Crise financière, le retour : pendant que la France peaufine sa législation bancaire, les Anglo-saxons redoutent que l'état des banques européennes fasse exploser la zone euro <!-- --> | Atlantico.fr
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En somme, le problème des banques de la zone euro c’est l’interdépendance qui existe entre le risque bancaire et le risque souverain.
En somme, le problème des banques de la zone euro c’est l’interdépendance qui existe entre le risque bancaire et le risque souverain.
©Reuters

Comme des grenades dégoupillées

Le célèbre magazine The Economist estime que le système financier européen est dans un "état terrible". Une inquiétude de plus en plus nourrie par les différents observateurs, parmi lesquels certains pensent que nos banques pourraient faire exploser le système à tout moment.

Pascal  De Lima et Guy Martin

Pascal De Lima et Guy Martin

Pascal de Lima est économiste et enseignant à Sciences-po. Actuellement Economiste en Chef d’EcoCell (Economiccell), cellule de veille, d’études et de conférences sur l’économie. Docteur en Sciences-économiques de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, il y dispense des cours d’économie. Il a également enseigné la Finance à HEC.

Guy Martin pour la rédaction d'Agora. Présents dans 14 pays et sur les 5 continents, les rédacteurs d’Agora éditent chaque jour leurs propres dépêches en langue anglaise pour couvrir tous les évènements de l’actualité économique et financière intéressants pour les investisseurs particuliers. la-chronique-agora.com
 

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A lire également : Séparation et régulation des activités bancaires : ce que la loi va changer (ou pas)

Atlantico : The Economist daté du 13 juillet (lire ici) estime que "le système financier de l'Europe est dans un état terrible, et que peu de choses sont faites à ce sujet". En quoi l'état des banques européennes est préoccupant ?

Pascal de Lima : Aujourd’hui on estime effectivement que les banques de la zone euro ont encore besoin d’argent car visiblement les défauts de clients continuent d’augmenter (cf. données de Natixis Research et BNP Paribas Research). C’est donc que le problème managérial repose tout simplement sur la hausse des créances douteuses et des défauts de clients. Mais comment renflouer ? Car en effet l’approvisionnement en capital par le Mécanisme Européen de la Stabilité (MES) est conditionné ce qui le rend dissuasif. Du coup, on se tourne forcément vers les Etats européens qui n’ont plus d’argent.  Il y a là un danger : les défauts des clients peuvent impacter le risque d’insolvabilité des Etats si ces derniers s’engagent évidemment. En somme, le problème des banques de la zone euro c’est l’interdépendance qui existe entre le risque bancaire et le risque souverain dont la figure représentative extrême est la situation des banques espagnoles d’où l’intervention d’un tiers institutionnel : le MES pour casser cette interdépendance.

Aujourd’hui les banques espagnoles vont tout de même mieux qu'il y a quelques années. Et les 100 milliards du MES, 100 milliards conditionnés à un certain sérieux global (politique et banques) ont permis une certaine stabilisation de la crise bancaire espagnole. On y adosse souvent aussi des structures de défaisance d’actifs combinées à un renforcement des normes internationales de prise de risque. Bien sûr, il s’agit d’une accalmie et les banques espagnoles ne sont pas très rentables. Les stress tests réalisés par l’Etat espagnol en mai 2012 sont restés encore inquiétants. Malgré la stabilisation de la situation, les banques espagnoles ne pourront faire face à un scénario catastrophe. Elles restent donc fragiles.

En Allemagne, l’obsession est le levier d’endettement. Assainir les bilans, réduire les capacités excédentaires et renforcer les fonds propres restent les trois priorités. La crise des dettes souveraines et les nouvelles règles prudentielles ont rendu encore plus pressante l’abaissement des leviers financiers. Le désendettement des banques allemandes présente deux caractéristiques qui les distinguent des autres banques européennes :

  • par rapport aux banques espagnoles, la principale différence est que l’endettement des banques allemandes repose sur l’endettement des agents non financiers et la constitution de bulles en dehors des frontières. Du coup, à l’international, les banques allemandes se sont largement exposées aux produits structurés adossés aux prêts subprimes américains ou aux crédits immobiliers espagnols.

