Les grands patrons sont-ils trop ou pas assez payés ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Malgré la crise économique, les rémunérations de la plupart des grands patrons ne s'infléchissent pas.
Malgré la crise économique, les rémunérations de la plupart des grands patrons ne s'infléchissent pas.
©Reuters

Fin de mois

Une étude d'ATH, association technique de cabinets d'audit et d'experts comptables, indique que la rémunération des patrons du CAC 40 a augmenté en moyenne de 21% depuis 2008. Indécence ou rattrapage ?

Bertrand Jacquillat et Vincent Touzé

Bertrand Jacquillat et Vincent Touzé

Bertrand Jacquillat est économiste spécialiste de l'économie financière, de finance d'entreprise, de micro gestion des entreprises et des marchés financiers. Il a notamment enseigné à UC Berkeley, à la Graduate Business School de Stanford, la Hoover Institution, HEC Paris, l'Université de Lille et l'Université Paris Dauphine. Il a écrit de nombreux livres traitant de ces sujets de prédilection dont « Marchés financiers, gestion de portefeuilles et des risques », Dunod, 5ème édition, 2009.

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).
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Atlantico : Malgré la crise économique, les rémunérations de la plupart des grands patrons ne s'infléchissent pas. Est-ce parce que que les patrons sont trop payés et maintiennent des "privilèges", ou qu'au contraire, ils ne le sont pas assez et veulent garder un plancher de salaire conforme à leur fonction ? 

Bertrand Jacquillat:En 2012, les rémunérations des patrons du CAC 40 ont baissé par rapport à 2011. Elles ont certes augmenté depuis 2008, mais elles tendent maintenant à diminuer.

Deuxième chose, les rémunérations des patrons français par rapport à leurs homologues au Royaume-Uni ou aux États-Unis ne sont pas excessives. Les Français sont même plutôt moins payés.

Troisièmement, il est difficile de parler en terme de globalité de la rémunération des patrons français. Dans les fait, il y en a sûrement qui sont trop payés, mais d'autres qui ne le sont pas assez. Pourquoi ? Parce que les rémunérations ne sont pas suffisamment indexées sur les performances des entreprises qu'ils dirigent. Il est tout à fait scandaleux de voir les rémunérations de certains patrons augmenter alors que les performances financières, sociales ou environnementales ne sont absolument pas à la hauteur. Dans les même temps, certains patrons dont la rémunération se situe dans le bas de tableau du CAC 40 dirigent des entreprises tout à fait performantes. Tout cela pour dire qu'il ne faut pas s'intéresser seulement à la moyenne, mais qu'il faut faire du cas par cas. A partir du moment  où un patron a des performances remarquables, il n'est pas anormal qu'il soit très bien payé, si du moins les performances en question s'inscrivent dans la durée.

Vincent Touzé : Les rémunérations des patrons reposent en général sur plusieurs éléments :

1 – Un salaire : il définit une base fixe et contractuelle de rémunération.

2 – Une prime : elle constitue une base variable qui est en général reliée à des objectifs de performance.

3 – Des attributions d’actions : le dirigeant reçoit des actions gratuites ou à un tarif préférentiel (par exemple, sous la forme de "stock options" : le dirigeant a la liberté d’acheter ou non quand il veut des actions à un prix fixé à l’avance).

Les éléments de rémunération variable et d’attribution d’actions associent directement les décisions du dirigeant aux performances de l’entreprise à court et à long terme. Souvent, ces rémunérations sont assorties de clauses contractuelles très avantageuses comme les parachutes dorées qui accordent d’importantes indemnités en cas de rupture de contrat par l’entreprise ainsi que des retraites supplémentaires extrêmement avantageuses.

Percevoir une rémunération de patron, c’est donc un peu toucher le "jackpot" dès lors que ces nombreux avantages cumulés peuvent se chiffrer en plusieurs millions d’euros par an.

Pour expliquer la rémunération élevée des patrons, deux thèses principales concourent :

1 – La rémunération des patrons découle du processus de l’offre et de la demande : les exigences demandées pour le poste sont très contraignantes et nécessitent de nombreux sacrifices ; les patrons talentueux sont rares et ce qui est rare est cher ; pour les multinationales, la concentration des moyens de production fait que la productivité marginale associée aux décisions du dirigeant est extrêmement élevée en valeur absolue.

