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Et le gagnant de la guerre entre Apple et Google est... Amazon
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On aurait pas parié dessus

D'après une étude de marché publiée par le cabinet américain YouGov BrandIndex, Apple et Google ne font plus partie des dix marques les plus plébiscitées par les consommateurs américains....contrairement à Amazon, qui se place à deux reprises dans le top 10, avec sa propre marque et Kindle, sa marque de tablettes.

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry est professeur à ESCP Europe où il dirige le European Executive MBA.

Il est membre de l'équipe académique de l'Institut pour l'innovation et la compétitivité I7.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont Stratégique, le manuel de stratégie le plus utilisé dans le monde francophone

Site internet : frery.com

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Atlantico : Selon une étude américaine réalisée par YouGov BrandIndex, Apple et Google ne font plus partie des 10 marques les plus plébiscitées par les consommateurs américains. Comment expliquer ce "désamour" du public américain pour les deux grands géants que sont Apple et Google ? Sont-ce pour les mêmes raisons ? 

Frédéric Fréry : Avant tout, il faut souligner que la méthode de cette enquête est sujette à caution : elle a été menée sur 15 jours et uniquement auprès de consommateurs américains. Elle reflète donc essentiellement la présence médiatique instantanée de ces marques aux États-Unis. L'implication de Google et d'Apple dans l'affaire Prism n'a évidemment pas joué en leur faveur ces dernières semaines. Par ailleurs, l'enquête oublie de rappeler que parmi les 10 marques citées il y a YouTube, qui appartient à... Google. 
Cela dit, cette enquête met en lumière la guerre que se mènent Apple et Google. Cette guerre n'est pas si ancienne qu'on peut le penser : les deux firmes étaient au départ très proches, le directeur général de Google a même siégé au conseil d'administration d'Apple de 2006 à 2009. La rupture est venue d'une accusation de Steve Jobs, qui considérait qu'Android était une copie d'iOs. Et cela est révélateur du problème : ces deux entreprises sont à présent engagées dans une bataille qui rend leurs produits de plus en plus uniformes, notamment du point de vue de l'expérience utilisateur. A chaque fois que l'un d'eux propose une nouveauté, l'autre réplique dans les mois qui viennent. On a ainsi Siri d'Apple face à Google Now, Apple Plans face à Google Maps, le futur Apple iPhone 5s face au futur Google Moto X, etc. Même iOS 7, le nouveau système d'Apple qui va sortir en automne, est visuellement beaucoup plus proche d'Android que ne l'étaient ses versions précédentes. En réalité, à force de s'affronter systématiquement, ces entreprises - qui sont en plus voisines géographiquement, elles sont toutes les deux implantées au sud de San Francisco, elles recrutent les mêmes candidats et n'hésitent pas embaucher leurs experts respectifs - finissent par proposer des produits qui se ressemblent trop. Leur rivalité exacerbée banalise leurs offres. Elles risquent l'asphyxie par mimétisme.

A l'inverse, Amazon se place à deux reprises dans le top 10 : en son nom propre et avec sa marque de tablettes, Kindle. Peut-on parler d'un modèle "Amazon" ? En quoi se différencie-t-il de ses concurrents ? 

Il faut se souvenir que, même si Internet est le théâtre d'une grande guerre des quatre - Apple, Google, Facebook et Amazon - Amazon est différent : c'est avant tout un distributeur et un logisticien, pas une entreprise d'informatique ni de logiciels. Et s'il est évident qu'ils vont sortir très prochainement un smartphone, c'est essentiellement car cela leur permet de vendre davantage de produits par la suite : livres, musique, etc. Lorsqu'ils utilisent les plateformes d'Apple et de Google, à chaque fois qu'ils vendent un livre électronique, ils doivent leur payer une redevance. Amazon se trouve donc dans une logique très différente de celle de ses concurrents.
Pour Amazon, les smartphones et les tablettes ne sont que la vitrine du magasin, ils peuvent donc se permettre de les vendre à prix coûtant. C'est très gênant pour Apple, qui gagne essentiellement de l'argent avec ses appareils, dont la différence de valeur pour le consommateur, face au Kindle d'Amazon (ou aux multiples smartphones sous Android et au futur smartphone d'Amazon) ne justifie plus la différence de prix. Pour Apple, la vitrine est plus lucrative que ce qu'il vend dans le magasin.
Amazon a, de plus, un modèle économique difficile à concurrencer : son fondateur Jeff Bezos a convaincu ses actionnaires qu'ils ne gagneraient pas de dividendes, mais qu'ils se rattraperaient sur les plus-values. D'année en année, Amazon dégage ainsi des profits infimes, voire de légères pertes. Son objectif, ce n'est pas la rentabilité, c'est la croissance.Concurrencer une entreprise qui a pour logique de ne pas faire de profit, c'est évidemment très difficile, que ce soit pour Apple, pour Google, ou pour tous ceux qui tentent d'affronter Amazon, comme l'ont montré Virgin ou la Fnac en France.