  • Deuxièmement, l’ampleur des exigences de la Commission européenne en matière de deleveraging (en contrepartie des aides publiques reçues) est un second aspect qui distingue le mouvement à l’œuvre en Allemagne. Il consiste non seulement en un dégonflement des bilans mais plus fondamentalement en une redéfinition des business models, en particulier pour les banques publiques régionales (Landesbanken).

En Grèce la recapitalisation des banques grecques, si elle a permis la survie de quelques unes d’entre-elles, n’a pas mis un terme à la fuite des dépôts. Les besoins en liquidité des banques grecques restent considérables. Des injections de capital seront encore nécessaires via le fonds hellène qui a réceptionné les chèques du Fonds Européen de la Stabilité Financière.

En France on peut prendre le problème différemment. Les banques françaises sont davantage exposées que les banques allemandes aux pays du sud de l’Europe (390 milliards pour l’Allemagne contre 520 milliards pour la France) principalement via l’exposition de la France à l’Italie. Ceci créer une inquiétude sur la santé des banques françaises qui dépend forcément de la santé de l’économie italienne plus que d’autre pays. De plus l’Italie est instable politiquement ce qui en rajoute une couche. En gros, sur le plan de la rentabilité et des ratios de solvabilité, les banques françaises sont saines, mais les soubresauts en Italie - politiques ou économiques - pourraient faire chavirer les banques françaises vers la catégorie des banques à surveiller de près.

Pour résumer :

  • une interdépendance des risques bancaires et des risques souverains dans le sud

  • une interdépendance de la santé de certaines économies du sud (Italie) par rapport à la santé des secteurs bancaires nationaux du Nord (France, Allemagne exposés ou ceux des pays du Nord exposés aux pays du sud de la zone euro).

  • ces deux interdépendances étant d’autant plus dangereuses que le système bancaire en question optimise mal le rapport entre prise de risque et capital disponible.

Guy Martin : Le problème des banques européennes est double : réglementaire et structurel.

Réglementaire car les banques européennes doivent satisfaire aux critères de Bâle III. Ces critères les obligent à acheter de la dette publique considérée comme sûre(ces critères ont été définis au tournant des années 2000) et sans obligation d'assurer ces placements, puisqu'ils sont réputés sûrs malgré la faillite de la Grèce et les difficultés de l'Espagne, de l'Irlande ou de l'Italie.

Pour compenser les rendements très faibles des dettes publiques ces mêmes banques prennent plus de risques sur les marchés actions et les marchés dérivés. Il faut savoir que la rentabilité des banques européennes et surtout françaises est en chute libre depuis un vingtaine d'années, ce qu'elles tentent de compenser par des activités plus risquées ainsi que par des économies d'échelle.

C'est ainsi que les banques européennes se retrouvent avec des bilans très inquiétants, d'une part parce que les dettes publiques qu'elles détiennent se sont détériorées et qu'elles prennent plus de risques sur les marchés et d'autre part parce qu'elles ont atteint des tailles qui rendent leur faillite inacceptable sur le plan politique (aujourd'hui le Crédit Agricole a un bilan supérieur au PIB de la France).

Or, ces critères de Bâle III ne sont pas remis en cause sauf par les banques américaines qui ne les appliquent pas, leur conférant ainsi un avantage compétitif sur les banques européennes.

Il s'agit également d'un problème structurel car les grandes banques européennes sont bâties selon le modèle de banque universelle, c'est-à-dire que les activités de marché risquées ne sont pas séparées des activités de banque de dépôt. Et la loi mal nommée de séparation des activités bancaires a été vidée de son contenu. Aujourd'hui, vos dépôts bancaires dans les grandes banques françaises financent des activités spéculatives quoi qu'en disent les publicités de ces banques.

Malheureusement, l'accord européen sur les faillites bancaires est de la poudre aux yeux. Faire payer les actionnaires avant les déposants lors d'une faillite peut-être vu comme une gestion saine ou comme de l'enfoncement de portes ouvertes. Surtout quand on sait que les fonds propres des banques (apportés par les actionnaires) représentent 2 à 4% de leur bilan, cela représente un bien maigre pare-feu pour les déposants.

Le magazine britannique fait un parallèle avec les banques japonaises dans les années 1990 qui n'étaient "ni suffisamment en bonne santé pour prêter aux entreprises, ni assez faibles pour s'effondrer". L’Europe s'apprête-t-elle à avoir un système bancaire suffisamment solide pour ne pas s'effondrer, mais trop faible pour financer la relance économique ?

