Nicolas Sarkozy en mode retour accéléré mais quelle offre politique incarne-t-il aujourd’hui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon un sondage CSA pour Atlantico, 67% des sympathisants UMP le choisiraient comme candidat pour la présidentielle de 2017.
Selon un sondage CSA pour Atlantico, 67% des sympathisants UMP le choisiraient comme candidat pour la présidentielle de 2017.
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Reviendra ou pas ?

Malgré sa défaite en 2012, malgré les affaires qui s'abattent sur lui, Nicolas Sarkozy reste le favori des sympathisants UMP pour les représenter en 2017. Mais au-delà du charisme de l'homme, peu d'indices filtrent sur ce que pourrait être sa ligne politique s'il effectuait son grand retour.

Yves-Marie Cann, Maxime Tandonnet,André Bercoff et Marika Mathieu

Yves-Marie Cann, Maxime Tandonnet,André Bercoff et Marika Mathieu

Yves-Marie Cann est Directeur adjoint du Pôle Opinion Corporate de l'Institut CSA

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l’immigration, l’intégration des populations d’origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l’Intérieur. Il est l'auteur de Histoire des Présidents de la République chez Perrin. Il commente l'actualité sur son blog personnel.

André Bercoff est journaliste et écrivain. Il est notamment connu pour ses ouvrages publiés sous les pseudonymes Philippe de Commines et Caton. Il est l'auteur de La chasse au Sarko (Rocher, 2011), de Qui choisir (First editions, 2012) et plus récemment de Moi, Président (First editions, 2013)

Marika Mathieu est journaliste indépendante, diplômée d'un master en journalisme international à la City University de Londres. Elle est l'auteur du livre La Droite Forte : Année Zéro - Enquête sur les courants d'une droite sans chef paru le 2 mai 2013 aux éditions de La Martinière.

Marika Mathieu est journaliste indépendante, diplômée d'un master en journalisme international à la City University de Londres. Elle est l'auteur du livre La Droite Forte : Année Zéro - Enquête sur les courants d'une droite sans chef paru le 2 mai 2013 aux éditions de La Martinière.
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Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l’immigration, l’intégration des populations d’origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l’Intérieur. Il commente l'actualité sur son blog personnel.
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Atlantico : Suite à l’invalidation de ses comptes de campagne, Nicolas Sarkozy a annoncé qu'il "démissionnait immédiatement" du Conseil constitutionnel. Une décision qui ouvre la porte d’un éventuel retour à la politique pour Nicolas Sarkozy. Selon un sondage CSA pour Atlantico, 67% des sympathisants UMP le choisiraient comme candidat pour la présidentielle de 2017.  Comment expliquez-vous sa popularité malgré sa défaite en 2012 ? Quelle offre politique incarne-t-il aujourd’hui ?

Yves-Marie Cann : L’aura que conserve Nicolas Sarkozy à droite et plus particulièrement auprès des sympathisants UMP est indéniable. Celle-ci s’explique par au moins deux raisons. La première, c’est la proximité temporelle avec l’élection présidentielle et une défaite qui n’a pas été vécue comme une humiliation. Lors de la campagne d’entre deux tours en 2012, la dynamique a été du côté de Nicolas Sarkozy, en faveur duquel nous avons mesuré un net resserrement du rapport de forces dans les intentions vote, ce qui s’est confirmé dans les urnes.

L’absence de leadership incontesté à droite favorise elle aussi cette situation. Le duel fratricide ayant opposé Jean-François Copé à François Fillon fin 2012 pour la présidence de l’UMP ont empêché l’émergence d’un nouveau leader, ce qui n’a pu que renforcer la nostalgie des sympathisants UMP à l’égard de Nicolas Sarkozy.

Maxime Tandonnet : Il incarne la volonté politique, l’énergie, l’ambition de moderniser la France, l’économie française, l’État, l’Éducation nationale. Il représente aussi l’autorité et la fermeté face à l’insécurité et aux désordres. Nicolas Sarkozy est un "national", au sens où l’entendait le général de Gaulle, dans la mesure où il place l’intérêt de la France au cœur de son action, quitte à accomplir des réformes difficiles et impopulaires mais indispensable à la modernisation du pays, comme celles qu’il a réalisées sur  le service minimum, sur les retraites, ou l’autonomie de l’université.

