Vous croyez que les touristes visitent Paris pour la Tour Eiffel et Rome pour le Colisée... eh bien, vous vous trompez<!-- --> | Atlantico.fr
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Les monuments identifient une ville, mais à grande distance, sur la scène internationale notamment.
Les monuments identifient une ville, mais à grande distance, sur la scène internationale notamment.
©Reuters

Les musées, c'est nul

Ce n’est pas par les monuments que nous identifions une ville, selon une étude américaine, mais grâce aux figures récurrentes que l’on rencontre dans l’architecture urbaine générale. Balcons, corniches et pierres d'angle feraient plus pour l'identité et la popularité de Paris que la Tour Eiffel ou le Louvre, pourtant les meilleurs VRP de la capitale.

Atlantico : Plutôt que pour ses monuments, est-ce pour les balcons ou les corniches de ses immeubles que nous manifestons de l'intérêt pour une ville, comme semble le dire une étude américaine ? La motivation des touristes à visiter réside-t-elle avant tout dans la captation de "l'esprit de la ville" ?

Eric Lapierre : Les monuments identifient une ville, mais à grande distance, sur la scène internationale notamment. Ce sont des objets qui identifient la ville, et qui en même temps lui restent étrangers, alors que tout ce qui concerne l'architecture traditionnelle, à savoir les logements, l'alignement des rues et le paysage courant, qui est aussi celui dans lequel on vit, a des caractéristiques très singulières. Une rue de Paris ne ressemble pas à une rue ordinaire de Venise ou de Berlin, loin s'en faut. On y prête peu attention d'ailleurs, car on pense généralement que ce sont les monuments qui donnent leur caractère aux villes. Ce qui est ordinaire est considéré par définition comme peu porteur d'identité, mais il suffit de voir comment on se repère dans sa propre ville pour comprendre que ce sont les détails ténus qui importent. Le paysage ordinaire est plein de signification.

La visite des monuments et des lieux prestigieux n'est-elle qu'un prétexte pour visiter une ville ? Ceux-ci sont-il plus un passage obligé qu'un réel objet d'intérêt ?

Quand on se promène dans ces grands bâtiments que sont les monuments, on a bien souvent l'impression qu'ils sont peuplés d'une foule terrassée par l'ennui, qui ne peut faire autrement que de les visiter. Qui peut venir à Paris sans aller voir la Tour Eiffel, visiter Notre-Dame et le Louvre ? Le Louvre est encombré de gens qui ne vont jamais dans les musées en temps normal, et que cela n'intéresse pas, cependant leur passage à Paris les y force. Censés représenter l'identité de la ville, ils ont un statut comparable à celui d'une personne célèbre qu'il aurait été indécent de ne pas aller rencontrer. Cette attitude participe d'une normalisation du goût et des choses à faire, elle même liée à la massification du tourisme. Au lieu du plaisir, on est aujourd'hui dans une logique de cases à cocher.

Compte tenu de l'importance du fond "ordinaire" et homogène des villes, pour un architecte l'enjeu majeur est de fabriquer par petites touches l'identité d'un lieu. De plus en plus, les monuments sont pensés à une échelle globale. Voyez le musée Guggenheim de Bilbao, qui s'adresse plus au monde qu'à la ville elle-même. La première ligne du projet était claire : "put Bilbao on the map". C'est réussi, car aujourd'hui tout le monde connaît Bilbao sans forcément y être allé, ce qui crée de l'attractivité économique. Le fond normal de la ville, lui, est non délocalisable.

L'esprit d'une ville réside-t-il seulement dans ces détails récurrents ? Quels éléments a priori banals et insignifiants "font" qu’une ville se distingue des autres ?

Le mode de vie est essentiel dans cette distinction. Paris a ses cafés qu'on ne trouve pas ailleurs, Londres a ses pubs. La relation à l'espace public des gens qui sortent dans ces instituions est totalement différente. Le Parisien investit l'espace extérieur grâce aux terrasses, quand le Londonien se contente d'un tonneau à l'entrée pour poser les cendriers... Toucher de près le mode de vie est un de ces "détails" qui font la spécificité de chaque ville et qui donnent envie aux gens de les visiter. Les dossiers touristiques des magasines vous envoient d'ailleurs dans les monument, mais également dans les petites boutiques, car se rendre dans une ville, c'est aussi vouloir s'immerger dans un mode de vie.

L'étude relève que les villes européennes ont leurs caractéristiques propres, ce qui n’est pas vraiment le cas des villes américaines, beaucoup plus standardisées. Cela explique-t-il que dans l’esprit collectif les destinations américaines soient limitées à trois ou quatre grandes villes ?

Personne ne va s'amuser à visiter Oklahoma City ou Phoenix, car elle n'ont rien de différent. En Europe, ce sont l'ancienneté des ville et la richesse des cultures sur un territoire très réduit qui font la différence. La qualité de vie et l'art de vivre en Europe ont atteint sur notre continent un niveau de sophistication, d'agrément et de beauté qui se rencontrent rarement dans le monde, et d'autant plus avec un tel niveau de densité.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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