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Plus personne n'en parle mais la guerre au Mali est loin d’être finie
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Au bout du tunnel

Six mois après le début de l'intervention militaire française qui a chassé les djihadistes du Mali, la situation du pays reste néanmoins précaire tandis que sept millions d'électeurs maliens sont invités à élire leur nouveau président, le 28 juillet prochain.

Mathieu  Guidère

Mathieu Guidère

Mathieu Guidère est islamologue et spécialiste de veille stratégique. Il est  Professeur des Universités et Directeur de Recherches

Grand connaisseur du monde arabe et du terrorisme, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le Choc des révolutions arabes (Autrement, 2011) et de Les Nouveaux Terroristes (Ed Autrement, sept 2010).

 

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Atlantico : Un rapport du Sénat rendu public le 8 juillet s'inquiète de la situation au Mali et plus largement de celle du Sahel. Selon ce rapport le risque islamiste est sous-estimé dans la région. Que faut-il en penser ? La menace islamiste est-elle encore présente dans le pays ? 

Mathieu Guidère : Le risque islamiste au Mali et plus largement au Sahel s’inscrit dans une dynamique plus générale issue du "Printemps arabe" qui a vu se libérer les forces et les groupes islamistes longtemps réprimés par les anciens régimes. Le Mali étant un pays majoritairement musulman qui présente quasiment les mêmes traits que les pays du Maghreb (autoritarisme, corruption, sous-développement, crise économique...), se trouve confronté aux même forces d’opposition islamistes qui agissent en Afrique du Nord et au Proche-Orient. De plus, la brève domination islamiste au nord du Mali a fait croire un instant à certains Maliens que l’expérience de l’islamisme était viable au moins dans cette partie du Sahel. On l’a vu à travers la correspondance laissée sur place par les jihadistes. Il est clair aujourd’hui que l’intervention militaire française a évité le pire mais elle n’a pas résolu le problème de fond qui est celui de la perception et de l’ancrage de l’islamisme dans une région qui souffre de graves problèmes sociaux, politiques et économiques, sur lesquels est venu se greffer la présence de troupes étrangères dans une région, le nord du Mali, qui a toujours lutté pour son autonomie, voire son indépendance.

Quelle est la réalité de la situation malienne six mois après le début de l’intervention française ? Des combats ont-ils encore lieu aujourd’hui dans le Nord-Mali ?

Indéniablement, l’intervention française au nord du Mali a permis de libérer les villes de l’emprise islamiste et de chasser les groupes jihadistes des principales cités. Elle a également porté un coup dur à la logistique et aux troupes dépendant plus particulièrement d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), qui a perdu beaucoup de matériel et d’hommes, y compris son chef emblématique dans la région, Abdelhamid Abou Zeid. Mais le reste des groupes islamistes, y compris armés, s’est fondu dans la population ou bien a fui dans les pays voisins, en se mêlant au flux des réfugiés qui fuyaient le combat (on en compte un demi million environ). Un certain nombre de chefs islamistes a également profité du relatif chaos sécuritaire qui prévaut en Libye pour trouver refuge dans ce pays, en attendant de voir évoluer la situation au Mali. Depuis la fin des opérations militaires françaises à proprement parler, les groupes qui sont restés à l’intérieur, tels que le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest) et Ansar Eddine, mènent une guérilla de basse intensité, avec des actions artisanales et opportunistes contre les forces africaines et maliennes dans les villes reconquises. On compte déjà pas moins de 10 attentats suicides à Gao, plusieurs accrochages sérieux et des affrontements quasiment quotidiens avec des éléments isolés. Quant aux groupes qui ont fui dans les pays voisins (Libye, Mauritanie, Niger, Tchad, Algérie), ils observent l’évolution de la situation sur le terrain et préparent des actions contre les intérêts français et les forces africaines en attendant le départ des troupes françaises du Mali. Ce fut le cas dans les attaques coordonnées à Agadez et Arlit au Niger, mais d’autres pays sont expressément visés par les actions terroristes de ces groupes, notamment la Mauritanie, l’Algérie et le Tchad. Enfin, le conseil de "Choura des Moudjahidines", dirigé par Mokhtar Belmokhtar, qui regroupe le MUJAO et la "Katiba des Moulathamines", a mis en place un groupe spécial pour capturer et garder les otages issus de ces pays et en particulier les ressortissants français.

Qu’en est-il de la question de la minorité touareg, enjeu central de la réconciliation malienne en particulier dans la ville de Kidal, berceau touareg, où des manifestations contre la présence malienne se succèdent ?

On oublie souvent que l’instabilité chronique au nord du Mali provient de la non-résolution de la question touarègue et que le problème islamiste/jihadiste n’est qu’une couche supplémentaire qui est venue se greffer sur une problématique ancienne. Après tant d’aléas, rien n’est vraiment résolu aujourd’hui. Les touaregs, divisés, ont fini par accepter la présence de l’armée malienne dans la ville symbole de Kidal. La branche laïque, le MNLA (Mouvement de libération de l’Azawad), associé pour la circonstance au Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA), a participé au processus de réconciliation nationale et accepte de prendre part aux prochaines élections, mais ceux deux composantes sont loin d’être représentatives de la diversité des sensibilités et des revendications touarègues dans le pays et à l’extérieur. Il faudra voir, à l’issue des élections ce qu’il adviendra de la gouvernance et du développement du nord du Mali pour juger de la viabilité des acquis politiques de l’intervention française. Car les rancunes du passé sont encore vivaces et les exactions n’ont pas totalement disparu, sans oublier la question de la junte militaire et de la justice transitoire.

Quels sont les enjeux des élections présidentielles dont le 1er tour est prévu le 28 juillet ? Cette élection peut-elle rétablir l’ordre institutionnel au Mali ? Les carences considérables de l’administration dans le nord du pays permettent-elles la tenue optimale du scrutin ?

Ces élections visent surtout à doter le pays d’un exécutif légitime au regard des instances internationales pour éviter de donner l’impression d’avoir appuyé des "putschistes" contre des "islamistes". Mais il faudra attendre le retour des réfugiés et des élections législatives transparentes pour voir rétablir l’ordre institutionnel au Mali. Quant à la situation réelle au nord du pays, elle ne permet pas en l’état actuel de garantir le retour à la légitimité démocratique dont s’enorgueillissait le Mali avant le coup d’État de mars 2012. Il faudra donc du temps et de la persévérance à tous les intervenants (armée malienne, MINUSMA, armée française) pour voir se reconstruire un pays traumatisé par la guerre et les putschs militaires.

Propos recueillis par Nicolas Hanin

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