Sans cesse remis en question, pourquoi le 14 juillet est-il aussi précieux aux yeux des Français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les élus Verts de Paris adressent un message au président de la République en 2010 en demandant de « supprimer le défilé militaire du 14 Juillet et d’affecter une partie des économies réalisées à l’organisation de rassemblements populaires, à Paris et dan
Les élus Verts de Paris adressent un message au président de la République en 2010 en demandant de « supprimer le défilé militaire du 14 Juillet et d’affecter une partie des économies réalisées à l’organisation de rassemblements populaires, à Paris et dan
©Reuters

Bonnes feuilles

L'unité des Français autour de cette fête nationale n'est-elle pas un mythe ? Claude Quétel traque l'évanescence et la duplicité de cette date. Extrait de "Le mythe du 14 juillet" (2/2).

Claude  Quétel

Claude Quétel

Claude Quétel est historien, spécialiste entre autres de l'étude des structures et des processus mentaux conduisant à la décision ou à l’événement.

Il a notamment écrit "
Histoire de la folie - de l'Antiquité à nos jours", publié chez Tallandier.

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La première offensive en règle est menée par les élus Verts de Paris à l’approche du 14 juillet 2010. Ceux-ci adressent un message au président de la République demandant de « supprimer le défilé militaire du 14 Juillet et d’affecter une partie des économies réalisées à l’organisation de rassemblements populaires, à Paris et dans toute la France ». Le « gaspillage financier » n’est pas la seule raison invoquée. Outre l’argument de la pollution (CO2, décibels) (!) est reprise la critique de Revel : La France gagnerait à « quitter le sinistre peloton des pays organisant des démonstrations guerrières le jour de leur fête nationale, dont la plupart sont des dictatures » (Sylvain Garel, co- président du Groupe Europe Ecologie Les Verts au Conseil de Paris).

Ce qui avait été à peine remarqué par la presse en 2010 devient une véritable affaire d’État quand Eva Joly reprend les mêmes arguments l’année suivante. C’est que cette fois ces propos sont tenus par une candidate à l’élection présidentielle de 2012. À peine élue candidate aux primaires des Verts, Eva Joly a préconisé de supprimer le défilé militaire sur les Champs- Élysées, le jour de la fête nationale, et de le remplacer par un défilé citoyen « où nous verrions les enfants des écoles, où nous verrions les étudiants, où nous verrions aussi les seniors défiler dans le bonheur d’être ensemble, de fêter les valeurs qui nous réunissent ». Réagissant place de la Bastille au passage, après le défilé, d’une colonne de véhicules blindés, elle réitère : « Ce n’est pas des valeurs que nous portons […] Je pense que le temps est venu de supprimer les défilés militaires du 14 Juillet parce que ça correspond à une autre période », celle d’une « France guerrière1».

Alors même qu’on voyait, année après année, le 14 Juillet et son défilé banalisé, délaissé, presque oublié, les réactions indignées et même les insultes pleuvent. Le Premier ministre, François Fillon, donne l’exemple en déclarant lors d’une conférence de presse à Abidjan : « Je réagis avec tristesse. Je pense que cette dame n’a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l’histoire française. » (Eva Joly a la bi nationalité franconorvégienne mais est née en Norvège où elle a passé son enfance et sa jeunesse.) Jean- Pierre Chevènement ironise lourdement : « La nature de la France échappe sans doute » à Eva Joly et « peut- être lui faut- il encore un peu d’accoutumance ». Ce à quoi Eva Joly rétorque, si l’on ose dire vertement, qu’elle est Française depuis cinquante ans et rappelle que les pays qui maintiennent un défilé militaire sont la Russie, la Chine, la Corée du Nord. Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, juge la proposition de la candidate « pathétique » et ses propos « irresponsables ». « Dire ce qu’elle a dit, c’est pour moi profondément une insulte à tous ceux qui, depuis des siècles, meurent pour ce pays. » Le secrétaire d’État aux Anciens combattants ajoute de son côté qu’il est « scandalisé et choqué ». « Je crois vraiment que c’est indigne de faire des propositions comme cela et de ne pas reconnaître le travail considérable que fait l’armée pour la France. » Eva Joly n’a pourtant pas dit qu’il fallait supprimer l’armée (Elle s’est toujours déclarée en faveur d’une armée et a même suivi les cours de l’IHEDN) mais on considère que c’est tout comme. Plus sérieusement, François Fillon fait valoir que : « Si chaque année nous rendons hommage à nos forces armées le jour de la fête nationale, c’est parce que nous rendons hommage à une institution qui assure la défense des valeurs de la République française, de la liberté, de la fraternité, de l’égalité. »

