De Benoît à François, premier bilan d’une année majeure pour l’Église<!-- --> | Atlantico.fr
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"Ce que ni Jean-Paul II, ni Benoît XVI n'ont réussi à faire, il est illusoire de croire que leur successeur l'accomplira en quelques mois."
"Ce que ni Jean-Paul II, ni Benoît XVI n'ont réussi à faire, il est illusoire de croire que leur successeur l'accomplira en quelques mois."
©Reuters

D'un pape à l'autre

Réforme de la justice et de la banque du Vatican, première visite extérieure aux immigrants de l'île de Lampedusa... Le pape François ne chôme pas, et impose un style qui détonne avec celui tout en sobriété de son prédécesseur. En sa qualité de pape émérite, ce dernier garde une autorité morale, qui s'est manifestée au travers de la dernière encyclique, rédigée pour la première fois à quatre mains.

Nicolas Diat,Gérard Leclerc et Koz

Nicolas Diat,Gérard Leclerc et Koz

Nicolas Diat est spécialiste du Saint-siège. Il prépare une biographie de Benoît XVI aux éditions Albin Michel.

Gérard Leclerc est un philosophe, journaliste et essayiste catholique. Il est éditorialiste de France catholique et de Radio Notre-Dame. Il est l'auteur de l'Abécédaire du temps présent (chroniques de la modernité ambiante), (L'œuvre éditions, 2011).

Koz tient le blog koztoujours.fr depuis 2005. Avocat, il a une prédilection pour les causes ardues : Nicolas Sarkozy en 2007, Benoît XVI en 2009-2010. Et les cochons, en avril 2009.

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Atlantico : Au-delà de l’image d’homme simple qu’il cultive, et qui semble avoir séduit l’ensemble de la communauté catholique, où en est l'action du pape François ? Les actes suivent-ils sa volonté de réforme ?

Gérard Leclerc : Le temps n'est pas encore venu de faire le point sur les réformes de François, qui sont encore en projet ou sont même informulées pour la plupart. Il faut qu'il puisse pleinement évaluer la situation de l'Église et particulièrement celle de la Curie romaine pour prendre des décisions décisives. Ce que ni Jean-Paul II, ni Benoît XVI n'ont réussi à faire, il est illusoire de croire que leur successeur l'accomplira en quelques mois. Mais il n'est pas douteux que François ait la ferme volonté de faire changer les choses. On devrait attendre pour la fin de l'été ou le début de l'automne les premières indications de l'orientation qu'il choisira. Il a lancé des missions exploratoires qui devraient lui fournir leurs premières conclusions.

Koz : Il est encore trop tôt pour le dire. Il ne peut pas réformer rapidement une organisation comme la Curie, et ce n'est d'ailleurs pas son style. Il a mis en place des commissions qui travaillent sur un mode peu classique : huit personnes, dont seulement une religieuse. Tant que ces commissions n'ont pas rendu leurs conclusions, et que les réformes n'ont pas été mise en place, ce sera de toute façon prématuré. La difficulté n'est pas tant de poser le diagnostic que d'arriver à produire la réforme. En tout cas la volonté semble bien présente.

Nicolas Diat : Il est certes impossible de saisir ce que sera l’identité pleine et entière de ce pontificat. Mais il est quasi certain que François dessine déjà les contours d’une action réformatrice du gouvernement de l’Église, telle que le Vatican n’en a pas connue depuis de nombreuses années. Le visage contemporain de la Curie remonte essentiellement au règne de Paul VI, en particulier la toute-puissance de la Secrétairerie d’État. Puis Jean-Paul II s’est relativement désintéressé de la vie curiale qui a développé un pouvoir parallèle, de plus en plus autonome. La maladie qui avait beaucoup diminué le pape polonais  pendant les dernières années de son règne a consacré, pour le meilleur et souvent le pire, la suprématie de l’appareil administratif de l’Église. Benoît XVI, au début de son pontificat, a pensé réformer le gouvernement de l’Église mais il s’agissait d’un chantier si complexe qu’il a préféré confier le dossier à son Secrétaire d’État, le cardinal Bertone, lequel a rendu le pire des services qu’il pouvait rendre au pape, en pratiquant une forme de gestion au fil de l’eau, sans véritable stratégie, en fonction des intérêts et des alliances du moment. Aujourd’hui, les dérives, les combinaisons et les compromissions ont atteint un niveau tout à fait incroyable. Le pape François a une conscience aigüe de l’ensemble de ces problèmes et il est profondément déterminé à agir. Le groupe des cardinaux de curie qui soutenait lors du dernier conclave la candidature du cardinal de Sao Paulo, Odilo Scherer, pour que celui-ci serve de paravent à une forme de continuation des intérêts établis, a bien compris aujourd’hui combien une puissante mécanique de réforme faisait sentir ses premiers souffles... "Il faut que tout change pour que rien ne change" écrivait Lampedusa ; cet esprit est bien l’absolu contraire de la volonté du pape Bergoglio qui va se révéler un grand réformateur ...     

