Ariane 6 ou les secrets d'un projet européen qui marche<!-- --> | Atlantico.fr
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Le programme Ariane est lancé en 1973 par l'Agence spatiale européenne.
Le programme Ariane est lancé en 1973 par l'Agence spatiale européenne.
©Reuters

Victoire !

La ministre de la Recherche, Geneviève Fioraso, a dévoilé mercredi 9 juillet la configuration choisie pour la future fusée européenne Ariane 6, qui devrait voler à partir 2021.

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy est spécialiste de l’astronautique et rédacteur en chef du site d’actualités spatiales de la Cité de l’espace à Toulouse.

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Ariane est née d’une grave crise de l’Europe spatiale des années 1970 : la fusée Europa de l’ELDO (European Launcher Development Organisation) accumule alors les échecs. La France initie donc le projet L3S (lanceur de troisième génération de substitution) qui doit se substituer à Europa. En 1973, le ministre français du Développement industriel et scientifique Jean Charbonnel renomme le projet Ariane, clin d’œil au fil du même nom qui permit dans la mythologie grecque à Thésée de sortir du labyrinthe du Minotaure.

Au départ, Ariane ne suscite pas l’enthousiasme

On l’a oublié aujourd’hui, alors que la société Arianespace qui commercialise les lanceurs Ariane est devenue numéro un du lancement commercial, mais le projet L3S/Ariane était très loin de susciter l’enthousiasme ! Y compris en France (qui finance la plus grande partie) où plusieurs politiciens se plaignent des budgets nécessaires. Certains observateurs annoncent même un fiasco commercial, persuadés que la future navette de la NASA emportera tous les marchés de lancement de satellites en raison de coûts d’exploitation attendus comme particulièrement bas.

Pourtant, ce sont les États-Unis qui vont donner une raison à l’Europe (et sa nouvelle Agence Spatiale Européenne, l’ESA, créée en 1975 pour prendre la relève de l’ELDO) de ne pas laisser tomber Ariane : ils acceptent en effet de lancer un satellite de télécommunication européen à la condition qu’il ne soit pas exploité de façon commerciale. L’Europe découvre les vertus de l’indépendance pour l’accès à l’espace...

L’agence spatiale française, le CNES, poursuit donc avec ses partenaires européens le développement d’Ariane qui réussit son vol inaugural le 24 décembre 1979 après 7 ans de travail acharné.

Tout n’est pas idyllique pour autant : Ariane rate son deuxième vol et les opposants au programme retrouvent de la vigueur. La logique de l’indépendance pour l’accès à l’espace l’emporte toutefois. Le succès technologique va même devenir un immense succès commercial.

En 1980, est en effet créée la société Arianespace, (toujours détenue à 35 % par le CNES) chargée de vendre les prestations du lanceur au-delà du marché «captif» des missions scientifiques européennes. L’organisation sous forme de société commerciale a pour but d’autoriser la réactivité nécessaire sur un secteur concurrentiel. Un premier facteur de réussite.

Arianespace est alors armée pour profiter de la crise qui touche le spatial américain qui a tout misé sur la navette. Cette dernière s’avère bien plus couteuse que prévu à exploiter et la destruction de Challenger au décollage en 1986 (qui coûte la vie aux 7 astronautes à bord) met de plus un terme à une logique commerciale pour les avions spatiaux de la NASA. De surcroit, à l’époque, l’éventuelle concurrence russe n’existe pas en raison de l’Union Soviétique et du rideau de fer. Arianespace va alors faire d’Ariane 1, puis 2, puis des autres, les lanceurs de référence pour le marché ouvert à la concurrence le plus important, celui de l’envoi des satellites de télécommunications sur orbite géostationnaire. Un marketing qui tombe sous le sens puisque les opérateurs de satellites de «télécoms» sont à la tête d’un business particulièrement florissant qui explose avec la multiplication des chaînes de télévision et les besoins croissants en matière d’échanges de données au niveau planétaire.

S’adapter aux exigences du marché

Mais disposer d’un bon lanceur ne suffit pas. Certes indispensable, il n’est que la partie émergée de l’iceberg. Si Arianespace emporte marché sur marché, c’est parce que l’industrie spatiale européenne (avec Astrium-EADS en tête pour Ariane) démontre son sérieux et que le Centre Spatial Guyanais (CSG) propose une infrastructure d’accueil des satellites qui devient rapidement une référence. C’est un aspect peu connu du grand public, mais qui a une importance capitale : on imagine mal les propriétaires de couteux satellites de télécommunications ne pas s’intéresser à la façon dont on prend soin d’engins qui représentent des investissements qui se comptent en centaines de millions de dollars ! Arianespace s’assure aussi que les procédures suivies au CSG respectent le cahier des charges de confidentialité exigé par l’OTAN. Une précaution qui lui ouvre le marché des satellites américains soumis à des règles très strictes de sortie du territoire des États-Unis en raison de l’emploi de technologies désignées comme sensibles par le Congrès et la Maison-Blanche.

