Finance et catholicisme : qu'est-ce qu'un péché financier ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’objectif des princificats opérationnels est de lutter contre les structures de péché financier.
L’objectif des princificats opérationnels est de lutter contre les structures de péché financier.
©Reuters

Bonnes feuilles

Il existe bien, à notre époque, de multiples acteurs, activités et principes éthiques financiers qui relèvent du catholicisme. Le point avec un extrait de "Finance catholique" (2/2).

Antoine R. Cuny De La Verriere

Antoine R. Cuny De La Verriere

Antoine R. Cuny De La Verriere est docteur en Droit et fondateur de l'Observatoire de Finance Chrétienne - Christian Finance Observatory (OFCCFO).

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L’objectif des princificats opérationnels est de lutter contre les structures de péché financier. Au regard des abus révélés par la crise financière des subprimes, et des dénonciations qui ont été faites, et par ailleurs, sur la base de la DEE, et des autres principes financiers présentés dans la présente partie, nous pouvons établir la liste, la plus exhaustive possible, des actes ou comportements financiers considérés comme nuisibles et non vertueux.

Liste récapitulative des structures de péché financier : 

1. l’instabilité des prix due à la spéculation ;

2. les déséquilibres de rémunération ;

3. le recours excessif à l’endettement ;

4. la marchandisation des travailleurs ;

5. le court-termisme ;

6. la perte de vue des réalités économiques réelles, de la rareté, de la productivité ;

7. le mauvais partage des profits ;

8. l’anonymat et la déresponsabilisation des investisseurs ;

9. les paradis fiscaux et les mécanismes de défiscalisation ;

10. les effets néfastes sur l’environnement ;

11. le manque de transparence.

Les « sept princificats opérationnels »

Nous avons pu déduire, sur la base de la méthode de transcription morale-financière, sept règles ou sept princificats opérationnels :prohibition du court-termisme (2.1.1.) ; prohibition des investissements non vertueux (2.1.2.) ; obligation de privilégier l’épargne vertueuse (2.1.3.) ; prohibition des profits injustes (2.1.4.) ; obligation de partage des profits (2.1.5.) ; obligation de transparence (2.1.6.) ; obligation d’exemplarité financière (2.1.7.).

2.1.1. Prohibition du court-termisme

Planification des décisions d’investissement pour investir à moyen/long terme. Sur la base de la vertu de force, il peut être déduit une obligation de planification des décisions d’investissement dont le corollaire est la condamnation des investissements à court terme et donc de la réaction aux moins-values latentes : en clair, il ne faut pas vendre de façon précipitée son portefeuille parce que le cours d’une valeur aurait soudain chuté. Des investissements à court terme dans le but unique de réaliser un profit peuvent correspondre au péché de cupidité.

Limite : marché interbancaire. Dans certains cas, les transactions à court terme sont nécessaires pour se procurer des liquidités à court terme ou placer les fonds faute de meilleurs placements. Les banques européennes, notamment, se refinancent sur le marché interbancaire qui est un marché monétaire (à court terme). La finance contemporaine prévoit aussi la possibilité de déposer des fonds le temps de quelques jours auprès des banques centrales, voire pendant une nuit (crédits intra-journaliers). Ce système a un effet stabilisant qui semble vertueux à certains égards.

2.1.2. Prohibition des investissements non vertueux

a) Non vertueux en raison de leur objet

Objet vertueux de l’investissement. Il faut éviter d’investir dans les secteurs suivants : industrie de l’armement, la pornographie, le tabac, les activités qui contreviennent aux droits de l’Homme et au droit du travail, l’IVG. S’agissant du secteur nucléaire, la question paraît plus controversée dans la mesure où cette industrie permet de limiter les rejets de carbone. De façon générale, ce principe résulte de l’objectif de servir le Bien Commun4 et de subvenir aux besoins essentiels de l’homme. Investissements locaux. Il faut privilégier les investissements dans les petites structures (PME) et la participation plutôt que dans les grandes entités (multinationales, Etats). Cela résulte du principe de subsidiarité.

b) Non vertueux en raison de leurs effets

Prohibition de la spéculation excessive. Toutes les formes de spéculation ne sont pas néfastes à l’économie. De façon générale, la spéculation est néfaste si elle aboutit à générer des bulles, c’est-à dire des prix trop élevés ou trop faibles en comparaison de la valeur réelle de l’actif, et qui est source d’instabilité financière (p. ex. spéculation sur la monnaie) ou de rupture de l’accès à ces actifs pour des populations pauvres (p. ex. spéculation haussière sur les denrées alimentaires). On peut se référer au péché de fraude dans les achats et les ventes, et au principe de destination universel des biens. Spéculation vertueuse et non vertueuse. La spéculation peut être vertueuse si elle consiste à spéculer à la baisse sur des valeurs non vertueuses, et à la hausse sur des valeurs vertueuses. A l’inverse la spéculation est non vertueuse si elle consiste à spéculer à la hausse sur des valeurs non vertueuses et à la baisse sur des valeurs vertueuses.