Il vient de durcir le droit du Vatican contre les crimes, en particulier contre les enfants. Comment interpréter cette démarche ?

Gérard Leclerc : La législation du Vatican était obsolète dans la mesure où elle datait des accords du Latran et n'avait jamais été réexaminée. Il s'agit d'un alignement sur l'évolution des lois européennes à laquelle il ne faut pas donner d'importance particulière, l'État du Vatican n'ayant pratiquement jamais, ou très occasionnellement, à diligenter des instructions judiciaires analogues à celles des sociétés séculières.

Nicolas Diat : Oui, et en la matière, Benoît XVI a été un précurseur dont beaucoup d’observateurs continuent de sous-estimer le courage. Alors qu’il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il a dû faire preuve d’une détermination inimaginable pour ouvrir une enquête sur le fondateur des Légionnaires du Christ, Marcial Maciel, coupable de crimes multiples, alors que des pans entiers de la curie, à commencer par le Secrétaire d’Etat, le cardinal Angelo Sodano, persistait contre vents et marées à protéger Maciel et sa congrégation.   

Koz : C'est la démonstration de la volonté du Vatican de prendre très au sérieux des crimes qui sont encore plus odieux lorsqu'ils proviennent de religieux. Il s'inscrit dans la droite lignée de Benoît XVI, qui même avant d'être pape, avait pris les choses à bras le corps mais qui n'avait pas suffisamment rencontré de soutiens. Une fois que les faits ont explosé à la face de l'Église, celle-ci agit en conséquence.

Comment la Curie réagit-elle à ses différents projets, notamment en matière bancaire ?

Nicolas Diat : Le pape François a apporté lui-même la réponse... En recevant il y a quelques semaines des représentants de la Conférence des religieux latino-américains, François a dit qu’il y avait deux types de personnes à la Curie : les saints, ceux qui se dépensait sans compter pour l’Église, et d’autres qui travaillaient pour eux-mêmes, préoccupés par leurs prébendes et leurs carrières... On peut aisément comprendre comment chacune de ces deux catégories perçoit l’action du pape... 

Koz : Sur les différentes affaires, dire comment réagit la Curie est impossible. On voit bien que des personnes sont plus attachées à un fonctionnement temporel des affaires du Vatican, comme on gérerait n’importe quel État, tandis que d'autres sont plus sensibles à une vision plus spirituelle. Pour ce qui est est des réactions individuelles, même le vaticaniste le mieux introduit aurait du mal à répondre.

Comment le nouveau pape a-t-il perçu les débats en France autour de la question du mariage pour tous ?

Gérard Leclerc : Il est vraisemblable que le pape a suivi le débat français sur le mariage dit pour tous de la façon dont il avait accompagné en Argentine la discussion sur le mariage gay, en le combattant vigoureusement. Les propos qu'il a tenus devant la délégation parlementaire française, reçue en audience à Rome, sont sûrement significatifs de sa pensée : une mauvaise loi doit être abrogée et remplacée par une autre, meilleure...

Nicolas Diat : Oui, Gérard Leclerc a raison, il suffit de se reporter aux propos de celui qui était archevêque de Buenos Aires pour comprendre l’exactitude de ces positions sur de tels sujets. Son soutien au mouvement français est évident.  

Koz : Il a été assez agréablement surpris de voir que les Français ne sont pas résignés, et que même dans un pays laïc comme la France, qui connaît entre autres une crise des vocations, les catholiques ont dit ce qu'ils avaient à dire.

Comment faut-il comprendre son voyage sur l'île de Lampedusa, où chaque année débarquent des dizaines de milliers d’immigrés clandestins ?

Koz : Sur le fond, ce n'est pas nouveau car la préoccupations de l’Église pour les migrants est la même depuis fort longtemps. Chaque années, à l'occasion de la journée mondiale pour les migrants, un message spécial du Vatican est délivré. Le pape François se démarque en faisant jouer une dimensions plus personnelle et moins cérébrale. Il a voulu marquer le coup pour montrer que quelle que soit la législation, il est toujours aux côtés des plus fragiles. Un chrétien ne doit jamais oublier qu'au-delà des chiffres, il s'agit de personnes. Il est certain que ce fut un moment très fort et parmi les plus importants de ce début de pontificat.