Les autres candidats à la future élection présidentielle entrent en lice. François Hollande pour dire que c’est « François Fillon qui a manqué de culture ne partage pas le point de vue d’Eva Joly, elle a « parfaitement le droit de défendre cette position sans qu’il soit besoin de mettre en cause sa culture des valeurs de la France ». Ségolène Royal désavoue (« Ce serait une très mauvaise idée que de remettre en cause nos traditions ») et bien entendu Marine Le Pen. Sans se prononcer sur la question (faut- il supprimer le défilé ?), Jean- Luc Mélenchon s’en prend aux détracteurs d’Eva Joly : « Je déplore l’excitation de tous ces pisse- vinaigre qui se mettent à hurler parce que Mme Eva Joly dit quelque chose qui ne leur plaît pas. Je les rappelle tous à l’idée que le 14 Juillet, c’est la célébration de la grande révolution de 1789. Ils feraient bien de méditer cela s’ils ont envie que ça recommence ou pas. Parce que moi je souhaite que ça recommence. » Un peu plus tard, il déclarera qu’il verrait bien un défilé citoyen mais à la suite du défilé militaire « qui rappelle à toute puissance étrangère ce qui lui en coûterait de s’en prendre à la France et à sa République ». Ce n’est pas le point de vue du PCF qui estime qu’« Il y a bien longtemps que le défilé du 14 Juillet a perdu sa raison d’être : celui de la rencontre d’un peuple et de son armée dans la célébration des valeurs de la République : Liberté, Égalité, Fraternité […] Sa conception est pour le moins à revoir ».

Interviewée par Nicolas Chapuis dans Libération, Eva Joly est invitée de nouveau à s’expliquer sur sa proposition de remplacer le défilé militaire par un « défilé citoyen » : « Je ne suis pas contre les défilés militaires en tant que tels. Mais le 14 Juillet, ce n’est ni le lieu, ni le moment, pour ce genre de manifestation. Le 11 Novembre ou le 8 Mai sont beaucoup plus adaptés. […] Les Verts avaient déjà fait des propositions dans ce sens. Je souhaite que l’on revienne à nos fondamentaux en ce qui concerne la fête nationale de notre pays. La République serait beaucoup mieux symbolisée par un défilé des personnes qui contribuent chaque année à entretenir le pacte républicain en travaillant au service de l’État ou dans des associations1. »

Quand il s’est décidé à quitter le registre de l’invective, Henri Guaino a dit du défilé du 14 Juillet qu’il est « un hommage que la nation se rend à ellemême ». C’est à la fois vrai et bien dit mais la question reste posée de la pertinence d’une telle démonstration à l’heure de l’Europe – et d’ailleurs on a assisté à plusieurs défilés « européens » du 14 Juillet, comme pour en diminuer le côté « national ». Il ne restait de la fête nationale que son défilé et voilà que celui- ci, à travers le psychodrame déclenché par l’évocation de sa suppression, pose en fait la question de la Nation en tant que telle : son principe, sa souveraineté (et c’est une autre France coupée en deux que celle qui oppose « souverainistes » et « fédéralistes »). Finalement, le sujet n’est pas mince. On remarquera que le 14 Juillet n’aura jamais paru aussi précieux aux yeux des Français que lorsqu’il est remis en question. Il est un peu comme un vieil objet de famille qui trône depuis des générations dans le salon, qu’on ne remarque plus mais qu’il n’est pas question de faire disparaître ni même de déplacer. Après tout le 14 Juillet n’est pas si mort. Il bouge encore.

Extrait de "Le mythe du 14 juillet",  Claude Quétel, (JC Lattès éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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