2 – La dilution du capital des grandes entreprises entre les mains de petits porteurs ferait que par des jeux complexes d’alliance dans les conseils d’administration, il existerait une "caste" de dirigeants qui pourraient s’attribuer des postes et des rémunérations sans lien direct avec leur productivité et surtout sans véritable contrôle des détenteurs majoritaires du capital.

Y aurait-il un montant de rémunération qui serait optimal rémunérer un dirigeant d'entreprise cotée ? Qu'est-ce que serait un salaire "juste" pour un grand patron ? Comment faudrait-il le calculer ? 

Bertrand Jacquillat:Il serait excessivement difficile de définir ce que serait une juste rémunération pour un patron, dans une situation où existe un marché des dirigeants de grandes entreprises. La seule chose que l'on peut faire pour juger de la justesse d'une rémunération d'un dirigeant, c'est de la comparer, avec les performances, à celle de ses pairs qui évoluent dans le même secteur et aux mêmes fonctions.

Mais définir une valeur absolue, c'est non seulement difficile, mais de plus particulièrement subjectif. On est même clairement dans le jugement de valeur. J'en reviens cependant à l'idée qu'il faut parvenir davantage à indexer les rémunérations sur les résultats de l’entreprise, et sur les performances des autres dirigeants d'entreprises similaires.

Le Medef va faire paraître un nouveau code de déontologie sur la rémunération des patrons – et qui se généralisera donc non pas par la voie législative mais par la voie professionnelle – et qui sera basé sur le "say on pay", c'est à dire l'idée que la rémunération des dirigeants soit annoncée en assemblée générale et fasse l'objet d'une approbation. On s'achemine donc vers davantage de transparence, ce qui est un début de solution au problème.

Vincent Touzé: Juger du caractère juste de la rémunération des dirigeants relève de deux niveaux d’analyse :

1 – L’efficacité économique : une rémunération juste est celle qui est la plus efficace pour le propriétaire du capital. La rémunération doit pouvoir associer pleinement les décisions du dirigeant aux performances de l’entreprise à la hausse comme à la baisse. Parfois, certains modes de rémunération laissent penser à une forme d’absence de risque pour les dirigeants : si tout va bien, "j’utilise mes stock options" ; si tout va mal, "j’utilise mon parachute dorée".

2 – La  justice sociale : les différences de revenus sont des facteurs d’inégalité sociale. Mais c’est plutôt au rôle de la fiscalité qu’à la politique salariale des firmes d’y remédier. Toutefois, les inégalités salariales dans les entreprises ne sont pas toujours le reflet de différences de productivité. Elles peuvent aussi être le fruit d’un dysfonctionnement interne reflétant des différences de rapport de force vis-à-vis du pouvoir de décision. Dans ce cas, les inégalités salariales peuvent être particulièrement inefficaces et nuire fortement aux performances de la firme car sans cohésion sociale dans l’entreprise, il peut devenir très difficile de mobiliser toutes ses forces productives.

Les études montrent qu'il existe également des disparités fortes selon les pays (les PDG américains gagnent en moyenne plus que leurs homologues Européens ou Japonais). Un "bon" salaire de patron, n'est-ce pas finalement qu'une question de culture ?

Vincent Touzé : Il y a une différence évidente entre les patrons-salariés et les patrons-propriétaires. Par exemple, Steve Jobs était milliardaire et son salaire de n’était que de 1$ annuel !

Il y a aussi effectivement des différences culturelles. Par exemple, au Japon, souvent les dirigeants ne se comportent pas comme des "stars" et n’hésitent pas à s’infliger des punitions afin de montrer l’exemple et d’afficher leur pleine dévotion à l’entreprise. Ainsi, en avril 2013, le PDG (830 000 euros par an) et le président du conseil d’administration (1 million d’euros par an) de PANASONIC ont réduit leur salaire de 50%.

Bertrand Jacquillat:Le Japon est un pays assez autarcique où – mis à part Carlos Ghosn et le patron de Sony (l'Américain Howard Stringer, qui a quitté son poste en 2012, NDLR) – les patrons d'entreprises japonaises sont Japonais. Il y a peu d'osmose entre le secteur industriel et financier et le reste du monde.

C'est l'inverse dans les entreprises américaines et européennes, où il existe un marché, et où on ne peut pas se soustraire aux signaux que donne ce marché. Si par exemple vous êtes le dirigeant de Renault, que vous êtes sous-payé alors que vous êtes un très bon dirigeant, vous pourrez être amené à quitter Renault pour aller diriger Ford ou Chrysler. Donc, en dehors des pays assez fermé sur eux-mêmes, la question de la culture n'a que très peu d'impact.

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