André Bercoff : Pour les adhérents et sympathisants de l’UMP, Nicolas Sarkozy est devenu et resté le recours depuis le 6 mai 2012. L’affrontement aussi sanglant qu’auto-destructeur du vorace Copé et du coriace Fillon, le bal des ambitions multiples à l’UMP n’ont fait que renforcer la dimension "statue du commandeur" de l’ex-président qui rappelons-le, n’a pas été écrasé, loin s’en faut, par le candidat socialiste. Son silence – tactiquement imposé – a fait jusqu’ici le reste. Tant qu’il n’a pas repris la parole, son offre est beaucoup plus charismatique que politique. Il lui appartiendra, s’il se relance dans la bataille, de définir le périmètre de l’électorat qu’il veut garder, rallier et reconquérir. Il n’aura pas à nouveau la majorité rien que par sa mine altière.

Marika Mathieu : La popularité de l’ancien président est à la rencontre de deux phénomènes. L’un est l’absence de relève ou de concurrent jugé "à la hauteur". C’est la "droite sans chef" pour qui l’ancien reste le mieux, à défaut d’autre chose. La suite de votre sondage est éloquente. Si Nicolas Sarkozy rassemble 67% des sympathisants, c’est que François Fillon n’en séduit que 13%, Alain Juppé 8%, Jean-François Copé 3%,  Nathalie Kosciusko-Morizet et Bruno Le Maire 2% chacun. Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand et Valérie Pécresse ne suscitent qu’1% d'avis favorables et 4% des personnes interrogées ne veulent de personne. Ce déficit de soutien pour tous les barons actuels du parti est dramatique.

Le deuxième phénomène, qui explique d’ailleurs le premier, est la permanence du discours autour du "presque gagnant" de la campagne 2012 de Nicolas Sarkozy. C’est absurde car il est en réalité celui qui a échoué. Jean-Pierre Raffarin ne cesse d’ailleurs de critiquer l’absence d’inventaire de cette campagne et surtout du quinquennat qui l’a précédée en jugeant que ce tabou empêche l’émergence de nouveaux talents. Par défaut, les seuls a avoir émergé de cet après-Sarkozy sont les sarkozystes excités de la Droite forte, des personnalités politiques non-élus mais bénéficiant largement de l’absence de discours alternatifs au sein de l’UMP. Ils affirment les valeurs de la droite décomplexée  avec toute la liberté que leur permet leur absence de responsabilité. Ce n’est pas crédible pour assurer la reconstruction de l’UMP mais ils sont pourtant en première ligne.

C’est un cercle vicieux. Dans la mesure ou l’analyse de son échec demeure impossible, Nicolas Sarkozy reste dans ses habits de "presque gagnant", le seul capable de rassurer les militants perdus, idée qui ne laisse de place ni pour la critique, ni pour une relève. Nicolas Sarkozy n’a pas d’offre politique à faire pour le moment, sa popularité tient au statu quo de la situation.

Nicolas Sarkozy avait réussi à incarner la rupture face à Jacques Chirac alors même qu’il appartenait au même camp politique. Incarne-t-il toujours cette rupture aujourd’hui ? En quoi ?

Yves-Marie Cann : Le concept de rupture lui reste intimement lié, c’est indéniable. C’est d’ailleurs un des marqueurs fort du sarkozysme au sein de l’électorat de droite. Toutefois, l’épreuve du pouvoir a pu démontrer les limites d’une telle promesse. La rupture dans le style a été indéniable, elle lui a d’ailleurs valu de nombreuses critiques. La rupture sur le fond a pu faire sens dans un premier temps avec la loi TEPA (heures supplémentaires défiscalisées, bouclier fiscal, etc.), l’instauration du service minimum, la réforme des régimes spéciaux de retraites, etc. mais force est de constater que les dernières années de son mandat présidentiel ont été marquées par un retour en arrière sur certains points. De même, le débat sur l’identité nationale ou encore le discours de Grenoble lui ont sans doute valu la perte d’une partie de l’électorat centriste.

