Quand l'Égypte met l’Occident au pied du mur de ses contradictions : promouvoir la démocratie, oui... mais uniquement celle qui nous convient<!-- --> | Atlantico.fr
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Lors de sa première déclaration officielle après le renversement de Mohamed Morsi, mercredi 3 juillet, le président américain Barack Obama n’a pas parlé de coup d’État.
Lors de sa première déclaration officielle après le renversement de Mohamed Morsi, mercredi 3 juillet, le président américain Barack Obama n’a pas parlé de coup d’État.
©Reuters

Realpolitik

Barack Obama s'est bien gardé, mercredi 3 juillet, de qualifier de "coup d’État" l'action de l'armée égyptienne, qui a démis de ses fonctions le président Morsi. Et effet, la loi sur l'assistance financière de 1961 lui interdit "d’apporter un soutien financier direct" au gouvernement d’un pays dont le chef aurait été mis en place "par un coup d’État militaire ou un décret". Or, les États-Unis n'ont pas intérêt à mettre un terme à leur soutien financier à l’Égypte.

Steven Ekovitch

Steven Ekovitch

Steven Ekovitch est professeur de Sciences Politiques et d'Histoire à l'Université Américaine de Paris.

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Atlantico : Lors de sa première déclaration officielle après le renversement de Mohamed Morsi, mercredi 3 juillet, le président américain Barack Obama n’a pas parlé de coup d’État. Si Washington devait ainsi qualifier les événements en Égypte, les États-Unis seraient légalement obligés de cesser toute aide financière au pays. Les Etats-Unis ont-ils volontairement fermé les yeux sur cette entorse à la démocratie, et si oui, pour quelles raisons ?

Steven Ekovich : Une législation américaine interdit en effet  aide toute aide, sauf humanitaire, à un régime issu d’un coup d’Etat militaire. Sur le plan légal, il est donc dans l’intérêt des États-Unis d’effectuer des contorsions rhétoriques pour définir ces événements plutôt comme un « coup d’Etat populaire », si l’on peut dire ainsi, contre un régime qui a vraisemblablement perdu sa légitimité.

Sur un plan plus philosophique, les États-Unis, comme tous les pays d’ailleurs, ont soutenu le pouvoir en place, qui après tout était élu démocratiquement. Il est toujours délicat de se désolidariser d’un régime qui détient tout de même une certaine légitimité démocratique. Barack Obama devait choisir entre la stabilité et la démocratie, il a opté pour la stabilité. Il n’est pas le premier chef d’Etat à être plongé dans une situation aussi délicate ; toutes les chancelleries du monde démocratique sont confrontées à la même problématique.

Cette situation est-elle le révélateur d'une certaine hypocrisie de l’Occident sur la question de la démocratisation des pays dans lesquels il a un intérêt ? Le pragmatisme finit-il toujours par prévaloir sur les principes ? En quoi cela se justifie-t-il ?  

Elle traduit plus une forme de pragmatisme que d'hypocrisie. On ne peut pas toujours suivre les mêmes lignes avec rigidité dans toutes les situations. C’est une souplesse politique et diplomatique nécessaire, qui peut aussi être définie comme une hypocrisie par certains,tout dépend du point de vue. La démocratie, c’est plus qu’une élection. Le parti de Morsi a gagné avec une mince majorité de 51%. Lui et son parti n’ont vraisemblablement pas compris qu’une démocratie est une question de consensus et de compromis. Une mince majorité ne suffit pas à donner tous les pouvoirs au président et à son parti. Morsi a systématiquement coupé le dialogue, sans parler de sa gestion désastreuse de l’économie et voilà ce que cela a produit. 

Les États-Unis pourraient-ils, en vertu de cette loi, cesser de verser une aide économique à l'Égypte ? Quels sont les intérêts en jeu ?

Cette hypothèse n’est pas envisageable. Ils vont faire le nécessaire pour définir la situation de telle manière qu’ils pourront continuer de fournir de l’aide. Celle-ci est extrêmement importante pour l’appareil militaire, qui a un ainsi reçu des milliards depuis bien des années. C’est aussi une façon américaine de garantir la stabilité régionale et d’influer sur les choix politiques en Égypte, étant donné que les militaires exercent dans ce pays une influence politique et économique très forte.

En soutenant pendant un temps le gouvernement élu, puis en ménageant l’armée, les États-Unis ont-ils pratiqué un double jeu ?

C’est tantôt l’un, tantôt l’autre, et pas toujours au bon moment. Les Américains ont hésité à abandonner Moubarak, qui était l’émanation de cette puissance militaire (le "Deep State"), qui se trouvait derrière tout. Il est venu un moment auquel ils ont été obligés de prendre le parti de la "rue arabe", cependant les manifestants ont perçu les Américains comme un soutien au régime militaire. Ces derniers ont ensuite été contraints d’accepter le gouvernement Morsi, issu des urnes, ce qui a fait qu’ils sont devenus dans les esprits  les garants d’un régime qui avait de moins en moins de légitimité. En voulant jouer de façon pragmatique, ils ont par deux fois été perçus comme le soutien d’un pouvoir méprisé par une très grande partie de la population. Les États-Unis ont donc eu  à chaque fois un train de retard…

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