Guy Martin : Je ne crois pas que les banques européennes sont suffisamment solides pour éviter la faillite mais pas assez pour financer l'économie. Elles ne financent pas l'économie pour la bonne raison que les États surendettés drainent l'argent pour financer leurs dettes et que la crise est économique autant que financière. Les entreprises dont les carnets de commandes sont vides n'investissent pas. Elles ont besoin en revanche de trésorerie, mais on peut se demander si le problème vient des banques qui rechignent à faire des prêts de trésorerie ou d'une fiscalité que les entreprises n'arrivent plus à supporter.

Si banques européennes n'ont pas encore fait faillite c'est davantage parce que leur sort est intimement lié à celui des États que grâce à leur solidité intrinsèque.

Pascal de Lima : L’Europe bancaire, pour les raisons évoquées plus haut, a actuellement restreint son crédit. Ceci est problématique. En effet, ce sont bien les marchés financiers et les banques qui influencent la croissance économique, mais les chercheurs en général n’approfondissent pas la question et les études, hormis aux États-Unis et en France (Philippe Aghion notamment pour la théorie de la croissance endogène). Les théories de la croissance endogène ont certes apporté une nouveauté. Ces théories expliquent la productivité globale des facteurs par le financement de l’innovation, du capital humain et le financement du budget de l’État. Par conséquent, c’est bien la finance qui est au cœur du processus de croissance puisqu’elle permet le développement du capital humain, et investit dans l’innovation. D’après les études empiriques, peut-on dire si oui ou non que les banques et la finance contribuent à la croissance économique ? Et selon quelle quote-part ? Oui ! Et l’on estime que 30% du taux de croissance d’une économie vient des banques et des marchés financiers. C’est la contribution à la croissance.

On sent bien dans les débats d’actualité et même encore souvent dans les ouvrages académiques traitant de politique monétaire que les banques et la finance sont importantes. Mais alors pourquoi ne pas établir de corrélations ou de causalités entre les banques et la croissance scientifiquement et rigoureusement. On pourrait trouver là, les moyens d’une meilleure action en matière de politique publique par une prise en compte des politiques financières dans les objectifs prévisionnels des gouvernements.

Comme nous sommes dans un environnement de "Bankers Bashing" et de suspicions sur les banques européennes, des suspicions qui vont même jusqu’à remettre en cause les outils de mesure de la fiabilité d’un secteur bancaire (comme les stress tests à chaque fois), l’impact est direct sur les taux de croissance. D’une certaine façon nous pouvons presque dire que le secteur bancaire et sa compréhension peuvent-être sources de croissance même si ce n’est pas une idée très populaire. Comme la politique monétaire et la politique budgétaire sont en fin de cycle après 40 années d’espoir, de certaines réussites, mais de totale impuissance aujourd’hui, il faut bien un autre levier et ce peut-être la politique financière à coté des politiques budgétaires et monétaires.

Quels risques systémiques les banques européennes font-elles peser sur la viabilité même de la zone euro et de la monnaie unique ?

Pascal de Lima : Prenons le cas de la France. On peut citer les travaux inquiétants du Center of Risk Mangement Lausanne, institut réputé à cheval entre l’académique et l’opérationnel. D’après l’institut, les banques françaises présenteraient le plus important risque systémique en Europe. On évalue le besoin en capital dans un scénario catastrophe comme une nouvelle crise financière. Au total, ce sont 271 milliards d’euros qu’il faudrait apporter aux banques françaises dans une telle situation ! Viennent ensuite le Royaume-Uni (206 milliards d’euros), l’Allemagne (135 milliards d’euros), l’Italie (90 milliards d’euros). C’est l’effet de levier d’endettement et son exposition aux pays périphériques qui expliqueraient cette situation. On trouve ensuite les Pays-Bas (29), l’Italie (27), l’Allemagne (25). Les bons élèves sont le Royaume-Uni (16), la Suisse (14), la Suède (10).

De plus, en France le secteur bancaire reste très concentré ce qui crée une absence de diversification qui préoccupe. Mais d’un autre coté on sait qu’en Allemagne, pays des caisses régionales, et même en Espagne, le secteur est très peu concentré et pourtant le risque systémique y est grand. Il faut accepter ici que le débat n’est pas très bien tranché, faute de recherches nouvelles.