Nicolas Diat : A cette occasion, l’historien Alberto Melloni, chef de file de la célèbre École de Bologne, de tendance progressiste, a déclaré que le texte de l’intervention du pape sur cette petite île constituait "l’homélie programmatique du pontificat." Pour lui, Lampedusa représente un tournant historique dans l’histoire de la papauté moderne. Melloni va même jusqu’à comparer les mots de Lampedusa avec Gaudet Mater Ecclesia, le discours d’ouverture du concile Vatican II par le pape Jean XXIII. C’est dire à quel niveau d’une forme de révolution copernicienne certains peuvent situer ce premier voyage du pape en dehors des frontières de la Cité du Vatican. Il est incontestable que Lampedusa résonne pleinement avec les mots du pape, trois jours après son élection, le 16 mars 2013 : "Ah, comme je voudrais une Église pauvre pour les pauvres." Mais je suis persuadé qu’il n’y a aucune volonté idéologique dans la position du pape. L’idéologie est le contraire de l’action qu’il a mené toute sa vie. François est d’abord un pape libre qui agit en fonction de la conscience et de la vérité.

Gérard Leclerc : Le voyage à Lampedusa est très caractéristique de sa manière et de sa volonté d'être au plus près des détresses humaines, en rappelant les impératifs les plus brûlants de la charité. Mais il n'échappera pas à des confrontations quant à la complexité des questions économiques, sociales, internationales. Il faut certes accueillir les naufragés venus d'Afrique, mais quid des grands mouvements de migration ? Sont-ils forcément à  encourager ?

Il a rédigé sa dernière encyclique avec l'aide du pape émérite Benoît XVI, ce qui constitue une première. Quelle est sa relation avec l'ancien pape ? Celui-ci a-t-il encore une grande influence ?

Nicolas Diat : Avant l’élection de Jorge Bergoglio, Benoît XVI connaissait finalement assez peu son successeur. En outre, l’archevêque de Buenos Aires venait le moins souvent possible à Rome. Bien sûr, il y eu le conclave de 2005, où le cardinal Bergoglio est arrivé en seconde position, derrière Joseph Ratzinger ; l’élection passée, les deux hommes n’ont pas plus noué de relations particulières. Aujourd'hui, le rapport entre François et l’évêque émérite de Rome repose sur une véritable estime réciproque. D’une part, François a montré  de nombreuses marques d’estime envers l’ancien pape. Plus encore, ce dernier sait à quel point la tâche de réforme à laquelle le pape François s’est attelé est rude et dangereuse... Entre les deux hommes, le lien est sans cesse possible grâce à Mgr Georg Gänswein, le secrétaire particulier de Benoît XVI, qui vit toujours à ses côtés dans le monastère Mater Ecclesiae, et reste le préfet de la maison pontificale, fonction qui lui permet des contacts quotidien avec François.  

Gérard Leclerc : Ses relations avec son prédécesseur sont d'évidence excellentes, d'autant qu'il a à son égard admiration et estime. En reprenant le texte déjà prêt de l'encyclique, il a montré sa pleine communion d'esprit. Mais le pape émérite se veut particulièrement discret par rapport à son successeur à qui il veut laisser toute sa liberté. Benoît XVI n'interviendra auprès de François qu'en cas de demande impérative de ce dernier.

Koz : Dernièrement, une conversation entre le pape François et un des ses amis argentins a été rendue publique. Il y dit que Benoît XVI est une personnes d'une sagesse telle qu'il serait idiot de s'en priver. Quant au pape émérite, on peut tout à fait avoir confiance en lui pour qu'il ait à cœur de ne pas chercher à tirer quelque ficelle que ce soit. Il est au demeurant trop affaibli pour rendre crédible le mythe de la permanence de son ombre sur François.Même s'ils ont des styles différents, sur le fond l'entente et l'estime sont réelles. D'après ce que l'on sait, le pape François est heureux de pouvoir consulter Benoît XVI, même si leurs rencontres ne doivent pas être si fréquentes.

Les JMJ de Rio qui se tiendront dès mardi seront-elles un moment clé dans son parcours de pape ? Pourquoi ?

Koz : Ce ne sera pas un moment clé, mais sans aucun doute une période de découverte par les jeunes. On va pouvoir mieux appréhender son style, et mieux voir les éléments de sa spiritualité sur lesquels il veut mettre l'accent. Cela avait été le cas avec Jean-Paul II lorsque dès le début il avait insisté sur son attachement aux jeunes. Les JMJ peuvent être un moment où plusieurs dimensions du pape se révèlent.

Gérard Leclerc : Les JMJ de Rio seront incontestablement un moment très fort pour le nouveau pape à cause de la dimension exceptionnelle de l'événement et du défi que constitue en Amérique latine le défi des églises évangéliques.

Nicolas Diat : En 2005, pour les JMJ de Cologne, beaucoup de journalistes étaient convaincus que Benoît XVI, timide et réservé, ne parviendrait pas à occuper l’espace de ce grand rassemblement planétaire qui paraissait taillé uniquement pour le charisme de Jean-Paul II. Et Benoît XVI s’était révélé, donnant même à ces journées un nouvel élan, plus spirituel et plus intérieur. Il n’y a aucun doute que François va apporter une marque particulière, différente et similaire à la fois de celle de Jean-Paul II et de Benoît XVI... 

Propos recueillis par Gilles Boutin

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