit d’être aussi peu consultés, à l’inverse de la Confédération paysanne, visiblement très considérée en regard de sa représentation.

La seconde échéance est l’ouverture du débat sur la déclinaison que l’on veut donner en France à la Politique agricole commune 2014-2020, qui vient d’être votée au niveau européen. En effet, la subsidiarité y est importante, comprenez qu’il reste encore beaucoup d’aspects à trancher au niveau des États, à l’intérieur d’un cadre européen volontairement très général. Or, il est désormais acquis pour tout le monde (sauf, encore, par le gouvernement et en particulier son ministre de l’Agriculture) qu’il va manquer près de 6 milliards d’euros sur les sept prochaines années à la ferme France (comme WikiAgri et Atlantico l’annonçaient dès fin février). Avec ainsi près de 14% de budget en moins, les arbitrages franco-français prennent des allures parfois dramatiques. Le rééquilibrage souhaité en faveur de l’élevage ne lui apportera en définitive guère plus de crédits supplémentaires : un pourcentage plus élevé d’un gâteau plus petit, pour finalement revenir à la même part. Un exemple précis : le plafond des ICHN (indemnités compensatrices au handicap naturel, comprenez les aides spécifiques aux éleveurs de montagne, qui ont des rendements plus faibles du fait des pentes, d’où ce soutien particulier) est relevé de 300 à 450€ par exploitation, mais l’enveloppe globale qui leur est dévolue n’augmente pas. Alors comment fera-t-on pour arriver jusqu’au nouveau plafond ? Et pour les céréaliers, qui font face par ailleurs à un retournement de marché (le blé est repassé en-dessous de 200€ la tonne), les pertes vont franchement être importantes.

De fait, chacun tire la couverture à soi pour conserver la part la moins médiocre qui soit de la Pac… Et tout cela, dit on aujourd’hui ouvertement parmi les agriculteurs, parce qu’un certain ministre de l’Agriculture n’a pas su défendre la part du budget impartie à la France…

Cet article est publié simultanément sur Wikiagri

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