Maxime Tandonnet : Disons que pour les Français qui souhaitent son retour, l’attente de rupture est à l’évidence considérable, sur tous les sujets, la réforme de l’État, la libération de l’entreprise, la relance de l’économie pour mettre fin au chômage, l’ordre public, la maîtrise de l’immigration, la réussite de l’intégration, le rejet du communautarisme, la transformation des institutions françaises et européennes pour sortir de l’impuissance publique. L’avenir de l’Europe et la place de la Nation dans cette Europe sera l’un des grands sujets de l’avenir. Il faudra qu’il apporte des réponses nouvelles, sans tabou, permettant d’assurer le respect effectif des souverainetés nationales et l’unité des peuples européens. Il s’était engagé dans cette voie pendant sa campagne de 2012 à propos de la convention de Schengen.  Le défi est immense.

André Bercoff : La rupture avec Chirac était beaucoup plus une affaire d’homme qu’une affaire politique. Le samouraï de Corrèze avait, à juste titre, détesté que son poulain de jadis l’abandonne pour Balladur. Sept ans plus tard, sans jeter la rancune à la rivière, il fut obligé de lui remettre le pied à l’étrier, compte tenu de la popularité de Sarkozy au sein de l’UMP qu’un Villepin ne sut jamais séduire et encore moins conquérir. La rupture d’aujourd’hui n’a plus rien à voir puisqu’il s’agit d’une lutte à mort pour 2017, avec un autre élu corrézien qui fera tout pour l’éliminer avant l’échéance. Il reste, pour Sarkozy, encore une fois, à définir sa ligne politique : droite décomplexée et offensive, ou alliance des modérés et des centristes ? Telle est l’essentielle question.

Marika Mathieu : L’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 était une véritable rupture au regard de l’ampleur du travail idéologique et programmatique réalisée par l’équipe de Nicolas Sarkozy. Ce n’était pas simplement une histoire de siphonnage du FN. La vision se voulait globale et c’est en cela que l’on peut comprendre sa victoire comme la désillusion qui s’en est suivie. Car depuis l’été 2010 et le discours de Grenoble, l’équilibre de 2007 s’est abîmée dans le spectre d’une droite "décomplexée" sur les thèmes sécuritaires et identitaires, jusqu’à devenir l’axe de campagne en 2012. Cette rupture ne concerne plus que la droite vis-à-vis d’elle même. C’est la question du FN et des 20% de votes qu’il représente. Nicolas Sarkozy apparaît comme la seule figure capable de tenir un discours de droite attirant pour une partie de cet électorat. Mais là encore, si la campagne 2012 a démontré un bon report de voix au second tour, cette stratégie n’est pas gagnante. La rupture du front républicain est possible, mais c’est un échec. Ce qui est perdu au centre ne revient pas par la droite.

L’écho rencontré aujourd’hui par Nicolas Sarkozy est-il dû à son charisme d’ancien chef d’État ou également à ses orientations politiques ? Qu’a-t-il compris que les autres n’ont pas compris ?

Yves-Marie Cann : L’équation personnelle d’un homme politique relève d’une alchimie complexe. L’écho rencontré par Nicolas Sarkozy s’explique autant par ce qu’il incarne d’un point de vue subjectif (l’image et les représentations que se font de lui les électeurs) que par les actions menées lorsqu’il était en responsabilités, par exemple. Je relativiserais toutefois en précisant que si la nostalgie à l’égard de Nicolas Sarkozy est forte à droite, celle-ci peine à se diffuser au-delà de son camp. Dans un sondage CSA / RTL publié fin mars, 54% des personnes interrogées déclaraient ne pas regretter Nicolas Sarkozy comme président de la République.

