Pourquoi les parents ont tant de mal à nourrir correctement leurs enfants<!-- --> | Atlantico.fr
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Faire manger 5 fruits et légumes par jour à ses enfants : certains parents en sont loin.
Faire manger 5 fruits et légumes par jour à ses enfants : certains parents en sont loin.
©Reuters

J'aime pô les épinards !

"Manger 5 fruits et légumes par jour" : un slogan maintes fois répété mais très peu respecté. Notre comportement face à l'alimentation et au repas a beaucoup évolué. Eléments de réponses face à nos mauvaises habitudes à table.

Catherine Grangeard et Jean-Louis Lambert

Catherine Grangeard et Jean-Louis Lambert

Catherine Grangeard est psychanalyste. Elle est l'auteur du livre "Comprendre l'obésité" chez Albin Michel, et de Obésité, le poids des mots, les maux du poids chez Calmann-Lévy.

Jean-Louis Lambert est sociologue et économiste, il étude l'évolution des pratiques alimentaires.

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Atlantico : Selon une enquête relayée par le Daily Mail, les mères admettent ne pas nourrir correctement leur famille : 42% d'entre elles ajoutent des légumes frais aux plats qu'elles cuisinent habituellement, 20% n'en mettent pas du tout et 30% ajoutent les même légumes pour chaque plat. Comment expliquer que malgré les campagnes à répétition "manger 5 fruits et légumes par jour", la réalité soit bien loin des indications des nutritionnistes ?

Jean-Louis Lambert : Tout d’abord il faut distinguer différents types de populations. Jusqu’à une période très récente, on considérait que manger plus de produits carnés (viande, fromage) était un signe de progrès. Il y a encore une partie de la population qui conserve cette image-là, même si sur le plan nutritionnel ce n’est pas le plus recommandé.

L’autre problème, ce sont les préférences des mangeurs : ils sont attirés vers les produits sucrés. C’est pour cela que contrairement aux fruits – appréciés car relativement sucrés – les légumes ont peu de succès auprès des enfants mais aussi des adultes. Ces préférences-là poussent à consommer d’autres produits d’origines végétales à base de féculent.

Catherine Grangeard : Ce qui domine dans la conception des repas, ce n’est pas uniquement les conseils des nutritionnistes, visiblement. Les habitudes sont certainement un des moteurs essentiels. Il y a des modèles qui viennent de l’enfance, le plus souvent. Ainsi on est toujours bien loin des indications actuelles des nutritionnistes. On se met à table, comme on a appris. On fait la cuisine en introduisant quelques nouveautés mais on ne part pas de rien, de nulle part. Les idées « santé » cohabitent avec d’autres facteurs. On ne peut ni s’en plaindre ni quoique ce soit, c’est ainsi. L’aspect culturel de la nutrition est extrêmement présent, de tous temps, il en a été ainsi.

On ne peut imaginer que les familles vont respecter les injonctions médicales car se nourrir ne repose pas uniquement sur des bases rationnelles, on n’est pas uniquement dans du fonctionnel. Les messages de prévention comme la campagne « 5 fruits… » dont vous parlez s’affrontent à ces résistances. Comment cuisiner ? C’est aussi une vraie question que se posent certaines personnes devant les étals des hypermarchés. Alors, il y a un repli sur quelques produits connus… Un déficit de savoir-faire s’oppose au respect de certaines règles nutritionnelles.

Dans quelle mesure nos sociétés modernes sont-elles responsables du phénomène de la mal-bouffe grandissant ?

Jean-Louis Lambert : Nous ne sommes plus à l’époque où nous allions cueillir nos fruits et nos légumes dans le jardin potager. Aujourd’hui, l’évolution des modes de vies nous pousse à acheter de façon hebdomadaire voire moins qu’hebdomadaire. Notre consommation de fruits et légumes frais baisse à cause de ce problème de fréquence d’achat. 