Arianespace surveille également la concurrence. Ainsi, lors de la chute de l’Union Soviétique, il est évident que certains lanceurs développés sous l’ancien régime communiste risquent d’entrer en concurrence frontale avec la famille Ariane (qui passant de la version 1 à 5 n’a cessé de s’adapter aux demandes des clients). C’est pourquoi la filiale d’Arianespace Starsem est créée en 1996 afin de vendre dès 1999 le mythique lanceur russe Soyouz. Cette logique de coopération commerciale atteint son apogée avec le 21 octobre 2011 l’envol d’une Soyouz (dans une version adaptée) depuis le Centre Spatial Guyanais grâce à un pas de tir spécialement conçu pour les fusées russes. Le 25 juin dernier, on vit même la cinquième «Soyouz guyanaise» prendre la route de l’orbite terrestre avec à son bord 4 satellites pour le compte de l’américain O3b Networks destinés à relayer Internet en haut débit (et fabriqués en Europe par Thales Alenia Space). Avec la petite fusée Vega, inaugurée en février 2012, Arianespace offre une palette de prestations complète : le lanceur lourd capable de lancer deux gros satellites d’un coup (Ariane 5), un autre moyen (le Soyouz russe) et le Vega pour les petits satellites.

Le défi du low-cost

La réussite d’Arianespace peut ainsi sembler couler de source, mais elle a été acquise en dépit de difficultés (et parfois d’échecs de lancement) qui ont été jusqu’à maintenant surmontées avec efficacité, ce qui rend ce succès d’autant plus méritoire.

Désormais Arianespace doit faire face à une nouvelle concurrence, plutôt inattendue. Voici quelques années, après la crainte de la concurrence venue de l’ex-Union Soviétique, on prédisait de sombres jours pour le leader européen en raison de l’arrivée de nouvelles puissances spatiales capables de vendre des lancements à des coûts très bas, en l'occurrence, la Chine et l’Inde. Mais la surprise est venue du côté des États-Unis et plus particulièrement de la firme SpaceX fondée voici 10 ans par Elon Musk qui a fait fortune en mettant au point le système de paiement web PayPal. Avec son lanceur Falcon 9, le jeune entrepreneur frondeur de 42 ans ambitionne de faire baisser le coût de l’accès à l’espace. L’opérateur de satellites de télécommunications luxembourgeois SES, un client habituel d’Arianespace (mais aussi des Russes à une époque...) a ainsi réservé un créneau sur cette nouvelle fusée qui a déjà fait ses preuves avec des missions pour la NASA. L’agence américaine a d’ailleurs «subventionné» la mise au point de Falcon 9 dans le cadre d’un programme visant à lui fournir un moyen d’envoyer du fret vers la Station Spatiale Internationale et d’un autre pour le futur transport de ses astronautes.

La réponse apportée par l’Europe est double : tout d’abord une évolution de l’Ariane 5 actuelle puis la mise au point d’Ariane 6. Ariane 6 est présentée comme un lanceur adapté aux nouvelles contraintes du marché, à savoir une tendance low-cost notamment imposée par SpaceX. Aujourd’hui, la logique du lancement double avec Ariane 5 ne correspond plus à la réalité du marché de demain. Paradoxalement, Ariane 6 sera moins puissante qu’Ariane 5 car elle emportera un seul satellite au lieu de deux, mais l’architecture retenue et annoncée par la ministre Geneviève Fioraso (des étages à poudre associés à un dernier étage cryogénique utilisant l’hydrogène et l’oxygène liquides) doit aboutir à un coût industriel autorisant des tarifs concurrentiels par rapport à SpaceX (on parle de 70 millions d’euros au lieu de 100 avec Ariane 5). Une architecture qui découle de choix opérés en amont lors du conseil des ministres des pays-membres de l’Agence Spatiale Européenne en novembre 2012.

Cette course au low-cost ne risque-t-elle pas de coûter très cher à l’industrie spatiale européenne, face à des prestataires américains qui profitent de budgets spatiaux nationaux (et donc captifs) largement plus élevés que ceux du «Vieux Continent» ? Certains craignent qu’Arianespace y perde même sa place de leader et contestent déjà la solution retenue pour Ariane 6. Mais la société créée en 1980 a visiblement l’habitude des défis...

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