Maxime Tandonnet : La réalité de Nicolas Sarkozy n’a rien à voir avec l’image qu’une partie des médias ont voulu donner de lui. C’est quelqu’un d’une très grande simplicité, plus proche des gens, du peuple, et plus sincère dans cette proximité, qu’aucun président de la Ve République ne l’avait jamais été avant lui. Je n’oublierai jamais, de ma présence à ses côtés à l’Elysée, les heures passées chaque semaine à recevoir ou à se rendre auprès des victimes de la criminalité, de la violence, ou de catastrophes naturelles. Partager la douleur de ses compatriotes dans la détresse, je dis cela sans  emphase, c’était pour lui le b.a.ba de son rôle de chef de l’État. Cet aspect humain, familier à ceux qui ont servi à ses côtés ou l’ont côtoyé, n’est pas assez connu des Français.

André Bercoff : Les deux. Son potentiel d’attraction est intact. Il n’a rien compris de plus que les autres, mais il peut incarner mieux que d’autres l’alternance, eu égard la montée des tensions. Ivan Illitch : "Quand, dans une société, le taux de frustration a dépassé le taux de production, il faut s’en inquiéter vivement." Nous y sommes, plus que largement.

Marika Mathieu : Nicolas Sarkozy jouit d’un principe de nostalgie au cœur d’une situation que beaucoup de Français n’estiment pas meilleure depuis son départ. Mais il serait intéressant, plutôt que de demander aux uns et aux autres ce qu’ils pensent d’un retour de Nicolas Sarkozy, de savoir ce que chacun y associe en terme de contenu politique. Le débat actuel sur son éventuel retour est complètement dénué de fond et il serait étonnant que la plupart des Français soient capables de définir le positionnement de Nicolas Sarkozy sur les questions de libéralisme, d’Europe, de fiscalité, de réformes institutionnelles ou d’immigration. 

Sa "droitisation" entre les deux tours de la présidentielle qui lui a été reproché parfois jusque dans son propre camp a-t-elle finalement visée juste ? S’il n’a pas toujours apporté les bonnes solutions, l’ancien président de la République a-t-il fait le bon constat sur les blocages de notre société.

Yves-Marie Cann : Si l’on s’en tient à la dynamique observée en faveur de Nicolas Sarkozy entre les deux tours de l’élection présidentielle dans les enquêtes d’intentions de vote, la stratégie de "droitisation" serait validée par les chiffres. Dans cette hypothèse, il aurait suffit de quelques jours de campagne supplémentaires pour inverser le rapport de force et permettre sa réélection. A la lecture des résultats d’enquêtes réalisées le jour de l’élection pour étudier le comportement des électorats, cette analyse me semble toutefois discutable. Selon les données de CSA, Nicolas Sarkozy a bénéficié des suffrages apportés par 44% des électeurs ayant voté pour Marine Le Pen au premier tour mais dans le même temps 35% ont opté pour l’abstention ou le vote blanc ou nul, 21% ont voté pour François Hollande. On voit bien ici que la stratégie de "droitisation" engagée dans l’entre deux tour n’a pas permis à Nicolas Sarkozy de faire le plein de voix frontistes, bien au contraire.

Maxime Tandonnet : La "droitisation", franchement, je n’ai jamais bien compris ce que cela signifiait. Nicolas Sarkozy a bien senti qu’une partie de la France, la plus démunie, la plus populaire, celle qui vit dans les quartiers sensibles, souffrait dans sa chair de l’insécurité, des lois qui ne sont pas respectées, de la violence et de la criminalité. Il a aussi conscience de la souffrance liée au  patriotisme meurtri des Français souvent des milieux les plus populaires. Il a voulu s’adresser à la France qui souffre en apportant des réponses à ces sujets.  Pour moi, il faut parler de sens des réalités et non de "droitisation".

André Bercoff : On peut incontestablement lui reprocher d’être resté au milieu du gué et de n’être pas, par opportunisme, ou par souci de se faire réélire, allé jusqu’au bout de réformes qu’il aurait pu mener à bien malgré la crise. Reste que, qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, la ligne Buisson, telle que celui-ci l’a exposée dans une récente interview au Monde garde sa légitimité et son efficacité potentielle.