Ensuite, si l’on se souvient de la crise grecque à son apogée, la décote de 50% (environ) sur les obligations grecques détenues en portefeuille du secteur bancaire européen avait créé le débat le plus polémique de l’histoire de l’Europe, doit-on y mettre un terme ? Ces décotes avaient suscité un nombre incalculable de réflexions autour de la question de la sortie de la Grèce de la zone euro. Toute restructuration pourtant indispensable crée cela : peut-on en sortir ? Tant que les systèmes bancaires seront menacés, les marchés financiers qui vendent des produits aux banques seront menacés et les taux d’intérêt pourront toujours exploser. Le débat reviendra inlassablement.

Guy Martin : Il y un jeu de ricochet. Ce ne sont pas tant les banques qui font peser un risque systémique sur la zone euro mais les États qui font peser un risque systémique sur les banques, d'abord à cause de la dégradation de leurs comptes publics et dans un deuxième temps, parce qu'en renflouant les banques en difficulté plutôt que les laisser faire faillite, ils leur ont donné un sentiment d'impunité en plus de prendre leur mauvaises créances à leur charge c'est-à-dire celles des contribuables. C'est ainsi que que l’État français a été puisé un milliard d'euros dans les fonds du Livret A dans le cadre de la faillite de Dexia.

Alors que l'union bancaire devrait permettre une supervision des banques européennes par la BCE, l'un des membres du directoire de la banque centrale estime que la BCE pourrait être en "surcharge" avec la mise en place d'un tel mécanisme sous son autorité. La BCE a-t-elle vraiment les moyens d'agir ? Quelles solutions concrètes permettraient de redresser le système bancaire européen ?

Pascal de Lima : L’objectif de l’Union bancaire est de répondre aux vulnérabilités structurelles de la zone euro et constitue un préalable au fonctionnement optimal du Mécanisme européen de la stabilité. Il y a quatre piliers : un renforcement des exigences de solvabilité pour les banques, une surveillance par la BCE et les banques nationales, la garantie des dépôts et un mécanisme de liquidation ordonné des banques non viables.

Bien sûr il y a la question de la concurrence déloyale vis-à-vis des banques non concernées par ce dispositif mais qui font partie de l’Union européenne et non de la zone euro. C’est une question qu’il faudra traiter. Mais le dispositif de surveillance propose de ne se focaliser que sur les banques systémiques (dont l’actif dépasse 30 milliards d’euros d’après la Commission européenne). L’union bancaire représente dans ce cadre la politique financière que nous évoquions tout à l’heure. Elle constitue le chaînon manquant entre l’Union monétaire et la coordination des politiques budgétaires dans le cadre du Pacte budgétaire européen entré en vigueur le 1er janvier 2013. L’objectif est aussi de mettre un terme justement à cette interdépendance entre les banques et les Etats. Eviter que les Etats ne renflouent tout le temps, puis limiter la prise de risques des banques lorsqu’il s’agit d’acheter de la dette publique.

En conclusion, les banques vivent dans un environnement où leur marge sera de plus en plus réduite : on leur demande plus de fonds propres au passif et plus de liquidité à l’actif. Elles vont être surveillées de très près par la BCE (volet 1 de l’union bancaire). Enfin, sur le volet de l’ordonnancement des faillites (volet 4 de l’union bancaire), les actionnaires seront dorénavant les premiers mis à contribution, ensuite viennent les prêteurs, puis les déposants qui ont plus de 100 000 euros de dépôts. Voilà peut être aussi pourquoi le crédit se resserre.

Guy Martin : La BCE ne peut pas permettre le redressement des banques européennes. Le problème des banques européennes est politique. Il relève du lien nauséabond entre les Etats et leurs banques, les uns renflouant les autres et inversement. Or le mandat de la BCE est de garantir la stabilité des prix, pas de garantir les Etats ou les banques. Mais le glissement est en train de s'opérer.

La BCE a déjà transféré une partie du risque des dettes souveraines et bancaires dans ses comptes, aller plus loin serait suicidaire. N’oubliez pas que vos dépôts en banque font de vous un créancier de votre banque : la banque ne dépose pas votre argent dans un coffre mais, de fait, vous l'échange contre une reconnaissance de dette. La nouvelle réglementation européenne qui s’apprête à naître concernant les résolutions bancaires vous mettra à contribution en cas de malheur de votre banque.

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