De plus, il y a la question de la préparation des aliments : est-ce qu’on prend le temps d’éplucher ou bien est-ce qu’on achète des produits déjà préparés ? Or depuis plusieurs dizaines d’années, il y a une offre grandissante de produits prêts à manger. Cette offre s’ajuste devant l’évolution des modes de vie et particulièrement des modalités de travail des femmes. L’organisation du travail des petits indépendants est en régression par rapport à l’organisation du travail sous forme de salariat. Alors que traditionnellement dans les petites unités de production familiale, la femme pouvait alterner sur le même lieu des activités domestiques et professionnelles, aujourd’hui, elle se trouve loin de son domicile et ne peut plus coordonner de la même façon les activités. Cela créer une indisponibilité spatio-temporelle qui fait que la femme cuisine moins. Car culturellement c’est encore les femmes qui sont considérées comme étant en charge de la nourriture, cela s’explique par la culture de la mère nourricière. Pour conjuguer tout cela, la solution la plus simple est d’acheter des produits relativement élaborés.

Au regard des statistiques, la consommation des fruits et légumes frais est en régression  : ils sont surtout consommés par des personnes âgées et les milieux ruraux. Cependant, en volume global, cette baisse n’est pas très nette si l’on intègre les fruits et légumes consommés sous des formes transformés (pizza, jus de fruit…)

Catherine Grangeard : Voici une des grandes nouveautés, on passe moins de temps à confectionner des repas et il s’en achètent beaucoup. Tous ces plats ne sont pas forcément de bonne qualité nutritionnelle et comme ils reviennent souvent sur les tables, cela finit par poser problème. Il est préférable de cuisiner soi-même, c’est aussi une des raisons pour lesquelles le « fait maison » est signe de bien recevoir. Mais, au quotidien, souvent le temps manque… Ou alors, les habitudes de cuisiner n’ont pas été transmises et alors c’est un savoir-faire qui est absent. Certaines cuisines sont si petites qu’il est bien difficile de s’y retourner, en ville. Alors, y mijoter le dîner… Nous voyons que l’addition de plusieurs facteurs peut faire basculer dans une malbouffe préjudiciable à la santé et l’une des conséquences est l’obésité.

Quels sont les moyens à mettre en place pour habituer sa famille, et plus particulièrement ses enfants à manger de tout ?

Catherine Grangeard : Popeye a beaucoup fait pour qu’une génération change de rapport aux fameux épinards… On valorise des aliments par des identifications. Les publicitaires en savent quelque chose ! Manger tel produit est associé à telle qualité. L’idée, c’est donc d’acquérir cette qualité en faisant comme dans la pub ! Il s’agit donc d’apprendre à décrypter les publicités pour ne pas être amené à se nourrir de ce qui est « vu à la télé »…

La diversité est essentielle afin de découvrir et peut-être apprécier. Le succès des émissions de télé-cuisine montre un appétit de découvrir des recettes, des façons de faire. Il y a une vraie envie de cela.

Quand on associe un bon moment à la nourriture, quand on joue à trouver de nouvelles recettes, de nouvelles façons d’accommoder les aliments, il y a fort à parier que la palette s’élargira. On sort du devoir bien faire, du politiquement correct du moment…

Les enfants ont-ils un rapport à la nourriture plus complexe que les adultes ? Pourquoi semblent-ils dégoûtés par les légumes ?

Catherine Grangeard :Il y a un âge où l’enfant goûte de tout, il est même fier de faire comme les grands. C’est là où il faut en profiter pour lui faire découvrir plein d’aliments variés. Puis, il peut trouver que c’est un excellent moyen d’opposition et refuser tel type de plats... Si ça ne pose pas spécifiquement de problèmes, si on a le droit de ne pas finir son assiette, alors les goûts vont s’exprimer et il n’y aura pas d’enjeux. Ce qui n’est pas le cas dans des situations où des affects s’en mêlent.