Marika Mathieu : Nous en revenons à la question qui perturbe les ténors de l’UMP : la campagne 2012 était-elle "presque gagnante", ou juste perdante ? La ligne Buisson, si celle-ci existe, pousse à croire au "presque gagnant" comme à un mantra capable d’effacer les traces de sept défaites électorales consécutives sous la présidence de Nicolas Sarkozy. C’est le masque de la faiblesse. C’est un peu fou en ce sens. Qu’un socle électoral se forme autour des questions d’identité ou de sécurité est une chose, mais les indicateurs relatif à l’évolution globale de la société française tempèrent grandement l’idée d’une "droitisation". L’étude la fondation Jean Jaurès parue en juin était d’ailleurs très intéressante sur ce point : en comparant différents pays européens, cette étude démontrait une droitisation accélérée de la politique française, tout en démontrant l’ancrage du libéralisme culturel dans la population, ainsi qu’une demande d’intervention et de régulation de l’État sur le terrain économique. Constater une demande accrue d’autorité et de justice ne signifie pas qu’y répondre par un schéma national-conservateur durci soit pertinent.

Alors que le fossé entre l’élite et le peuple semble se creuser sous fond de progression du Front national, le fait que Nicolas Sarkozy ne soit pas énarque et qu’il ait parfois tenu un discours "anti-technocratie" est-il un avantage politique ?

Yves-Marie Cann : Dans un contexte de crise et de défiance à l’encontre de la classe politique, c’est en effet un discours qui peut séduire une partie de l’électorat. En ce sens, ses attributs personnels peuvent constituer un atout. Dans nos études, de nombreuses personnes nous font toutefois part de leurs craintes autour des tensions qui traversent aujourd’hui la société française. Or le style de Nicolas Sarkozy est souvent perçu comme étant de nature à aviver ces tensions, ce qui constitue un handicap.

Maxime Tandonnet : Nicolas Sarkozy a profondément conscience de ce fossé croissant entre les élites et le peuple. Cette question était chez lui, surtout dans la deuxième partie de son mandat, une préoccupation constante, obsédante.  Son avantage politique ne tient pas à telle ou telle formation ou école qu’il aurait faite ou n’aurait pas faite, mais justement à sa sensibilité populaire. Dans sa manière d’échanger, de parler, de s’adresser aux gens, il est à l’évidence proche d’eux. On l’a souvent accusé de "désacraliser la fonction présidentielle". Je n’ai jamais compris ce reproche. Se rendre auprès de chauffeurs de bus victimes d’une agression ou des victimes d’une inondation, ou de jeunes au chômage dans un quartier difficile, passer des heures avec eux, cela faisait partie du rôle de chef de l’État tel qu’il le concevait et le pratiquait. En outre, Nicolas Sarkozy vivait très mal le climat de guerre civile froide, le sectarisme et la violence politique. Il a voulu surmonter ces clivages notamment par l’ouverture et la nomination d’hommes de l’opposition à des postes clés comme la présidence de la Cour des comptes. Cela n’a pas été compris et lui a été reproché par tout le monde. Quand on voit le climat actuel de haine qui sévit dans le pays, on réalise à quel point son intention était louable.

Marika Mathieu : C’est un avantage rhétorique qui fonctionne à l’échelle d’une partie des sympathisants de droite, en particulier des militants. C’est ce qu’a démontré le succès du discours anti-élite de la Droite forte lors du dernier congrès interne de l’UMP. Comme dans la plupart des pays européens, les élites sont mises en accusation, les corps intermédiaires sont dénoncés, et la colère face à la crise se cristallise sans trop de problème sur ce genre d’arguments. Mais là encore se pose l’ambigüité de ce positionnement dans un parti de gouvernement, et encore plus dans la bouche d’un ancien président dont les liens avec l’élite politico-financière est aujourd’hui l’objet de plusieurs enquêtes judiciaires. Qu’il y ait un vivier électoral pour un discours de contestation du "système" est une évidence, qu’il se mobilise en force pour un candidat de l’UMP semble beaucoup moins certain.

