Acquittement du meurtrier d’un jeune noir américain : le procès Zimmerman rouvre les plaies d’un racisme que beaucoup d’Américains pensaient derrière eux<!-- --> | Atlantico.fr
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Manifestation contre l'acquittement de George Zimmerman dans le procès Trayvon Martin, à Los Angeles en Californie.
Manifestation contre l'acquittement de George Zimmerman dans le procès Trayvon Martin, à Los Angeles en Californie.
©Reuters

Le feu aux poudres

Suite à l’acquittement de George Zimmerman qui avait tué un jeune noir américain non armé en 2012, l'opinion publique américaine s'est de nouveau insurgée contre ce qu'elle considère comme une justice à deux vitesses. Une situation qui remet en question la capacité des États-Unis à être en paix avec leur histoire.

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


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Atlantico : Un Noir tué par un blanc qui se défend en invoquant la très controversée loi du "Stand your ground" ; un jury entièrement composé de personnes blanches : tous les éléments étaient-ils réunis pour que l’affaire Martin-Zimmerman soit explosive ?

François Durpaire : On y trouve en effet du racial, du port d’arme et du "Stand your ground", ce qui n'est pas pour simplifier les débats. Il faut démêler les différents éléments de l’affaire. La question qui se pose aux Etats-Unis est d’abord raciale : si Trayvon Martin avait été blanc, serait-il mort ? Deuxième question : s’il avait été blanc et tué, son assassin aurait-il été acquitté ? Celles-ci se posent aux Américains de manière réelle : dans la classe politique, plus personne ne tient de discours pouvant être perçu comme raciste, en revanche, dans la réalité des relations interraciales, ce procès fait tomber de haut un certain nombre d’Américains qui pensaient que la question raciale était derrière eux. Lorsque les policiers qui avaient tabassé Rodney King à Los Angeles ont été acquittés le 29 avril 1992, le débat n’existait pas : tout simplement, des Noirs considéraient qu’ils subissaient une justice raciste de blancs.

Une autre question qui se pose dans cette affaire est celle de la légitimité de la loi floridienne, "Stand your ground", qui permet un grand laxisme en matière de légitime défense. La "jurée B37" a fait rebondir l’affaire sur CNN, en disant avoir souhaité condamner George Zimmerman, mais ne pas avoir pu au regard de cette loi instaurée en 2005 par Jeb Bush. On assiste donc à un phénomène de "poupées russes" des différents problèmes américains qui s’articulent autour de ce procès.

Immédiatement après les faits, le motif racial s’est imposé dans l’opinion publique, notamment via les réseaux sociaux. Le débat n’aurait-il pas pu s’en tenir au questionnement de la légitimité du "Stand your ground" ? Pourquoi ?

"Stand your ground" est sans doute l’un des éléments de l’affaire, mais souvent, lorsqu’un accident se produit, bien d’autres choses entrent en compte. Or, dans ce que beaucoup considèrent comme une catastrophe judiciaire - y compris l’un des jurés, ce qui est très rare – et même si l’adolescent qui a été tué avait été blanc, fût-il en capuche, beaucoup d’Américains toutes couleurs confondues répondent qu’il y a effectivement une part d'ordre racial. Les plus militants parlent de racisme, ceux qui le sont moins emploient le mot "racial". Et cette loi floridienne qui empêche la condamnation ne peut être envisagée indépendamment de toute considération raciale. Pour autant, les manifestations ne sont pas des émeutes comme celles de 1992. Les arguments rencontrés sont beaucoup plus subtils et variés qu'à l’époque.

Parmi les réactions au verdict, le réalisateur Michael Moore a sous-entendu que si le meurtrier avait été noir, et la victime blanche, le premier n’aurait pas bénéficié de la même clémence. En constituant le jury uniquement de personnes de couleur blanche,  la justice a-t-elle commis une maladresse ?

Dans l’histoire des Etats-Unis, on est toujours très sensible à la composition des jurys. En 1992, il était aussi composé exclusivement de blancs. La France aime à se considérer comme un pays universel avec ses droits ; aux Etats-Unis l’universalité s’incarne dans les personnes : noirs, blancs, hispaniques… Quand un jury est composé intégralement de blancs, la plupart du temps vient un résultat qui n’est pas le même que lorsqu’il est constitué de blancs et de noirs.

Le révérend Jesse Jackson a également cité le cas de Marissa Alexander, une dame qui avait été condamnée à 20 ans de prison. Elle n’avait pourtant tué personne, elle s’était contentée d’un tir de sommation contre son mari qui la menaçait. Jesse Jackson a ainsi soulevé la question du deux poids, deux mesures dans le fonctionnement de la justice américaine. A partir de quand est-on en état de légitime défense ? L’intervention de la famille de Trayvon Martin est parlante : "que doivent faire nos enfants lorsqu’ils se promènent dans une banlieue résidentielle ? Marcher lentement, ou au contraire plus rapidement ?" Trayvon n’était pas un cambrioleur, il était simplement "le fils de quelqu’un qui rentrait chez lui", pour reprendre l’expression de sa mère.

La position du ministère de la Justice pose aussi question dans cette affaire, car une enquête sera suivie d’un procès fédéral pour crime contre les droits civiques. Obama a dit qu’il n’interviendrait pas, néanmoins l’opinion publique attend la décision au tournant. Il est vrai que cela réveille une des guerres culturelles des Etats-Unis, qui se recoupe avec d’autres. Car les réflexions autour de la légitime défense, de la question raciale et du port d’arme ne sont pas antinomiques.  Celles-ci découpent le pays entre une Amérique libérale (progressiste pour nous Européens) et une Amérique conservatrice. Nombre de personnalités ont d'ailleurs manifesté leur soutien à la famille Martin, ou bien ont dit, tel Steve Wonder, qu’ils ne mettraient pas les pieds en Floride tant que cette loi n'était pas abrogée.

L’émoi général provoqué par cette affaire révèle-t-il que les Etats-Unis ne sont toujours pas en paix avec leur passé ségrégationniste ?

Oui et non. Le fait que l’affaire soit en une de toute la presse révèle que l’Amérique n’a pas encore dépassé la question des relations interraciales, mais dans le même temps le caractère pacifique et multiracial des manifestions et des débats de société met en exergue une évolution du pays.Il serait erroné de considérer que l’affaire Trayvon Martin constitue un continuum de l’histoire américaine, et il serait également faux de penser que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Des problèmes persistent, mais leur appréciation a changé : les émeutes de Los Angeles avaient tout de même fait 55 morts, 200 blessés et des destructions à plusieurs millions de dollars. Et c’était il y a 20 ans.


Propos recueillis par Gilles Boutin

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