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Suite à l'affaire Woerth, les membres du gouvernement et les conseillers des cabinets ministériels ont jusqu'à ce vendredi 15 avril pour rendre à François Fillon leurs « déclarations d’intérêt ».
Suite à l'affaire Woerth, les membres du gouvernement et les conseillers des cabinets ministériels ont jusqu'à ce vendredi 15 avril pour rendre à François Fillon leurs « déclarations d’intérêt ».
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Les membres du gouvernement et les conseillers des cabinets ministériels ont jusqu'à ce vendredi 15 avril pour rendre à François Fillon leurs « déclarations d’intérêt », qui seront placées sur le site internet du gouvernement dans quelques jours. C'est l’une des mesures préconisées dans le rapport remis le 26 janvier dernier par la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêt dans la vie publique, mise en place suite au scandale Woerth-Bettencourt.

Frédéric  Monier

Frédéric Monier

Frédéric Monier est historien et professeur à l'université d'Avignon.

Spécialiste de l'histoire politique contemporaine française et européenne et de l'histoire du secret, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le complot dans la République. Stratégies du secret de Boulanger à la Cagoule (La Découverte, 1998) ou Corruption et politique : rien de nouveau ? (A. Colin, 2011).

Il participe par ailleurs à un site web consacré à l'histoire de la corruption politique en France et en Allemagne à l'époque contemporaine.

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La commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêt dans la vie publique - présidée par Jean-Marc Sauvé et installée suite au scandale Woerth-Bettencourt - préconisait des bonnes pratiques, destinées à mettre un terme aux abus d’influence et à la corruption politique.

Outre les « déclarations d’intérêt », elle proposait aussi une procédure de signalement d’abus, sur le modèle du whistleblowing américain, un régime élargi d’incompatibilités entre fonctions publiques et secteur privé, des sanctions renforcées et enfin la création d’une autorité indépendante, chargée de la déontologie de la vie publique, avec des postes de « déontologues » dans l’ensemble des administrations.

Prévenir les conflits d'intérêt dans la vie publique : un pari difficile

Ce texte, accueilli de façon favorable par plusieurs associations, a suscité des remarques aigres dans les rangs de la droite. Selon Gérard Longuet, cela pourrait faire « sombrer dans la République du soupçon généralisé et ensuite de la délation ». Quant à Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale, il s’est dit hostile à un virage vers « une politique inquisitoriale », en affirmant que « nous ne sommes pas une société d’exhibitionnistes ».

La commission Sauvé a été instituée par Nicolas Sarkozy le 10 septembre 2010, afin de trouver une réponse politique à la crise ouverte par l’affaire Woerth-Bettencourt. Le 12 juillet 2010, dans un entretien télévisé, le chef de l’État, justifiant la démission de deux membres du gouvernement et le maintien d’Eric Woerth, admettait qu’il fallait mettre un terme aux « mauvaises habitudes » au sein du personnel politique. Les « déclarations d’intérêt » des ministres visent à assainir un climat politique toujours aussi délétère, comme l’a montré, au début de l’année 2011, l’épisode qui a conduit Michèle Alliot-Marie à la démission.

Transparence et discrétion

Ce qui est donc à nouveau en question est le soupçon pesant sur les rapports entre les élites politiques et l’argent. Les « déclarations d’intérêt » demandées aujourd’hui aux ministres, comme les déclarations de patrimoine des parlementaires dont il était question en décembre 2010, reposent sur un principe de transparence, censée rendre impossible toute forme de corruption, en plaçant la richesse des gouvernants sous l’œil des citoyens.

D’un point de vue historique, la norme de transparence succède à une autre norme, contradictoire, héritée de la fin du XIXe siècle : la discrétion. Née dans la France de la fin des années 1970, la « transparence » est conçue d’abord comme une règle administrative reposant sur le « droit à l’information ». Elle devient, à l’orée des années 1990, un « impératif » couvrant un champ plus vaste, notamment culturel. Après le tournant des années 1993 – 1997, en France comme au plan international, la transparence de la vie publique inspire la création d’instruments juridiques internationaux d’éradication de la corruption, à l’OCDE, à l’ONU et au Conseil de l’Europe.

Ce qui est en débat depuis le début des années 2000, c’est la limite entre transparence et protection de la sphère privée : comment tracer la frontière du secret, notamment sur le plan financier, patrimonial, fiscal ?

Comment tracer la ligne du secret ?

En décembre dernier, lors des débats parlementaires sur les déclarations de patrimoine des élus, les députés UMP Christian Jacob et Jean-François Copé signaient un amendement hostile à leur vérification par la commission pour la transparence financière de la vie politique. Christian Jacob se posait en défenseur du « secret fiscal ». Cette position est en décalage avec la plupart des mesures préconisées, notamment par le conseil de l’Europe en novembre 2006, au nom de la fonction «  de révélation et de suivi des conflits d’intérêt » assumée par les médias et les « organisations de la société civile ».

Il n’y a pas de compromis simple entre les partisans de la transparence et les adversaires de « l’exhibitionnisme ». Le service central de prévention de la corruption, placé auprès du ministère de la Justice, a proposé, en 2003, de créer des « magistratures du secret » : le projet n’a, semble-t-il, jamais été retenu. D’un point de vue historique, il est clair que le secret, en politique, a perdu sa légitimité, selon un processus non linéaire, amorcé depuis la fin du XVIIIe siècle, et qui semble culminer aujourd’hui. Ainsi, tout usage du secret attise des soupçons, dans ce cas de corruption, ce qui contribue au discrédit du personnel politique, marqué en France depuis la fin des années 1970.

La « déclaration d’intérêts » demandée aux membres du gouvernement repose sur un pari de François Fillon : celui de « renforcer la transparence de la vie publique et la confiance de nos concitoyens dans les institutions et les administrations de la République ». Il n’est pas certain que cela mette un terme au débat politique sur ce sujet, au sein de l’UMP. Il faut souhaiter que ces déclarations contribuent à maintenir les normes de probité publique, sans se faire beaucoup d’illusions sur l’impact que cela aurait dans l’opinion, puisque une majorité de Français croient, depuis trente ans, en la corruption du personnel politique.

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