Rire d’un plat raté, c’est le meilleur moyen de donner envie de prendre le même ingrédient pour faire mieux la fois suivante. Il n’en demeure pas moins tout de même qu’une phase de néophobie peut être traversée vers 5/7 ans.  Peut-être est-ce un vestige de l’époque où les baies dans la nature pouvait être sources d’empoisonnement quand elles étaient inconnues ? Il y a alors une sorte de stratégie de sécurité alimentaire !

Et puis, tous les goûts sont dans la nature… donc des dégoûts aussi ! Mais nous l’avons déjà dit, on commence par faire comme les grands. Donc, dans certaines familles, on adore les épinards. Dans d’autres, pas du tout. Les légumes ont mauvaise réputation quand ils sont tristes. Pas quand leurs couleurs s’épanouissent dans l’assiette…

Faut-il nécessairement être un cordon bleu pour manger de façon saine et équilibrée ? Quelles sont les astuces simples à respecter ?

Catherine Grangeard : Pour aller vers une bonne alimentation, il est important d’avoir de bons produits. En été, une salade de tomates avec des tomates qui ont du goût, c’est bon. Ce qui est très différent d’une salade avec des tomates qui en ont l’allure, la dénomination mais… pas le goût ! Ajouter du basilic et on retrouve le goût des vacances… Voilà comment on apprend à se faire confiance et se lancer dans des recettes un peu plus complexes.
Si on croit en ses capacités de réussir un bon petit plat, c’est le premier pas du cordon bleu ! Le plaisir est l’ingrédient le plus important. Prendre plaisir à partager quelque chose, critiquer dans le sens constructif pour modifier la fois suivante, et voilà le petit plat qui s’élève dans la hiérarchie familiale. Nous avons ainsi des enfants qui se joignent à la confection des repas. Et, il ne s’agit pas de les reléguer toujours à la plonge ou à la peluche… Alors, quand ils seront ados et par définition plus compliqués dans tout, y compris la nourriture, des habitudes bien ancrées seront déjà là, à notre secours. La cuisine n’est pas qu’une corvée !

Qu'est-ce que représente le repas ? Comment cette représentation a-t-elle évoluée ? Est-ce que le fait de moins manger tous ensemble favorise des comportements alimentaires peu équilibrés?

Jean-Louis Lambert : Pendant les jours de semaines, une grande partie des membres de la famille y compris les enfants déjeunent à l’extérieur. Cela n’est pas pour autant synonyme de mauvais repas, car même dans la restauration scolaire des progrès nutritionnels ont été réalisés, même si les enfants n’aiment pas plus les repas proposés. 

A domicile, le dîner des soirs de semaine et les repas du week-end continuent de se prendre en famille en France. L’exception est le repas du dimanche soir qui est très déstructuré.

Même si la famille partage la table, elle ne mange pas forcément la même chose. En général le plat principal est commun à tous, mais l’entrée, le désert et le fromage peuvent varier selon les individus.

Aujourd'hui sommes-nous tous obsédés par la nourriture ? Pourquoi ?

Jean-Louis Lambert : La préoccupation de l’alimentation a dominé l’Histoire de l’humanité, mais elle n’était pas dans les mêmes termes qu’aujourd’hui. Pour 1 milliard d’humains cette préoccupation primaire est toujours à l’ordre du jour : « est ce que je vais avoir assez à manger. »

Aujourd’hui nous ne sommes plus inquiets sur la quantité mais sur la qualité. Une partie de l’anxiété alimentaire est dûe à la méconnaissance des produits offerts. Auparavant les populations s’approvisionnaient dans les systèmes de production d’hyper proximité voire au niveau familial. Il y avait donc une connaissance du produit, ce qui avait un caractère rassurant. Aujourd’hui avec les systèmes de production et de distribution qui se sont diversifiés, mondialisés, industrialisés, les chaines de production très éclatées, les mangeurs ne savent pas d’où ça vient, qui l’a fait… et si on ne sait pas ce qu’on mange, on ne sait pas ce qu’on va devenir.

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