Trop, c'est trop !
Comment vit-on son été quand on habite une région ultra touristique?
Pendant la période estivale, certaines régions françaises connaissent un afflux de touristes qui peut venir perturber la tranquillité des habitants.
Pierre Chazaud
Pierre Chazaud est professeur des Universités à Lyon I. Il a notamment écrit Management du tourisme et des sports de pleine nature aux Editions PUS – Voiron 2004). Son dernier ouvrage est bilingue français / anglais Itinéraire spirituel aux Editions Mandala Toulaud (2013).
Atlantico : Certaines régions françaises sont prises d’assaut par les touristes en été. Cet afflux de population modifie-t-il le comportement des autochtones excédés ?
Pierre Chazaud : La France est encore la première puissance touristique mondiale. Il n’est pas sûr qu'elle ait véritablement intégré les dysfonctionnements de son propre modèle touristique.
Ce sont surtout dans les régions réceptrices que se posent des problèmes de surpopulation au moment des vacances. Certaines communes voient leur population multiplier par cinq ou dix pendant deux mois. Parmi les autochtones, il faut bien sûr établir une différence entre ceux qui bénéficient sur place des retombées financières du tourisme (hôteliers , restaurateurs ,clubs , boîtes de nuit …) et les autres, souvent des habitants subissant à proximité d’un tourisme de masse de multiples nuisances sans avoir les moyens matériels de les éviter. J’ai eu l’occasion de participer à des opérations anti-bruits mises en place par des communes touristiques au moment des vacances. L’incompréhension entre ces deux populations est parfois dramatique surtout pour des familles avec enfants .Face à ce phénomène, les élus restent impuissants
Quelles sont les nuisances que peuvent provoquer les touristes dans une ville ?
Les nuisances sont apparues surtout au moment où le modèle industriel a été appliqué à l’économie touristique. On a ainsi créé des espèces "d’usines à tourisme", qui correspondaient dans les années 1950 à 1980, à une massification des loisirs avec les différents Plans mis en œuvre par l’Etat français. Cette industrialisation progressive a provoqué de multiples dérives : pollution de l’eau, incivilités, accidents, exploitation des saisonniers qui vivent parfois dans des conditions précaires.
Mais cette notion de nuisance ne va pas être perçue de la même manière selon les acteurs en présence (professionnels, touristes, élus, habitants …). Elle est aussi en train d’évoluer en raison à la fois d’une prise de conscience écologique et aussi d’une espèce de re-spiritualisation du temps des vacances qui s’est mise en marche depuis quelques années. L’engouement pour tout ce qui est lié au ressourcement individuel sous toutes ses formes (remise en forme, tourisme de découverte, patrimonial, retour à la nature …) et aussi pour un "tourisme sur mesure" maîtrisé est de train de réduire certaines de ces dérives .
Est-ce que certains comportements extrêmes peuvent se développer : sentiment anti-touriste, refus de parler anglais... ?
Je pense qu’on assiste de plus en plus à une diversification des pratiques touristiques, pour tenter justement d’éviter de subir des nuisances devenues parfois insupportables. Une frange croissante de la population a tendance à s’auto-fabriquer comme un auto-entrepreneur son propre système de vacances, pour gérer au mieux tous les inconvénients liés à cette surchauffe touristique durant deux mois d’été et un mois d’hiverdans les stations. En effet, les populations locales, comme du reste paradoxalement les clients acceptent de moins en moins cette invasion touristique et ces excès, qui produisent avec elle un non respect du système de valeurs des habitants du cru et aussi un dérèglement des usages d’utilisation des espaces publics et privés Les touristes apportent en effet dans leurs bagages d’autres façons de vivre avec des exigences, une libération sexuelle, un anticonformisme, une indifférence religieuse, des ruptures générationnelles. Aujourd'hui, les vacances ne sont plus comme dans les années 1950- 1960 une forme de rencontre des populations locales avec la modernité
Au contraire dans ces régions, cet afflux de population peut-il être vécu comme une richesse et une opportunité à la fois économique et humaine ?
C’est tout l’enjeu d’un développement touristique harmonieux et équilibré. Dans les années des Trente Glorieuses, le tourisme est devenu une des clefs de l’aménagement du territoire, aussi bien dans les Alpes que sur le littoral du Languedoc. Mais cet aménagement n’a pas toujours été maîtrisé et a conduit souvent à un bétonnage de l’espace rural, transformé parfois en espace urbain
Historiquement, les vacances d’été et d’hiver ont été vécus comme celles des autres, celles des clients qui venaient dans des lieux touristiques, comme en pays conquis. La notion d’échange interculturel entre deux populations, celles des zones réceptives accueillant les urbains et péri-urbains déracinés est aujourd’hui un leurre, surtout depuis la fin de l’exode rural et l’avènement de la société de consommation. Les vacances ne sont plus en effet l’occasion de retrouver sa famille restée au pays. Les vacances sont devenus une période où on recherche du plaisir, pour jouir des loisirs mais plus rarement un moment de re-construction, de ré-enracinement et d’échanges.
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