Est-ce une tendance qui va se confirmer ? Amazon peut-il détrôner durablement Apple et Google ? 

Les profits amassés par Apple sont tellement gigantesques qu'il faudra longtemps avant que l'entreprise soit réellement en danger... Néanmoins, on constate qu'ils annoncent des délais de plus en plus importants avant le lancement de nouveaux produits (une montre, un téléviseur ?), et cela n'est pas fait pour rassurer. Il paraît difficile de retrouver la dynamique des années 2000 à 2010. L'apogée d'Apple est désormais derrière nous, mais son éclat mettra encore des années à s'estomper.
Google, lui, a encore du potentiel, ne serait-ce que parce que son modèle économique est davantage en phase avec le monde dans lequel nous vivons : comme Facebook, mais à plus grande échelle, Google gagne de l'argent grâce aux données qu'il récolte sur l’utilisation que nous faisons de ses services. Pour reprendre la métaphore de la vitrine, Google gagne de l'argent en observant le comportement des passants et en prélevant une dîme sur les enseignes présentes dans le centre commercial.
Amazon a de son côté un potentiel considérable, car c'est un distributeur généraliste, c'est même le seul véritable distributeur généraliste au monde. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard que le dirigeant de Walmart a annoncé qu'Amazon était désormais son principal concurrent. Le projet d'Amazon ne se limite pas à l'informatique, à la téléphonie ou aux réseaux sociaux. Son objectif, c'est de devenir le premier distributeur mondial, tous produits confondus. Amazon est le centre commercial.

Rachel Feltman, l'auteur de l'article, suggère que cette étude est révélatrice d'un problème plus global, celui de la fin de l'ère des entreprises technologiques. Est-ce vraiment le cas ? Faut-il adhérer à cette théorie quelque peu fataliste ? 

Ce n'est pas la fin des entreprises technologiques, c'est plutôt la banalisation d'une partie de leurs offres. A l'exception peut-être de Nokia et de Samsung, tous les fabricants d'appareils électroniques - Apple en tête - ont décidé de sous-traiter leur production en Chine, ce qui a logiquement eu pour effet des transferts de technologie aussi rapides que massifs. Désormais, les sous-traitants peuvent proposer en direct aux clients les mêmes technologies que celles de leurs donneurs d'ordres, et la différence de prix n'est plus légitime. Il est donc impératif pour Apple de déplacer le jeu concurrentiel vers des espaces moins encombrés. Même s'il ne les a pas inventées, Apple a réussi à imposer deux nouvelles catégories de produits en seulement trois ans : le smartphone en 2007, puis la tablette en 2010. Or, les concurrents ont maintenant largement comblé leur retard et le nouveau relai de croissance se fait attendre. Son impact sera-t-il aussi considérable ? Sera-t-il aussi profitable ? On peut légitimement en douter. Encore plus que Google, Apple doit sa croissance future à sa capacité d'innovation à répétition, or la stratégie nous enseigne que c'est certainement une des compétences les plus difficiles à pérenniser. A l'inverse, la croissance d'Amazon ne repose pas sur le lancement récurrent de nouveaux produits miracles. Amazon est un commerçant. Sa croissance, c'est celle du commerce.

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