Le retour de Nicolas Sarkozy est-il aujourd’hui inéluctable ? Qu’est-ce qui pourrait éventuellement venir entraver ce retour ?

Yves-Marie Cann : Nul n'est irremplaçable mais en laissant planer le doute sur ses intentions, Nicolas Sarkozy empêche aujourd’hui l'émergence d'un nouveau leader de la droite et contrarie les plans de François Fillon et Jean-François Copé. Et même s’il reste très populaire dans sa famille politique, plusieurs éléments pourraient entraver son retour. Il s’agit en premier lieu des instructions judiciaires en cours, dont il devra lever l’hypothèque d’ici à la prochaine élection présidentielle. Mais le plus difficile pour Nicolas Sarkozy sera sans doute de s’assurer d’une possible victoire en cas de candidature à la prochaine élection présidentielle. Pour cela, il devra parvenir à regagner le terrain perdu ces dernières années auprès de segments politiques stratégiques et parvenir à proposer une synthèse lui permettant d’attirer sur son nom un nombre suffisant de suffrages en provenance de l’extrême droite et du centre droit. A ce jour, cela s’apparente à la quadrature du cercle.

Maxime Tandonnet : Son retour dans le débat politique est inéluctable, rien ne pourra l’empêcher. Un jour ou l’autre, il éprouvera le besoin de s’exprimer. En revanche, son retour à la présidence de la République, nul n’en sait rien. Dans l’histoire de France et des grandes démocraties, on n’a à ma connaissance aucun exemple de président de la République ayant quitté le pouvoir et y revenant comme chef de l’État. Mais cette absence de précédent peut être justement un atout. C’est parce que cela ne s’est jamais produit que l’occasion se présente de vaincre la fatalité !

André Bercoff :  Rien n’est inéluctable en politique. Mais la chasse au Sarko n’ayant jamais cessé, bien au contraire, et ayant repris de plus belle, avec les affaires Bettencourt, Tapie et tout récemment l’annulation des comptes de campagne, fait que l’ex-président est aujourd’hui obligé de sortir du bois, sauf à vouloir définitivement abandonner la partie, ce qui correspond assez peu à son caractère. En le poursuivant ainsi par tous les moyens à sa disposition, le pouvoir actuel utilise une arme à double tranchant : s’il ne le tue pas, il le rend plus fort. Notamment en en faisant une victime désignée, voire un bouc émissaire d’où vient tout le mal. Tout cela promet de belles joutes en perspective, où, malheureusement pour la France, tous les désespoirs sont permis.

Marika Mathieu : L’enquête du JDD publiée hier est éclairante. Sept personnes sur dix y indiquent penser que l'ex-président de la République sera à nouveau candidat en 2017. Ce chiffre est passé de 61% à 70 en l'espace d'une semaine, démontrant que l’épisode du Conseil constitutionnel est interprété en tant que tel comme un retour en politique. Mais toujours selon cette enquête du JDD, trois Français sur cinq (59%) ont indiqué ne pas souhaiter que Nicolas Sarkozy se représente en 2017. 

Brice Hortefeux, premier et plus fervent soutien de Nicolas Sarkozy, a coutume de dire que le retour de son champion passera par trois critères : "le devoir, l'envie et les circonstances". Au fond, la situation démontre que personne ne doute de l’envie de l’ancien président de revenir. Mais le devoir et les circonstances ne sont pas au rendez-vous. Son retour est attendu par la droite et non pas "souhaité" à l’échelle nationale. Quant au devoir, on pourrait s’interroger s’il ne devrait pas être d’aider à l’émergence d’une nouvelle vision programmatique de la droite plutôt que de tenter de s’imposer grâce au vide intellectuel que dégage actuellement l’UMP. L’état de la droite est en quelque sorte le complice et l’obstacle principal d’un retour de Nicolas Sarkozy en politique. "L’ère du vide" est loin de pouvoir remplacer la "révolution culturelle" gramsciste  promise par le candidat Sarkozy en 2007.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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