Belgique : la crise politique qui se cache derrière l’abdication apparemment "paisible" d’Albert II<!-- --> | Atlantico.fr
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C'est aujourd'hui qu'est couronné Philippe, le nouveau roi des Belges, suite à l'annonce de l'abdication de son père Albert II
C'est aujourd'hui qu'est couronné Philippe, le nouveau roi des Belges, suite à l'annonce de l'abdication de son père Albert II
©REUTERS/Pascal Rossignol

Transition

C'est aujourd'hui qu'est couronné Philippe, le nouveau roi des Belges, suite à l'annonce de l'abdication de son père Albert II il y a trois semaines. Mais les raisons de santé avancées ne suffisent pas à expliquer sa volonté soudaine de passer la main à un nouveau souverain sur lequel pèsent beaucoup de doutes et d'interrogations.

Alain  Destexhe

Alain Destexhe

Alain Destexhe est député belge,  ex sénateur, initiateur de la commission d'enquête du Sénat belge sur le génocide du Rwanda. Il a également été secrétaire général de Médecins Sans Frontières et est l'auteur de Le mouvement flamand expliqué aux francophones (ed. La Renaissance du livre).

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Atlantico : Albert II qui avait annoncé le 3 juillet dernier qu'il laissait le trône à son fils Philippe, transmet le témoin aujourd'hui et la Belgique se découvre un nouveau roi. Albert II avait annoncé que des ennuis de santé et ses 79 ans motivaient sa décision soudaine. Est-ce une explication crédible, ou est-ce que cette décision obéissait aussi à des logiques politiques ? 

Alain Detsexhe : Les problèmes de santé sont réels, Albert II est un homme fatigué qui a beaucoup travaillé pour la Belgique. Mais il y a aussi des raisons politiques. La personnalité de Philippe est controversée surtout au nord du pays chez les Flamands. Il y a des interrogations sur sa capacité à assurer la fonction royale, il n'est pas aussi populaire que la famille royale au Pays-Bas ou en Angleterre. Réservé, peu à l'aise, il a souvent des phrases malheureuses et des positions mal comprises. On envisageait même que ce pourrait être sa sœur Astrid qui monte sur le trône et pas lui...  

Pour l'instant, le gouvernement en Belgique reste dominé par les trois grandes familles politiques – les socialistes, les démocrates-chrétiens et les libéraux – ce qui représente six partis (puisque chacune des familles est représentée à la fois par un parti francophone et un parti néerlandophone). Et ces six partis sont tous en faveur de la monarchie. Mais, au nord du pays, le N-VA (le Nieuw-Vlaamse Alliantie) le principal parti qui est nationaliste flamand se retrouve entre 35% et 40% dans les sondages. Or, il est officiellement républicain et veut la fin de la monarchie. Politiquement, il était donc plus facile d'assurer une transition maintenant avec des partis qui sont favorable au système monarchique et qui accepte que Philippe monte sur trône, plutôt que d'attendre 2014, où des élections (nationales et européennes) se tiennent et où une nouvelle donne politique, très incertaine, peut arriver.  

Pourquoi cette abdication s'est-elle faite maintenant précisément, et aussi rapidement ? Les problèmes politiques se sont-ils accélérées récemment pour justifier cette hâte ?

La N-VA est très haut dans les sondage, entre 35% et 40% donc. Il faut bien comprendre que dans le système politique belge, très morcelé, de tels chiffres dans la communauté flamande, c'est énorme. Il y a donc une crainte très forte par rapport à ces perspectives. Autre problème que vit la royauté actuellement : le roi est dans le collimateur de tous les journaux car celle qui semble être sa fille naturelle, Delphine Boël, demande une reconnaissance de la part du souverain belge. Elle a d'ailleurs intenté un procès en ce sens, et le roi Albert II, maintenant qu'il a quitté le trône, pourrait se voir imposer un test de paternité. 

Ce moment était donc le dernier possible, avant les échéances électorales de 2014, où une telle transmission pouvait se faire sans entraîner de débats politiques majeurs. Les chambres parlementaires sont dissoutes pour l'été, et les parlementaires reviendront seulement le deuxième mardi d'octobre. Les opposants à la royauté ne peuvent donc pas lancer de débats, les choses ont donc pu se passer en douceur. 

Le roi Albert II a été un pivot pendant la grave crise politique qui a secoué la Belgique en 2010-2011. Son départ, conjuguée à la personnalité très contestée de Philippe, ne va-t-il pas relancer les divisions dans le pays ? 

Le pari que tout le monde fait, c'est que Philippe soit à la hauteur de la fonction. Le roi est avant tout un symbole et n'a pas – hors situation de crise – un rôle politique réel. Certes il signe les lois et nomment les ministres, mais il pèse très peu sur le jeu politique quotidien. Le seul moment où son rôle est important, c'est après les élections ou il nomme un "informateur" – un homme politique de premier plan chargé de mener des consultations avec tous les partis politiques pour dégager une majorité – puis ensuite un "formateur" qui est en général le futur Premier ministre pour former un gouvernement. Dans la crise de 2010-2011 il y a eu au moins sept ou huit "informateurs", et là le roi a joué un vrai rôle, ce qui lui était permis par son statut un peu en-dehors du débat public. Toute la question est de savoir si Philippe pourrait assumer cette fonction correctement si la situation se présentait. Clairement, la question se pose.

Si les formations politiques républicaines continuent leur ascension – et dans le cas où Philippe ne se montrerait pas à la hauteur, la monarchie pourrait-elle menacée ? Pourrait-elle être réduite à un rôle strictement protocolaire, voir même disparaître ?

La monarchie est déjà remise en cause par le plus important parti flamand, ce qui est déjà considérable.  Ce dernier a cependant fait profil bas durant cette période, car le score très élevé que ce parti réalise indique qu'il rassemble en fait au-delà des seuls nationalistes flamands, et qu'il compte même probablement parmi ses électeurs des sympathisants de la monarchie. 

Par contre, il faut quand même se rappeler que la monarchie belge est quelque chose de stable et d'ancien. La monarchie en Belgique existe depuis 1830. En France, depuis la même période des régimes très différents se sont succédé. On parle toujours de la "fragilité de la Belgique" mais quand elle a été créée en 1830, l'Allemagne, l'Italie ou la Pologne n'existaient pas. L'unité du pays a encore de beaux restes, et la monarchie s'est enracinée. De France, on voit trop la Belgique comme un état fragile et artificiel, mais il y a en Belgique un vrai sentiment national, surtout au sud du pays. On voit dans les rue du Bruxelles de nombreux drapeaux belges, en tout cas beaucoup plus que de drapeaux français un 14 juillet à Paris.

Enfin il ne faut pas oublier que la Belgique est un état fondateur de l'Union européenne et que si le pays explose pour évoluer vers le séparatisme, ce serait tout le modèle européen qui serait remis en question. Comment en effet construire une Europe à 28 et plus si l'on n'est même pas capable de construire une Belgique à deux ?

Propos recueillis par Damien Durand

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