Spéculation sans effet réel. Si la spéculation consiste à négocier des contrats financiers (produits dérivés) sans que cela ait d’effets sur la valeur sous-jacente, dès lors, les effets de cette activité ne peuvent être considérés comme néfastes à l’économie, mais comme constituant un jeu de hasard bilatéral. Ce sera le cas, si et seulement si, les produits de spéculation dérivés n’ont pas d’effets sur la valeur sous-jacente, c’est-à-dire sans effet collatéral (p. ex. produits dérivés sur un indice) et que ces activités spéculatives ne constituent pas une activité professionnelle (non productive).

c) Non vertueux en raison de leur cause

Planification et conseil. A partir de la vertu de force, et de la gestion effective de la peur, il peut être déduit un principe de planification des décisions d’investissement. Ce principe de planification des investissements peut résulter aussi de la vertu de prudence : avant de prendre une décision d’investissement, il faut avoir fait appel à des conseils et analyses financières qui doivent être prudents. Corollaire : condamnation des placements automatiques. Les robots de négociation, paramétrés pour prendre des décisions d’achat-vente à la place d’humains, nécessairement moins rapides et soumis à des biais cognitifs, déshumanisent la finance. Cette déshumanisation intervient au moins à deux niveaux : celui de la société investie puisque sa valeur est résumée par le robot à des paramètres quantitatifs ; celui du négociateur de titres lui-même, qui est mis en concurrence avec une machine plus performante. Elle peut porter atteinte à la dignité de l’homme et du travailleur et entraîner une rupture de la finance avec l’économie réelle.

2.1.3. Obligation de privilégier l’épargne vertueuse

Condamnation de la thésaurisation. Pour les réformés et les musulmans, l’épargne n’est vertueuse qu’à condition de ne pas thésauriser. Il est donc distingué entre une « épargne vertueuse » consistant à économiser de la monnaie pour subvenir à ses besoins sociaux et pour rembourser ses dettes, et une « épargne peccamineuse » (la thésaurisation) consistant à accumuler de la monnaie pour en tirer un profit ou par absence d’un meilleur emploi. Ce principe semble conforme à la DEE.

Condamnation de l’endettement excessif. Le recours à la dette peut conduire à une aliénation matérielle, « un esclavage humiliant », contraire au principe de dignité et qui s’assimile à une forme d’usure. On retrouve aussi ce principe clairement identifié dans plusieurs princifires laïcs.

2.1.4. Prohibition des profits injustes

Usure. Le principe de prohibition des intérêts excessifs demeure d’actualité mais ne doit toutefois pas concerner les intérêts justes qui sont permis. Par ailleurs, des intérêts peuvent être stipulés entre personnes de confession catholique. Rappelons que l’usure est un vice contraire à la vertu de justice.

Rendements excessifs. De façon plus générale, les rendements exigés et perçus ne doivent pas être disproportionnés en comparaison de la valeur produite réellement, telle qu’elle résulte du travail. La finance ne doit pas aspirer toutes les richesses aux dépens de l’économie de production. Les profits financiers encaissés qui seraient supérieurs aux profits réellement produits par l’entreprise investie doivent être prohibés et le surplus indûment perçu doit être restitué à l’entreprise investie. Un rendement excessif peut correspondre au péché de vol. Ce principe résulte plus largement du principe de primauté du travail sur le capital et de la dignité des travailleurs.

2.1.5. Obligation de partage des profits

Payer les impôts. Les mécanismes d’optimisation fiscale ne doivent pas aboutir à une neutralisation des impôts nécessaires à l’intérêt général d’une société. Les mécanismes qui dévient du droit chemin relèvent du péché d’astuce. Aussi, le recours aux paradis fiscaux (offshore) est prohibé.

Salaires justes. Il faut aussi que parmi les salariés, les salaires soient justement répartis au regard de la valeur produite par l’entreprise. A ce sujet, l’Église valorise plus les métiers de production et de création que ceux de gestion humaine (supervision) ou d’échange de produits ou services (commerciaux, négociation). Des salaires trop élevés peuvent relever du péché de prodigalité et porter atteinte à la dignité du travailleur.

Solidarité sociale. Les bénéfices perçus par les investisseurs doivent pour partie être redistribués au profit des plus nécessiteux de son pays ou de pays tiers, notamment, afin de permettre l’harmonie entre les classes sociales. L’absence de solidarité peut correspondre au péché d’avarice, tandis que la solidarité correspond à la vertu de charité. Le principe de solidarité est au centre de la doctrine sociale de l’Église.

Partage des risques? Il ne ressort pas des principes financiers analysés d’obligation de partage des risques, ceci contrairement à la finance islamique, dans la mesure où un risque peut être mis totalement à la charge d’une partie, si elle est correctement informée et indemnisée en contrepartie.

2.1.6. Obligation de transparence

Transparence sur les prix et les risques. Il faut de la transparence sur l’origine du prix, sur l’origine de la rentabilité, sur les risques induits et, si ces risques ont été transférés, sur les mécanismes de transfert des risques. La tromperie peut correspondre au péché d’astuce, mais généralement l’honnêteté correspond à la vertu de tempérance.

Transparence sur le financier. Il faut aussi de la transparence sur l’acteur financier (banque dépositaire, agent, vendeur,...) et sur son profit au regard de la transaction.

Transparence sur l’investisseur. L’anonymat est dénoncé comme une cause de la déresponsabilisation des acteurs financiers. Il convient donc de privilégier les investissements dans les instruments financiers nominatifs, qui établissent un lien de confiance direct avec l’entreprise investie et réduisent l’aléa moral.

2.1.7. Obligation d’exemplarité financière

Constitution d’un code éthique financier. L’Église a dénoncé le manque de formation éthique des acteurs financiers. Cela peut se traduire notamment par une charte éthique ou un code déontologique au profit des salariés, des clients, voire des enfants. Dénonciation des activités financières non vertueuses. Les investisseurs, les entreprises investies, les tiers, doivent dénoncer les comportements et activités financières qui ne sont pas vertueux. Cela peut se traduire, par exemple, par des comportements exemplaires, des discours voire des publications d’articles faisant l’apologie des vertus et dénonçant les abus. Cette obligation découle de la vertu de charité, notamment de la vertu de correction fraternelle.

Extrait de "Finance catholique, au fondement de la finance éthique et solidaire", Antoine R. Cuny De La Verriere (EMS éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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